Bilan de sextennat, crise du sénat et présidentielles en vue

19 March, 2017 - 19:45
  1. Tumultes et soubresauts

Malgré les succès récents en matière de bonne gouvernance et de stabilité, le pays s’enfarge un peu dans l’embrouillamini de contextes géopolitiques nouveaux et endure, assez chroniquement, une ébullition interne où des voix s’élèvent ; tantôt alimentées par un soutien étranger à peine masqué (soutien occidental à l’IRA), tantôt entretenues par une nostalgie coriace, mais toute plate, à des régimes déchus (nostalgie de l’opulence gabegique de l’époque Maouiya).

Jamais, depuis quelques décennies, autant de bouillonnement n’a touché la scène politique interne et jamais la Mauritanie n’a été l’objet des prédictions de mauvais augure, des supputations noires sur son demain et de l’acharnement d’une « masse parlante », transformée pour l’occasion en structure de voyance sinistre.

Quand on remonte le temps, au lendemain de l’avènement du régime actuel en 2009, on constate que le feu vert donné aux réclamations du citoyen, avait été une aubaine, vite saisie par les couches défavorisées et les soi-disant victimes de dommages ou d’abus quelconques. Un certain climat de brutale liberté a fini par dessiner, quand même, un tableau de sauve-qui-peut général, tant les revendications et plaintes ont été nombreuses. Mais loin d’attribuer cela à un « laxisme démocratique », ou juste un peu du moins, on le mettrait plutôt sur le compte, assez positif, d’un nouvel élan de proximité politique, devenu tellement rassurante que le peuple, dans toutes ses sphères, se relaye à pleurer ses souffrances, croyant trouver brusquement l’interlocuteur qui faisait défaut (grèves syndicales à la SNIM en 2015, revendications locales pour faits divers, pétitions politiques, manifestations improvisées, etc.).

Hier, le Sénat a rejeté le projet d’amendements constitutionnels, déjà entérinés par l’Assemblée Nationale. Ce vote sanction semble perturber les esprits, en tant que réaction inédite dans une chambre haute, acquise à la majorité et devant faire passer, en les entérinant, les textes soumis par le Président de la République.

D’aucuns, ici et là, supputent des scénarii de ‘‘vengeance institutionnelle’’ ou de recouvrement de crédit politique.  Certes, l’ambiance  est très tendue et le Président affronte, pour la première fois en Mauritanie, un soulèvement démocratique, orchestré par ceux qui devraient relayer sa volonté et officialiser ses projets.

Sur le plan technique, la situation peut sembler ordinaire et ne point dépasser le cadre, juste et normal, de parlementaires faisant leur devoir. Surtout que l’ordre du jour, comportant la suppression du Sénat, de la Haute cour de Justice,  du médiateur de la République et du Haut Conseil Islamique, prend l’allure d’un réaménagement institutionnel banal, doublé d’une révision des charges publiques mais limité à des choix institutionnels de simple administration.

On ne peut bien entendu nier que les conséquences politiques d’une telle situation sont notables. Mais les choix offerts, pour y remédier, restent également  légion. En outre, ce vote sanction prête son double flanc à la double interprétation, normalement applicable à chaque grand déclic dans la vie d’un pays : Il traduit, d’une part, un cinglant affront partisan adressé à la personne du Président mais consacre, au profit de celui-ci même, la paternité d’un aménagement inédit du cadre de liberté parlementaire. Au compteur d’un Etat en voie de démocratie, cet acquis n’est pas moindre.

Les prochains jours seraient riches en événements et le Président doit y choisir une sortie de crise, qui, quelle qu’elle soit, entamerait sa puissance électorale et enlèverait au crédit de la majorité. Mais la république n’en changera pas pour autant, l’exercice du pouvoir n’en sera pas bouleversé et le pays continuera de fonctionner, de la même manière et avec les mêmes usages.

Enfin, au-delà de toute la polémique, ce vote du sénat ne semble pas refléter une véritable droiture professionnelle ni privilégier, comme il se doit, l’intérêt de la Mauritanie ou l’avenir de la démocratie.

Il est évident que les amendements constitutionnels ne sont pas nécessaires, à part la suppression du sénat, peut-être. L’Assemblée Nationale aurait dû manifester  son désaccord car directement élue par le peuple et disposant alors de coudées plus franches et d’aisance plus manifeste. Elle ne l’a pas fait car les amendements concernés ne prévoient simplement pas sa suppression. Or les sénateurs de la République, fragiles législateurs à longévité précaire, élus au suffrage indirect par les conseillers municipaux de l’UPR, entrevoient, en validant les amendements, une rupture de carrière, suivie peut être d’une longue traversée de désert. Leur vote est une réaction de survie personnelle, adaptée par les circonstances au calibre d’un comportement politique valeureux. Une telle coïncidence plaît à grand monde   et fait l’affaire, de façons différentes, des nombreux mécontents de la République (Opposition radicale et groupes UPR défavorisés).

