Extension Casier-pilote de Boghé : L’arrêté de la discorde

8 June, 2017 - 00:21

L’arrêté du gouverneur du Brakna, Abderahmane ould Mahfoudh ould Khattri, pris sans concertation aucune avec les populations, continue de susciter de vives controverses et inquiétudes. Rappelons qu’il entend établir  une commission chargée d’élaborer une liste de bénéficiaires de parcelles, dans le cadre de l’extension du périmètre du Casier-pilote de Boghe, d’une superficie de 2.210 ha. Les populations ont manifesté leur refus de  toute spoliation de leurs terres, exigeant l’arrêt des procédures et de tout le projet, tant que cette question n’est pas réglée.

Comme à son habitude, c’est l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) qui a été est la première organisation à donner l’alerte, le 31 Mai dernier, dans un communiqué rendu public, mettant en garde contre « une tentative de spoliation foncière dans la vallée du Fleuve ». Le mouvement  abolitionniste signalait que « ces terres traditionnelles devant faire l’objet d’aménagements sont une source de revenus et un moyen de survie, pour les communautés villageoises noires de plusieurs localités autour de la plaine. Dans une démarche contraire à toute logique, l’Etat partisan a, tout simplement et sans concertation, décidé d’attribuer toutes ces terres à des acteurs de l’agrobusiness arabo-berbère, bafouant ainsi les droits séculaires des propriétaires traditionnels ». Elle rappelait, en suivant, que «  le 7 Novembre 2014, le jour du lancement de la « Caravane contre l’esclavage foncier et les expropriations foncières », initiée par IRA-Mauritanie, une délégation, formée des représentants des communautés villageoises propriétaires coutumières du site, était venue signifier, au hakem de Boghé, son opposition, dans le projet d’aménagement, à la démarche adoptée par les autorités, sans aucune concertation avec les communautés concernées. Cette absence de concertation se poursuit dans la phase finale de distribution des parcelles ».  

 

Prise en compte des droits de propriété des communautés villageoises

Selon  IRA, « une opération similaire antérieure s’est révélée « catastrophique », à Kaédi (100 kilomètres plus à l’Est), «avec l’extension des parcelles du Périmètre-Pilote du Gorgol (PPG), réalisée dans une opacité totale, qui a permis l’octroi de propriétés à des personnes totalement étrangères à la région et à l’agriculture, dont le seul mérite était d’être porteuses d’un capital financier ». La déclaration de l’ONG exhorte les autorités mauritaniennes à prendre en compte les droits de propriété des communautés villageoises, et à leur accorder, prioritairement, une partie des terres.

Dans le cas contraire, «elles seraient responsables de toutes les tensions communautaires engendrées par des distributions injustes ». Cela dit, IRA invite les communautés villageoises « victimes de ces agissements rétrogrades et, aux relents esclavagistes, à garder leur calme et à agir, pacifiquement mais fermement, pour le recouvrement de leurs droits légitimes ». La question de l’accaparement des terres dans le Sud mauritanien, née d’une ordonnance adoptée en 1983, sous un régime d’exception, n’en finit donc plus de susciter un vif débat dans le pays.

Emboîtant le pas à l’IRA, Kawtal  Ngam Nyellitaaré n’a pas manqué de dénoncer «  la spoliation des terres des noirs mauritaniens de la Vallée, aggravée par le projet FIDA sur le développement des filières inclusives », adressant plusieurs correspondances à des organismes onusiens. Pour l’ONG de Djiby Sow (arrêté et condamné, le 15 Janvier 2015, à deux ans de prison, en compagnie de Biram Dah Abeid  et de Brahim Bilal Ramdhane, pour leur participation à la Caravane contre l’expropriation foncière et l’esclavage foncier), « la question foncière est, en tout cela, le cœur du problème ».

 

Aiguiser les appétits fonciers

« Les milliers d’ha de terres cultivables de la vallée sont, depuis les années 80, sous la convoitise de l’oligarchie militaro-affairiste qui dirige le pays, d’hommes d’affaires et de simples spéculateurs fonciers mais, aussi, de l’agro-business international, venant, principalement, des pays arabes alliés du régime et, même, du Fonds Arabe de Développement. Une politique systématique de spoliation des terres est menée depuis, sous couvert de l’ordonnance 83-127 du 5 Juin 1983 portant réforme foncière et domaniale ». Aujourd’hui, fait  surtout constater Kawtal, « même cette ordonnance ne sert plus que de simple alibi, puisque ses dispositions sont purement et simplement ignorées des autorités. A titre d’exemple, seules les terres dites « mortes » (vacantes et sans maître) peuvent être classées, selon le texte officiel, dans le domaine public mais, l’année dernière, nous avions vus des gendarmes envoyés par les autorités détruire des pousses de mil dans les champs, à Dar El Barka (Brakna) sous prétexte que ces terres étaient désormais affectées à des hommes d’affaires arabes du Moyen-Orient.

Aujourd’hui, le Fonds International de Développement Agricole (FIDA) et le gouvernement mauritanien ont officiellement lancé, depuis le 3 Mai dernier,  le Projet de développement de filières inclusives en Mauritanie, d’un montant global de 45 millions de dollars. Et c’est seulement après ce lancement officiel que les autorités régionales du Brakna ont sorti, de leurs tiroirs, la stratégie cachée du gouvernement de spoliation des terres, au profit de populations venues principalement d’autres régions du Nord du pays ».

« Au moment où les populations noires du pays vivent la plus grande exaspération, face à une politique systématique d’exclusion dans tous les domaines, le financement du FIDA ne fait qu’aiguiser les appétits fonciers des tenants du système et ne fera que rajouter de l’huile sur le feu ». C’est dans cette optique que  Kawtal appelle « à sa suspension, voire son arrêt, en attendant la satisfaction de notre exigence, fondamentale, d’états généraux du foncier, pour une nouvelle réforme et un nouveau mode de gestion des terres, à défaut, bien sûr, des états généraux de la cohabitation intercommunautaire que nous appelons de tous nos vœux ». Par le passé, rappelle Kawtal, la Mauritanie a reçu des milliards d’aide, pour son agriculture, mais ces milliards ont toujours été détournés et sont, le plus souvent, tombés dans les poches des tenants du système.

« Après la déclaration de la Communauté internationale, classant la spoliation des terres en crime contre l’humanité, le régime de Nouakchott devrait savoir », indique Kawtal, « que des organisations comme la nôtre seront toujours prêtes à assurer la veille et à engager, si nécessaire, un bras de fer avec le pouvoir, y compris au niveau des plus hautes juridictions internationales ». Et de saluer la résistance des populations du département, face à une politique discriminatoire de spoliation des terres des populations noires de la Vallée. Elle apporte son appui, sans faille, en menant le combat de la résistance avec les paysans propriétaires bénéficiaires prioritaires légitimes des projets sur leurs terres.

Kawtal condamne vigoureusement les propos du hakem de Boghé, tenus  le 2 Juin 2017, devant une délégation de paysans, affirmant que l’Etat ne connaît pas de propriétaire de terres en Mauritanie. Kawtal n’hésitera pas à engager une procédure judiciaire internationale contre le gouvernement mauritanien, pour crime contre l’humanité, au constat de la spoliation injuste des terres des paysans noirs de la Vallée. Enfin, Kawtal appelle les Nations Unies et le FIDA à suspendre le projet de Développement des filières inclusives de 45 millions de dollars, jusqu’au règlement de la question, lancinante et récurrente, de spoliation des terres, par des états généraux du foncier, « une de nos exigences fondamentales pour une nouvelle réforme foncière en Mauritanie ».

Synthèse KAAW THIERNO