Flagornerie : "Les amendements constitutionnels, ça se mange !"

27 April, 2017 - 01:15

"Le "goudron" se mange bien",  disait, le 20 Avril 2015  un élu de l'UDP, dans une émission sur la chaîne de Télévision nationale Al Mouritania. Cet élu, qui tenait, avec un remarquable excès de zèle, à valoriser les réalisations accomplies  sous la conduite du président  Ould Abdel Aziz,  dans le domaine routier, avait cru bon de débiter cette pitoyable "énormité".

Si, par les temps qui courent,  ce même élu est invité par Dame Khira National TV,  il  n’hésitera pas certainement  à en dire autant des amendements constitutionnels.  Il pourra même ajouter qu’à la fragrance de l’article 38, les amendements ont un goût  et des senteurs dont la Mauritanie ne doit guère se priver.

En fait, les amendements constitutionnels et la procédure à suivre pour la révision de la loi fondamentale s’imposent aujourd’hui comme  sujet d’actualité dominant  dans le pays. On ne parle que de ça ! Que l’on soit du côté du pouvoir, ou de l’opposition, à l’école, dans la rue  ou  au marché, on ne s’intéresse qu’à ce sujet qui alimente le débat public et fait l’objet de chaudes empoignades  entre juristes spécialistes du droit constitutionnel  et, parfois,  entre simples citoyens. 

Naturellement, tous ces débats ne semblent plus servir à grand-chose maintenant que le président de la République et son gouvernement, sourds aux appels leur demandant de s’en tenir au strict respect des articles 99, 100 et 101 de la constitution, ont fixé le référendum pour le 15 juillet prochain. Donc, plus rien à faire, sauf imprévu, on s’achemine tout droit vers le référendum à partir de l’article 38 de la loi fondamentale.

En réalité, c’est le contraire qui m’aurait étonné.  Dès le début,  le pouvoir - que dis-je, le président- n’a jamais caché qu’il tenait personnellement  à ces amendements là et qu’il met un point d’honneur à les faire adopter par voie référendaire, surtout  après l’affront asséné par le sénat. Mieux ou pis, le président, qui devait être au dessus de la mêlée, s’est identifié, lui-même, à cette réforme et l’avait exprimé dans sa précédente rencontre avec des journalistes au palais lorsqu’il leur avait dit : «moi, je n’accepte jamais la défaite et je ne démissionne jamais».

Le dilemme de l’opposition

Voilà où on en est avec ces amendements  en apparence sans grand enjeu si ce n’est le triomphe dans cette rude partie de bras de fer engagée contre  des sénateurs dont  le pouvoir accuse  certains de travailler pour le compte de ses opposants à l’étranger.

Pour l’heure, il reste à savoir quelle sera la ligne de conduite de l’opposition, la vraie, celle qui n’est pas allée au Dialogue. Participera-t-elle ? Ne participera-t-elle pas ? Fera-t-elle campagne pour le Non ou restera-t-elle fidèle à la stratégie éculée du boycott dont les résultats n’ont jamais donné satisfaction au plus grand nombre ? Est-ce que tous les pans de l’opposition se concerteront et adopteront une même position ou est ce qu’ils aborderont cette échéance en ordre dispersé, comme ils ont l’habitude de le faire. Ce sont là des questions auxquelles sûrement des réponses seront trouvées dans un proche avenir.

Quoiqu’il en soit, ces amendements constituent aujourd’hui une panacée pour tous ceux qui cherchent les faveurs du général président et de ses proches. Conscients de cela, nombre de flagorneurs n’hésitent pas à organiser de petits rassemblements publics, généreusement appelés «Moubadarate» où ils font l’éloge du président et appellent tous ceux qui veulent bien les entendre à voter massivement en faveur des réformes proposées par le pouvoir. Des réunions comme ça où viennent s’égosiller de sombres militants de quartiers, sans foi ni loi, ça rappelle la haïssable période des Structures d’éducation des Masses.

Généralement, les visites du président à l’intérieur offrent  un espace propice pour ce genre d’actions de sensibilisation, qui s’adressent plutôt au sommet qu’à la base. L’actuelle visite du général président à Nouadhibou n’échappera pas sûrement à la règle. Il n’y a qu’à voir le nombre élevé de notables et hauts fonctionnaires  ayant fait le déplacement pour la capitale économique où tout ce beau monde va témoigner de son attachement au président et de son soutien aux réformes constitutionnelles qu’il propose. Déjà, avant la visite, de nombreuses réunions sont organisées à Nouadhibou par divers segments de la société ou personnalités désireuses d’attirer l’attention présidentielle sur leur engagement ainsi que sur leur capacité de mobilisation. Pour s’assurer un grand renfort de publicité, les organisateurs de ces rassemblements prennent soin d’inviter une ou des chaînes de télévision. Et, ainsi,  les réunions similaires vont se multiplier parce qu’une réunion en appelle une autre et ainsi de suite.

D’ailleurs, des fois, le  but recherché à travers une visite présidentielle est un peu ça : il s’agit, en l’occurrence,  pour le pouvoir de montrer qu’il dispose de très nombreux soutiens, que les amendements constitutionnels vont sans doute passer et qu’il vaut mieux pour tous ceux qui ne sont pas déjà «derrière le président» de venir pendant qu’il en est temps lui faire acte d’allégeance.

Les espaces de communications ainsi créés sont un terreau favorable pour des inepties comme celle de l’élu UDP. Simplement, parce que pour se faire remarquer, il faut émerger du lot et, pour ce faire, il faut pousser le zèle à l’extrême. D’habitude, les maîtres flagorneurs s’en donnent à cœur joie à l’occasion des tournées présidentielles à l’intérieur.

Ainsi, tout récemment lors d’une visite à l’intérieur du pays et après avoir dit qu’il ne se présentera pour un 3e mandat, le président s’est vu être l’objet de prières insistantes lui enjoignant de rester encore pour un, deux, trois, quatre ou cinq mandats, voire plus !  Je ne sais pas encore de quelles bourdes se rendront coupables les cadres et populations à Nouadhibou mais je sais que, très probablement, il y en aura.

Si, il y a deux ans, l’élu de l’UDP nous disait friands du bitume, certains de ses pairs flagorneurs, soucieux de magnifier les réformes proposées par le pouvoir et d’attirer l’attention du président sur leurs personnes, pourraient ne pas hésiter à dire que les amendements constitutionnels se mangent et que, pour les avaler, nous n’attendons que le 15 juillet 2017. Oui, bien possible, parce que la boulimie en milieu saharien est source de flagornerie stupide et d’humiliante hypocrisie.

Bon appétit !           

Ely Ould Abdalla