Le Président se trouve en grande difficulté mais il dispose d’un certain bilan et demeure outillé pour manœuvrer encore, jusqu’à la fin de son mandat.

 

  1. Un bilan tout de même ?

Il ne faut jamais se rendre coupable de l’apologie aveugle d’un système politique car elle ne sert à rien et, dans tous les cas, ne convainc pas grand monde. Mais il ne faut pas perdre le courage  de reconnaître les faits, juste pour placer des acquis dans leur contexte et pour leur trouver un emplacement juste dans le processus de construction du pays. Chaque régime politique, même décrié et incapable, a dû laisser une trace qui, minime soit-elle, s’enchâsse dans l’œuvre commune d’édification, transgénérationnelle par nature et successive par excellence.

Il ne sera pas utile de lister les réalisations du sextennat en cours ou de recenser les actions qui y sont dédiées au citoyen et à la République. Beaucoup, à la majorité, se chargent de le prouver  tous les jours et d’aucuns, à l’opposition, peinent à le démentir tout le temps. Sur ce plan, la polémique, spontanée et irréductible, relève de la rupture de principe et consacre, religieusement, une dualité antagonique de caractère absolu (majorité contre opposition). Or, normalement, les deux camps devraient converger sur certains points, au risque de décrédibiliser la contestation et de personnaliser la critique.  

Mais, par-dessus les rivalités politiques, il existe un bilan de règne qui doit susciter, au moins, notre sens de l’analyse. Il existe aussi, pour l’opposition, un bilan de lutte, devant être soumis, le plus rigoureusement possible, au jugement et à l’évaluation.

 

  1. Enjambées blanches sur « la question noire »..

Depuis 2009, la question des droits de l’homme façonne le débat et les revendications à caractère ethno-racial trouvent, pour la première fois, un cadre dégagé. Ce courage d’affronter les grands sujets de scission est un instrument d’unisson qui avait toujours fait défaut. Ni censurés ni dramatisés, les discours de l’IRA, des FLAM, des salafistes ont été contenus, chacun comme il se doit, dans une optique de prise en charge des conflits périlleux de la société profonde.

Dorénavant, les communautés traditionnellement mécontentes savourent l’égalité à travers le droit de se plaindre (judiciarisation des contentieux esclavagistes ou racistes), et goûtent au nivèlement social par le droit de dénoncer (autorisation de toutes opinions, même sévères, de type antiraciste ou contre-esclavagiste). La Mauritanie arrive alors, timidement encore, à se regarder en face et le peuple choisit de se réconcilier avec lui-même, sans doute dans la douleur mais toutefois pour de bon.

Aussi, à y voir de près, les revendications de type ethnique, racial ou doctrino-théologique, se sont révélées un exutoire précieux à des frustrations historiques. Défouloir communautaire ou foire raciale d’émancipation, l’ébullition sociale actuelle amorce une dynamique d’entente et consacre la mise en marche définitive du processus de réconciliation nationale, par des décisions circonstancielles (loi anti-esclavage, tribunaux spécialisés de l’esclavage, etc.) ou par l’effet d’un cheminement naturel de l’affranchissement (discriminations positives, intégration économique des descendants d’esclaves, etc.).

Le désamorçage des tabous racio-ethnique a commencé par la présidentiabilisation du leader de l’IRA,  icône sacrée de l’extrémisme harratine. Cela permit d’enrayer la colère d’une immense frange sociale et d’introduire, pour le bien tous, l’idée de ‘‘ la démonopolisation du pouvoir’’.

Accompagnée d’une euphorie communautaire vitriolée, compréhensible et logique, la légitimation officieuse de l’IRA n’a finalement nui à personne. Plus même, elle a démystifié le discours extrémiste et dénudé les limites de l’idéologie incomplète, prônée récemment par certains leaders du mouvement. Aujourd’hui, le radicalisme harratine se dégonfle, en répudiant progressivement la violence. Il tend même, par les scissions successives (naissance du parti ANDCG), les guerres intestines et les vagues de transfuges, à se reconstituer au moule de l’échiquier local et à celui des exigences de la concorde générale.

Hier, le mouvement El Hour, fêtant son 39ème anniversaire au palais des congrès, comme si jamais il a été reconnu, se range pleinement dans le répertoire de la Mauritanie plurielle.

