L’amoralisme des nations

30 March, 2017 - 01:10

L’Histoire fait parfois preuve d’un humour féroce et les hommes politiques, d’un étrange manque de mémoire. Devant ces monstruosités, les Etats civilisés accomplissent leurs devoirs, tous leurs devoirs : sans barguigner, ils « condamne fermement l’épuration ethnique » (Résolution n°771 votée le 13 Août 1992). C’était déjà la dix-huitième résolution par laquelle le Conseil de sécurité manifestait au monde son inébranlable « fermeté ». Inébranlabilité pas vraiment efficace car, sans doute mal informées de ce qui  se passe à l’ONU, des brutes forcenées s’acharnent à poursuivre leur sale besogne.

 L’ « obligation morale », invoquée, fin 1992, par les pays réputés démocratiques, ne pouvait être dissipée dans des négociation trompeuses, des promesse futiles, des manifestation de faiblesse, des menaces non suivie d’effet, et, pis encore, dans l’étalage des éclatantes contradictions, entre les diverses capacités occidentales. De même qu’il n’y eut pas plus de morale dans l’indignation autour du « couloir de Dantzig qu’en la veulerie D’ailleurs, parler de «  morale » était, en soi, une erreur : les Etats n’en ont pas, « ils n’ont que des intérêts ». Morale et réalisme sont tout aussi absents, face aux conflits identitaires qui ont déjà allumé tant de foyers de haine, sur le vaste territoire naguère tenus, d’une main de fer, par des régimes totalitaires. Ces déchirements ne sont traités qu’en vertu d’un seul et unique principe, si séduisant dans sa simplicité : le respect scrupuleux des sacro-saintes lois du marché. Las ! Faisant fi des plus élémentaires aspirations sociales et culturelles, ce pseudo-pragmatisme n’a jamais produit le moindre miracle ! Au contraire : en Afrique comme ailleurs, il a fait surgir le chaos, installé les mafias, dilapidé les ressources, organisé la fuite de capitaux, sapé le pouvoir qu’il prétendait soutenir.

Faut-il croire qu’après avoir été sacrifiee à la plus froide logique commerciale, une « morale » sociale serait en train de retrouver quelque droit ? Avec la fameuse «  clause sociale », dans les accords commerciaux, permettant « d’inciter » les pays-tiers à abolir, pour conserver leurs débouchés, le travail forcé ainsi que celui des enfants, et à respecter le minimum de droits syndicaux ? La condamnation de l’esclavage et du travail des enfants est «  facile à appuyer, en théorie, mais difficile à mettre en œuvre ». Mais, dans une Europe même fidèle à son histoire, une simple résolution du Parlement européen pourrait-elle dissuader les grandes multinationales à réaliser une part outrancière de leurs profits, via leurs filiales éparpillées, en des pays dépourvus de tout droit social ?

Dans le domaine social, si la concurrence, avec les pays à bas salaires et faible compétitivité, est inévitable, elle ne doit pas provoquer le démantèlement des régimes de protection sociale mis en place dans les Etats industrialisés. Tous les Etats doivent respecter la plus élémentaire norme sociale.

Attitude légitime, bien que trop défensive. Il convient d’aller plus loin et adopter une démarche constructive car, en luttant contre les plus odieuses formes d’exploitation dans certains pays, le principal objectif de la « clause sociale » est, d’abord, de «  favoriser la démocratie sociale » dans le Tiers-Monde. Le mépris du droit social, en diverses régions de notre planète, n’a pas pour seul effet de menacer l’emploi et les conquêtes sociales des  pays industrialisés. Plus grave et violant la plus élémentaire morale, il tient en servitude des centaines de millions d’êtres humains, et concourt, non pas à un développement équilibré, mais aux fabuleux enrichissements d’une minorité privilégiée, experte dans toute la gamme des fraudes et des corruptions.

«  La position morale des partisans de l’économie de marché », résume William Pfaff (1), « peut être ainsi décrite : elle attribue, à l’amoralité, une valeur morale positive. Elle soutient que l’introduction de  considération morale, sur la place du marché, fausse le fonctionnement de celui-ci et génère, par conséquent, du tort […].  Le politique économique n’est pourtant qu’un moyen, ordonné à une fin qui doit être définie en termes de valeur sociale et politique ».

 

 

                                                                             Amadou Sy Alioune

Consultant

 

 

(1) : in « Put Morality and Humanity Into the Economic Policies », International Herald Tribune, 14/09/1993.