Le Jeu de Towd (Kaz Ettowd, التود كز)

6 April, 2017 - 03:25

Le jeu de balle (appelée Towd en hassaniya) jouissait d’une très grande popularité du temps béni de mon enfance. La balle de ce jeu était confectionnée en cuir tanné avec une garniture faite de vieux chiffons qui lui assure légèreté et rotondité à la fois.

Depuis les années soixante-dix, nous vîmes apparaitre les balles de tennis que je croyais, en ces moments,  spécialement fabriquées pour le jeu de Towd, tellement elle en avait la forme et la taille avec, en plus, un bien meilleur rebond que nos balles en cuir ; on appela cette nouvelle balle « la poilue » pour la différencier de la Towd d’origine, en cuir lisse.

Comme de nombreux jeux de ces temps-là, le jeu de Towd avait ses règles, son vocabulaire, ses accessoires et ses fans. On peut même parler de « littérature » du jeu de Towd, tellement le langage courant en était imprégné. « Kaz Ettowd est ardu » (واعر لكزا), est un adage invoqué pour dire que la chose n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Ou encore « les questions de Towd doivent rester au fond de la vallée » (الگود في تبگَ التود أخبار) en guise d’invitation à ne pas susciter la polémique inutile et de laisser les problèmes là où ils étaient nés.

Kaz Ettowd était aussi un moyen civilisé de régler les différends entre rivaux et de relever les défis. Le joueur qui y étale son incompétence est raillé et taxé de « mangeur de crème » (للزبدة أكول). Dans nos sociétés, la crème (NDT : obtenue par brassage du lait caillé dans une outre en peau de chèvre) est utilisée comme sauce pour relever certain mets traditionnels. Mais il est de notoriété publique que l’abus de cette sauce risque de ramollir  les hommes qui deviennent « mous comme de la crème ».

Kaz Ettowd se déroule selon deux grandes modalités qui font appel, toutes les deux, à un accessoire incontournable qui est la batte. Elles ont en commun un adage populaire qui affirme que « l’important dans Kaz Ettowd est de courir » (الجري الكرة من المطلوب) et un horaire qui est le soir.

  1. La première modalité ou type de jeu s’appelle « T’hawrir » (اتْحَورِيرْ).Le jeu est essentiellement aérien. Un premier joueur frappe la Towd (balle) de toutes ses forces vers le ciel et avec la plus grande adresse possible. Il revient alors à ceux vers le camp desquels la balle s’est dirigée,  de courir pour la réceptionner et la renvoyer, par une reprise de volée, à l’aide de leur batte. Le but de cette modalité est de garder la balle en l’air le plus longtemps possible. Ce jeu ne se solde pas par la victoire d’un camp contre l’autre, une sorte de match nul qui diminue l’attrait de cette modalité de Kaz Ettowd.

 

  1. Le Ghalb (الغلب ou « la victoire ») est la deuxième modalité de Kaz Ettowd. Comme son nom l’indique, il se termine par la victoire d’une équipe sur l’autre. Ce type de Kaz Ettowd repose sur un ensemble de règles complexes et savantes. La batte (Debouss) utilisée ici est, elle aussi, spéciale. Elle est recourbée à son extrémité pour permettre de crocheter la Towd, d’où son nom « Ghawrave » (غَوْرَافه), dont le pluriel est « Aghwarive ». Certains auteurs auraient trouvé des références  à  cet accessoire dans la poésie arabe ancienne.

Les règles de ce type de Kaz Ettowd peuvent parfois varier selon les régions. Nous résumons ici les trois façons les plus courantes de former les équipes.

  • « Trakiz » (اتراكيز) qui consiste à procéder à la désignation des paires de vis-à-vis. En effet, chaque joueur d’une équipe donnée doit suivre et marquer, plus particulièrement, son vis-à-vis dans l’équipe adverse.
  • « T’aaçir » (اتعاصير) qui consiste à se répartir selon la classe d’âge (El Âçr=classe d’âge).  Le principe est que chaque classe d’âge joue contre la classe d’âge de ses aînés et de ses cadets. Par exemple si la classe d’âge numéro 5 joue contre la classe d’âge numéro 6, elle sera soutenue par les classes : 3, 1, 7 et 9. La classe 6, sera soutenue par les classes : 4, 2, 8 et 10. Les membres de la classe directement plus âgés sont appelés les « pères », ceux encore plus âgés, les « aïeux », quel que soit leur rang. Ceux moins âgés sont appelés les « fils ». Cette façon de former les équipes garantit à tout le monde de participer à Kaz Ettowd. Par contre, elle ne garantit pas l’égalité numérique des équipes car les classes d’âge n’ont pas les mêmes effectifs et cela dépend aussi du nombre de représentants présents de chaque classe.
  • Le système de désignation (الانتقاء)

Pour sélectionner les équipes, deux joueurs sont désignés, un par équipe ; en général, il s’agit des capitaines. L’opération de sélection se fait en prononçant, à tour de rôle, une suite de mots dont l’origine se perd dans la nuit des temps (NDT : la méthode de sélection ressemble à celle utilisée en Occident :Am, stram, gram, Pic et pic et colégram, Bour et bour et ratatam).