 

Grand épouvantail des systèmes politiques successifs et « tabou explosif » de toutes les générations, la question raciale a été constamment étouffée par tout le monde. Or, le présent de la Mauritanie se fait avec les Harratines et, au vu du cheminement de la démographie, son devenir se fera, essentiellement, grâce à eux. Il n’est pas besoin d’être visionnaire pour s’en rendre compte mais il suffit de ne pas être brave pour ne pas s’en apercevoir.

Dans cet ordre d’idées, faut-il avouer que le rappel du mouvement FLAM, invité à venir défendre son projet et à déterrer les dossiers de la persécution, se dénoue assez positivement. La tension baisse alors à tous les points de discorde et  la Mauritanie, se ‘‘libérant’’ de deux boulets historiques, retrouve son aisance d’intégrer le monde libre. Plus même, d’autres vrais succès sont enregistrés dans la lutte contre l’extrémisme islamiste.

 

  1. La neutralisation de la violence religieuse..

Pour demeurer dans le registre des fissures sociales profondes, il convient de faire un crochet par le règlement des dossiers de l’islamisme radical. Je ne me se souviens pas d’un pays qui a pu sortir, ces dernières années, de l’engrenage de la violence religieuse. Expression de croyances sacrées ou symptôme de gangrène tentaculaire, le terrorisme démord rarement quand il arrive à bien prendre dans un tissu social. Des Philippines aux USA, de la France au Nigeria, du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord, de l’Afrique de l’Ouest à l’extrême Somalie, les conflits religieux ne guérissent pas.

La Mauritanie, en 2007, est passée par ce cap mais, à la différence de tous ses voisins, voire de tout le monde, elle a pu absolument s’en sortir, retrouvant sa tranquillité légendaire de territoire gigantesque, aux frontières béantes, uniquement gardées par l’œil du SEIGNEUR.  Mais il a fallu engager, auparavant, un dialogue hardi, presque inédit chez les autres, avec les terroristes islamistes ; dans une optique évidente de responsabilisation de l’adversaire et de prise en compte, quelques soient les enjeux, de son opinion dangereuse (confrontations savantes avec les prisonniers salafistes, en date du 15 janvier 2010).

Pour l’Etat, versé dans ce défi depuis 2009, le risque encouru était énorme (en termes de discrédit politique, de volume de concessions et de ‘‘trahison’’ aux méthodes des partenaires sécuritaires) mais les avantages espérés étaient aussi importants (en termes de compréhension de la nébuleuse extrémiste, de neutralisation de l’ennemi et de pacification profonde de la société). Attribuables au régime actuel, de tels acquis ont la particularité de fonder la paix commune et d’asseoir un cadre républicain, propice au progrès et à la démocratie.

Mais, « la sécurité ne se mange pas », répliqueraient d’aucuns ! Certes, un régime se juge aussi sur son rapport avec la chose publique et sur sa diligence à préserver, en les fructifiant et en les partageant, les richesses de la Nation.   

 

  1.  Retour aux vieilles honnêtetés ?

L’esprit de la noble gestion du pays connut sa première lancée sous l’égide de Me Moctar Ould Daddah. Vite, s’ensuivit une longue gabegie, orchestrée durant les premières années de régime militaire, et aggravée, un peu plus tard, par les années-pagaille, déclenchées par les élections pluralistes de 1992 et clôturées par le coup d’Etat du 03 août 2005.

L’Etat était un butin populaire, pillé dans le désordre, le cynisme et l’irresponsabilité : Petit à petit, la logique tribale envahit la raison d’Etat, l’accapare et la transforme. Le pays se moulait ainsi dans le clan et le projet de Nation se désagrégeait en mille rêves de dignitaires, toujours exaucés par le régime déchu afin de se maintenir et de perdurer. Les ressources de l’Etat, détournées et dispatchées, étaient exhibées dans la rue (fausse opulence nationale) tandis que la mise en suspens de l’action de développement clouait le peuple au plus bas stade de pauvreté et d’indigence. Les miettes de la corruption arrivaient partout et le citoyen lambda s’en saisissait, tout dépassé, comme étant sa part méritée de la richesse nationale.

Aujourd’hui, les choses sont loin d’être rentrées dans l’ordre mais des vannes de dilapidation viennent d’être fermées. On assiste alors à ce qui ressemble à un « sevrage de gabegie », cependant dénigré par un remous citoyen, plus ou moins large. Mais il ne s’agirait que d’un  désaccord provisoire, formulé par des nostalgiques aux fruits collatéraux des détournements traditionnels de deniers publics. Au fil du temps, le citoyen doit comprendre que l’argent public est uniquement  destiné aux projets communs et aux actions d’utilité générale.

