Rachid Ly, écrivain : ‘’J’ai pris le parti de rire de tout ce qui n’est pas sacré, de tout ce qui ne heurte pas la morale ou la conviction des autres’’

7 April, 2017 - 16:10

Le Calame : Vous venez de publier un roman qui porte le titre « L’Enfant de Kaaylinga ». Pourquoi ce titre qui, si je ne m’abuse, se compose d’un mot Ouolof (Kaay) et d’un mot Pulaar  (Linga
ou lingui) ?

 

Rachid LY : Vous avez raison. « Kaaylinga » est une association des mots ouolof « kaay » qui veut dire « viens » et pulaar « lingui » qui renvoie aux danses chants organisés la veille d’un mariage en milieu halpulaar. A l’occasion, et durant toute la nuit, vieilles femmes et jeunes filles rivalisent d’adresse et replongent dans des coutumes qui, malheureusement aujourd’hui, tendent à disparaître…

Aussi, « Kaaylinga », pour moi, signifie « venez danser » ; empruntant quelque peu au festival « Kaay fecc » de nos voisins de l’autre rive.

Il reste entendu que tout cela traduit, au-delà de la misère ambiante, de la précarité de la vie, l’aléatoire du présent et le peu de garantie quant à l’avenir – traduit, dis-je – l’insouciance de ceux qui habitent les quartiers pauvres, par rapport au caractère guindé, aseptisé, routinier – pour ne pas dire chronométré – des résidents des zones huppées où le repli sur soi gomme toute extravagance et le festif. Alors que chez « les peu nantis », malgré les difficultés du quotidien, il y a toujours place aux réjouissances ; toutes les occasions heureuses donnent lieu à la fête et à l’exubérance…

 

D’ailleurs, le texte est inondé de ce genre de termes, pleins d’humour. C’est un choix de style qui ressemble un peu à celui de « L’étrange destin de Wangrin » de Hampaté Bâ et de « Les Soleils des Indépendances » d’Ahmadou Kourouma. S’agit-il là d’auteurs qui vous inspirent ?

 

Vous savez, moi, j’ai pris le parti de rire de tout ce qui n’est pas sacré ; de tout ce qui ne heurte pas la morale ou la conviction des autres. Le rire est une cure, un comprimé qui permet de dépasser bien des situations, de surmonter bien des montagnes à en faisant de simples obstacles à escalader ou à contourner.

Pour revenir à votre question, effectivement, ces grands auteurs africains m’ont beaucoup inspiré ; le premier (le Malien Amadou Hampâté BA) par sa sagesse, son érudition et sa vaste culture ; et le second (l’Ivoirien Ahmadou Kourouma) par son irrévérence et sa capacité à tourner tout en dérision. Mais mon maître à penser, à écrire, reste incontestablement feu Habib Ould Mahfoudh, le fondateur de votre journal Le Calame (que le Paradis d’Allah soit son éternelle demeure. Amin).

 

Kaaylinga ressemble beaucoup à  un quartier de Nouakchott ; on se croirait dans l’un de nos quartiers populaires où règnent  vols, délinquance, rackets, prostitution, consommation d’alcool et de drogue, insécurité, chômage… En dépit de tout ça, votre héros  réussit  tout de même à  tirer son épingle du jeu. C’est là un appel  à ne pas désespérer pour  de nombreux  jeunes issus des classes moyennes  ou pauvres ?

 

C’est surtout un appel à garder la foi ; la foi en ce que nous croyons ; la foi en ce que nous espérons ; la foi en notre capacité à relever les défis en tous genres qui jalonnent notre vie dans un monde en perpétuel mouvement et changement. C’est cette même foi, à mon avis, qui doit nous pousser à puiser dans notre passé pour construire notre présent et envisager, avec sérénité, notre avenir. Cette foi se doit d’être sans faiblesse mais aussi sans faille ; elle ne peut s’accommoder de doute ou de démission… Kaaylinga est une réplique de n’importe quel quartier populaire de Nouakchott : El-Mina, Sebkha, Dar-naïm, Arafat ou Riyad où se répertorient bien des tares et des méfaits. Mais malgré tout, c’est aussi des quartiers vivants, parfois insouciants mais surtout pleins d’espérance… Dans ces quartiers, la chaleur est encore humaine ; les rapports entre citoyens font presque fi de la classe ou du « standing » de Mahmoud le charretier (Moulê hamaar), Moussa le tôlier ou Maham l’enseignant (garraay)…

 

Le livre est fortement concurrencé par le Net ; les gens lisent très peu. C’est très certainement une petite frange de gens qui achète les livres. Existe-t-il de l’aide de l’Etat à l’endroit des écrivains que vous êtes ?

 

 C’est vrai que le Net concurrence beaucoup le livre. Mais, il est connu que les Mauritaniens – la Mauritanie est pourtant surnommée « le pays au million de poètes » - n’achètent pas beaucoup pour lire ; à commencer par les journaux. Le Net a bon dos mais, s’agissant de la Mauritanie, on ne peut le prendre pour bouc-émissaire.

Il faut aussi reconnaître que le prix des livres, surtout ceux édités à l’étranger, n’est pas à la portée de toutes les bourses. Raison de plus pour encourager les maisons d’éditions nationales, en premier lieu « 15/21 » et « Joussour/Ponts » de notre frère et ami le Pr Mohamed Ould Bouleiba.

Quant à votre question sur l’aide de l’Etat à l’endroit des écrivains, je ne suis au courant de la moindre assistance venant de lui. Depuis 1997, l’année de la parution de mon premier livre (« Le réveil agité ») chez L’Harmattan (France), jusqu’en 2017, cela fait exactement 20 ans que j’écris. Mon dernier roman (« L’enfant de Kaaylinga »), sorti en décembre dernier, est mon 6ème livre ; plus une contribution à un livre collectif (« Quand la sève devient lait »). Je n’ai jamais eu le soutien de l’Etat, ni en amont, ni en aval. Et je pense que c’est le cas de tous mes autres collègues écrivains. Mais nous ne désespérons pas. Un jour, sans doute, l’Etat comprendra-t-il que si les petits véhicules chinois (3 roues) communément appelés ici « WAW » sont utiles, les écrivains, peut-être, le sont aussi.

Propos recueillis par DL