Autour d'un thé

3 September, 2014 - 02:12

Mais, en fait, c’est quoi cette histoire de gabegie qui ne finit jamais ? Une vieille trouvaille du coup d’Etat du 6 août 2008 qui avait permis, en son temps, aux tombeurs du seul président démocratiquement élu de notre jeune histoire nationale, de paraître sérieux et de faire avaler de gros cobras, à l’opinion nationale et internationale. On raconte que la lutte contre la gabegie aurait permis de restituer à l’Etat plusieurs centaines de milliards d’ouguiyas. Où sont, donc, passées ces ouguiyas ? C’est une autre histoire. Mais, visiblement, la gabegie existe toujours. La preuve, le président Mohamed Ould Abdel Aziz a demandé, au cours de la première réunion du nouveau gouvernement, de laisser en paix l’argent public. Il aurait même ajouté, sans détours, que celui qui vole ne va pas seulement payer, mais qu’il ira, aussi, en prison. Comme en 2009, la lutte contre la gabegie reste un thème central de la politique du président. Avec un petit plus : La gabegie n’est plus seulement de détourner quelques centaines de millions, par le biais de diverses manœuvres dilatoires et en s’aidant de quelques manœuvriers spécialisés dans la surfacturation, les fournitures fictives et autres registres de commerce, bons de commandes, cachets, en-têtes et appellations pompeuses, comme Mauritanienne de construction et de reconstruction, Société générale ouest africaine des banques et affaires ou Mauritanienne leasing, informatiques et nouvelles technologies des communications. D’autres formes de gabegie plus élaborées sont désormais pointées du doigt. Par exemple. Un député nomade. Autrefois élu sous les couleurs d’un parti de l’opposition. Ce qui est déjà de la gabegie. Pour la seule raison qu’il ne sort pas des écrans des télévisions privées où il ressasse le même discours, depuis qu’il a quitté le FNDD, le voilà à se prévaloir du droit de balayer Nouakchott. Un député ne nettoie pas les rues. Un député n’entrepose pas les ordures. Doit être poursuivi, pour avoir dévalorisé la fonction, particulièrement honorable, de représentant du peuple. Le trafic d’influence n’est pas loin de la gabegie. Exemple. Toi, tu es le père de Madame. C’est ta seule qualification. Moi, je suis directeur-général-administrateur d’une des plus importantes sociétés nationales. Avis d’appel d’offres, pour construction d’un siège de plusieurs dizaines d’étages. Quand le père de Madame l’emporte, sans posséder la moindre brouette ni même une seule pelle, et que des sociétés de vieille tradition dans les travaux publics ne voient que du feu, c’est quoi ça, surtout quand le père de Madame revend le marché à quelques dizaines de millions ? C’est gabegie ou pas gabegie ? Quand le comptable d’un ministère se permet de donner trois à quatre tickets de gasoil de 2400 à la sœur du ministre, c’est gabegie ou pas gabegie ? Les milliers d’heures supplémentaires que les secrétaires généraux et leurs directeurs distribuent, à tour de bras, à qui bon leur semble, c’est gabegie ou pas gabegie ? Quand les contrôleurs de la Communauté urbaine établissent des listes fictives sur la base desquelles ils sortent de substantielles sommes pour certaines grosses poches, c’est gabegie ou pas gabegie ? Quand, voici quelques mois, les services d’un certain ministère de l’Equipement et des transports, se complaisent à distribuer abusivement des permis de transport, hors commission d’examen, en contrepartie d’un montant majoré, c’est gabegie ou pas gabegie ? Quand, pour des opérations comme celle du Ramadan, les institutions superviseuses – elles visent très bien, en effet – claquent le double de ce qu’il faut, en paiement de bons de commande, démesurément surfacturés, de commerçants recommandés ; en honoraires indus, à des comités de suivi complaisants, et en frais de transport, à des entreprises déloyalement choisies ; c’est gabegie ou pas gabegie ? Quand les agents d’une institution publique chargée de réhabiliter les quartiers précaires des grandes villes peuvent se permettre, sans « avoir leur yeux dans leur derrière », de vendre les lots, par paquets, c’est gabegie ou pas gabegie ? Evoquer la gabegie sans rien faire contre la gabegie, c’est de la démagogie.