Pouvoir/opposition : Le referendum cristallise les tensions

27 April, 2017 - 01:20

Depuis que le président de la République a décidé d’organiser un referendum, pour faire adopter les amendements constitutionnels préconisés par l’accord politique du 20 Octobre 2016, la tension, entre le pouvoir et l’opposition, se crispe. On peut même parler d’une « double crispation », dans la mesure où une partie des sénateurs de la majorité présidentielle s’oppose, également, auxdits  amendements. Le pouvoir doit donc se battre sur deux fronts. Un front intérieur, in « majorité présidentielle », qui gagne du terrain, et un front extérieur, celui de l’opposition dite « radicale », qui  refuse, en l’actuelle situation politique, toute idée de modification de la Constitution, un refus d’autant plus résolu que le Président entend s’appuyer sur l’article 38 de celle-ci. C’est dire que le referendum  annoncé pour le 15 Juillet ne fait pas l’unanimité en Mauritanie.

 

Bataille juridiques

Jugé inapproprié, en la présente occurrence, par le FNDU, le RFD, certaines organisations de la Société civile et nombre d’artistes, l’argument de l’article 38 est également très contesté par divers constitutionnalistes  et  non les moindres. L’opposition dite radicale a été la première à organiser une conférence-débat autour de cet article. Maître Lô Gourmo Abdoul et  le professeur Mohamed Lemine Ould Dahi y ont battu en brèche l’argumentaire du pouvoir. Pour les conférenciers et les nombreux intervenants, la manœuvre présidentielle, qui veut passer outre la défection du plus des deux-tiers des parlementaires – quorum exigé, par l’article 99, pour entamer toute procédure de révision de la loi fondamentale –   n’est rien d’autre qu’un  coup de force contre la Constitution ; plus exactement même, une « forfaiture ». D’où leur  détermination à faire barrage au projet  gouvernemental, en organisant des campagnes de sensibilisation auprès des acteurs politiques et des citoyens, espérant ainsi lever des manifestations de masse contre tout tripatouillage du texte fondamental. L’opposition n’est pas que de forme. L’usage de l’article 38, contre les articles 99 et suivants, spécifiquement dédiés aux éventuelles modifications de la Constitution, serait un précédent, craignent l’opposition et ses soutiens, qui pourrait permettre, à l’actuel chef de l’Etat, de déverrouiller, par le même recours, la limitation des mandats présidentiels et, partant, de se présenter à l’élection de 2019. Le FNDU et le RFD mettent en garde contre les conséquences imprévisibles d’une telle « hasardeuse aventure ». Mais, si tel est vraiment le projet d’Ould Abdel Aziz, l’opposition réussira-t-elle à lui « faire échec » ?

De son côté, le pouvoir n’est pas en reste. Depuis que son patron a décidé de transgresser le veto du Sénat, c’est grande ébullition dans la bergerie. Le Raïs a fait savoir qu’il n’entend pas échouer une seconde fois. Les troupes doivent  donc se remuer pour faire gagner le oui. A tout prix. Les militants et cadres de l’Union Pour la République (UPR), principale formation de la majorité présidentielle, sont entrés dans la bataille. Après la réunion du bureau exécutif,  il y a quelques semaines, et l’invite à  se mobiliser pour le triomphe du oui, toutes les structures du parti ont repris du service. Les meetings de soutien fleurissent partout dans le pays. Cadres, élus et simples militants n’ont même pas attendu  de connaître la date du scrutin et la convocation du collège électoral, pour rivaliser d’ardeur, exhibitionnisme et excès de zèle. C’est en masse que les laudateurs ont fini d’investir les media publics, pour  « réitérer leur soutien au président de la République, « sauveur », et « sublime bâtisseur », selon eux, de la Mauritanie. Pas besoin d’aller chercher loin les thèmes de la campagne : elles sont là, les « réalisations grandioses » du Raïs ! Nouvelle occasion  de les magnifier, pour convaincre les citoyens de ce pays, tant redevables à leur « président fondateur » !

Répondant  à l’argumentaire de l’opposition, le pouvoir a, lui aussi, organisé une journée sur l’article 38. Ses constitutionnalistes et juristes y ont été enjoints à conforter la décision du président de la République. En exercice ou à la retraite, anciens et nouveaux bâtonniers, présidents  de  la  Cour Suprême,  avocats et autres universitaires ont rivalisé d’ardeur, tandis que Radio Mauritanie et la TVM se disputaient la couverture médiatique de l’évènement.  Mais une question reste : quel est le degré réel d’engagement des troupes, depuis le vote négatif des sénateurs, désormais qualifiés de « frondeurs », pour ne pas dire « rebelles » ? Nombre de militants et sympathisants ne sont pas convaincus par le projet de leur président, certains n’hésitent même plus à vous l’avouer  en aparté. C’est peut-être ce qu’a compris le pouvoir, en décidant de séparer la question du drapeau du reste des amendements. Cela suffira-t-il à éviter un nouvel échec qui sonnerait, c’est évident, comme le désaveu final à une aventure entamée, voici près de neuf ans, avec l’orchestration, en sous-main, d’une fronde parlementaire ? Quelle ironie, alors, de l’Histoire…

DL