  • Bitcherme (بِتّيرْمَه)
  • Bilerme (بِلّيرمه)
  • N’betchou (نبتُّوا)
  • N’hallgou (انحلكُ)
  • N’challgou (انشلگُ)
  • N’ballgou (انبلگُ)
  • Je choisis (بالنگره عنك حولي)
  • Choisis et cache-toi (وابركنگر ا)
  • Je choisis (ناگر)
  • Je choisis, moi aussi (ناگر)
  • ….

Ainsi, c’est le sort qui déciderait de qui aura le privilège de choisir en premier. Il faut préciser, cependant, que le nombre de mots ou de formules à prononcer avant l’étape de « je choisis » étant impair, les habitués du jeu savent qu’il vaudrait mieux être celui qui prononce « Bitherme ». Autre particularité intéressante est que l’équipe qui joue contre le vent a le droit de compenser ce handicap en recrutant un joueur supplémentaire.

Chaque équipe marque son camp à l’une des extrémités du terrain (qui est, en général, dans la vallée, entre deux cordons de dunes).L’objectif de chaque équipe est d’amener la Towd jusque dans son camp. La défense de chaque équipe aura donc comme mission d’empêcher l’équipe adverse d’atteindre son camp. Parfois, la victoire est acquise par capitulation de la défense. Le jeu peut être clôturé rapidement, par capitulation ou d’autre fois durer des heures et des heures et encore d’autres fois se terminer sans victoire.

Après la formation des équipes, la délimitation des camps et la mise en route du jeu, les joueurs se répandent sur le terrain, chacun de son côté et chacun selon son poste. On distingue trois postes dans le Kaz Ettowd :

  1. Les « Hawassa » (الحواصه) qui correspondent aux attaquants en football ;
  2. Les « Rayadha » (الرياظه), à qui correspondraient les défenseurs ;
  3. Les « Khartala » (الغرتاله) qui seraient les équivalents des milieux de terrain.

Le jeu est lancé à partir d’un point particulier appelé « Elmowrda» (الْمَوْرْدَه), situé au milieu du terrain à égale distance entre les deux camps. La balle est enterrée dans Elmowrda. Les deux capitaines, armés de leurs battes respectifs (Ghawrave), prennent position de part et d’autre de ce point central et frappent, à tour de rôle et le plus rapidement possible, le monticule de terre que surmonte la balle ; le but ici et de la déterrer et de l’envoyer le plus haut et le plus loin possible dans la direction de son camp.

Kaz Ettowd possède aussi ses fautes, ses anti-jeux et ses interdits. Par exemple, il est interdit de toucher la balle avec la main. Une telle faute provoque l’arrêt du jeu, qui peut reprendre soit à partir du point central soit à partir du point où la faute a été commise. Par contre, il est tout à fait licite de frapper la balle avec le pied. Mais cela se fait aux risques et périls du joueur qui s’expose à recevoir des coups de batte sur les membres inférieurs de la part des autres joueurs.

Il est, en outre défendu, de jouer sur son côté gauche. Une telle disposition permet de protéger les adversaires qui viennent en face et qui se retrouveront, fatalement sur la gauche du porteur de balle. L’auteur d’une telle infraction se voit interpellé aux cris de « Attention à ton côté » (NDT : équivalent à « fais gaffe à ton côté »). Cette infraction met en difficulté les joueurs gauchers. Mais un aménagement spécifique permet d’atténuer ce handicap. Le joueur gaucher est tenu à tenir le batte et de jouer avec son bras droit lors des mêlées mais, quand le champ lui est dégagé, il peut utiliser son côté gauche.

S’il arrive qu’un jour se blesse ou  casse sa batte, le jeu est interrompu. La demande d’arrêt de jeu est exprimé par le capitaine en criant « Manne Lkoum » (الكم مانَّ) ce qui pourrait être traduit par « pouce », qui signifie une demande d’interruption de jeu. Le jeu est arrêté jusqu’à la résolution du problème. Si le joueur blessé est amené à quitter le terrain, son vis-à-vis de l’autre équipe sort du jeu, lui aussi.

                                                                                              Mohamed Salem Ould Jiddou

         (Traduction du groupe « العقول حدائق » « Jardins de Lumières »)

(Extrait de « Souvenirs épars » (مبعثرة ذكريات) publié par l’auteur sur sa page : https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=1582694312009453&substory_index=0&id=100008066977658)