 

Mais la gestion du pays ne donnera le meilleur fruit sans la collaboration dynamique entre les différents acteurs politiques, y compris les forces de l’opposition dont la critique objective fait office de gendarme parallèle de la transparence. Seulement faut-il arriver, pour cela, à une espèce d’entente préalable, juste pour les échanges de propos, entre les institutions de la majorité et les formations de l’opposition.

 

 

 

  1. Le syndrome du courant qui ne passe jamais

La classe opposante, dans toute sa diversité, ne produirait pas encore ce discours charismatique, nécessaire pour opérer la  conquête massive des idées et des consciences. À vrai dire, le peuple boude systématiquement, depuis 1992, moins nettement en 2007, l’appel au changement tenu par les leaders de l’opposition.

La plupart des partis d’opposition, tels des courants d’agrément, ne semblent même pas disposés à gouverner ou, pour être précis, ménagent toujours « leur renom », en évitant de se mettre à l’épreuve électorale. C’est pour cette raison que, depuis quelques années, l’idée « du dialogue à conditions » a été posée, fermement, comme antichambre de la participation à la vie politique du pays. Le recours à un tel procédé semble s’originer dans une stratégie de recul vis-à-vis des affaires de la cité ; à tel point que les plus grands partis d’opposition, surpris par leur impopularité (V. III, infra.) entretiennent l’idée de leur ‘‘grand électorat théorique’’, en prenant soin de fuir méthodiquement les rendez-vous électoraux.

Aujourd’hui, bien qu’on puisse le reformuler plus gentiment, l’opposition semble quémander au régime « un coup de main politique », à caractère de concession immense ou de vague assistance, afin qu’elle puisse remonter la pente et reparaître avec cette image qu’elle sait ne plus posséder.

Ironie de contexte ou simple paradoxe mauritanien, le véritable blocage réside alors, pour les opposants, dans un sentiment d’impuissance électorale, sous-tendu par le désir de concrétiser une ambition politique démesurée. En attendant de réaliser cet équilibre, entre les objectifs visés et les moyens d’y parvenir, l’opposition est contrainte à ‘‘gagner du temps’’ par les menaces de boycott, les manœuvres dilatoires et, en toile de fond, le refus de reconnaître la légitimité du Président élu. Dans un climat pareil, tout le monde est amené, tout naturellement, à parler de blocage, à percevoir la physionomie d’une crise et à croire, stupidement, qu’un consensus sur quelque chose devient une nécessité. Nous sommes depuis des années à ce stade.

A moins que le régime ne soit sous pression étrangère, on ne peut comprendre qu’il daigne encore se soucier de la bouderie d’une opposition, réduite à commettre des ratages d’événements et à s’enfermer, chaque jour, dans un désintéressement fatal.

Il y a 10 ans, l’accord de Dakar avait préludé au scrutin de 2009. Mais, logiquement, juridiquement surtout, ses clauses ne pouvaient s’étendre au-delà de l’élection présidentielle qui s’en était suivie. Car, après l’investiture du Prédisent de la République, une nouvelle légitimité s’était instaurée et, à moins de personnaliser indéfiniment les offices, on doit considérer que les différentes délégations, formées pour la négociation, uniquement d’ailleurs,  étaient absolument dissoutes. Le rapport avec l’opposition, battue aux urnes mais reconnue comme partenaire, ne pouvait donc se poursuivre par les canaux parallèles d’un accord d’urgence, scellé en terre étrangère pour passer un cap circonstanciel.

La « constitutionnalisation » des clauses de l’accord de Dakar et l’éternisation de leur contenu ont réellement faussé le jeu politique et se trouvent même à la base de « l’obsession de dialogue », contractée depuis lors comme « syndrome de refus », justifiant, à toute occasion, une panoplie de conditions à la participation aux affaires de l’Etat.

Gérée sur dix ans déjà, sans le survolteur de l’opposition, le pays supporte bien ‘‘la crise’’. Ses institutions ont toujours bien marché et sa santé économique, de l’avis de tous, est loin de susciter l’inquiétude.

 

  1. Quelques bons chiffres, à titre indicatif..

On éprouve toujours une petite gêne à devoir égrener les hauts faits de quelqu’un. La frontière entre l’encensement subjectif et le jugement correct est une ligne embuée au vu de tout esprit à préjugés. Ce flou des limites fait risquer à celui qui s’y hasarde, presque toujours, une stigmatisation toute injuste, mais toute bénigne au final car mal fondée tout le temps.

Le commun des mortels n’aimant pas trop l’abstrait, on pourrait donc citer, depuis 2009, le redressement de l’infrastructure hospitalière, toujours catastrophique certes, mais nettement améliorée.  Le réseau routier s’améliore à vue d’œil et le nouvel aéroport élève la Mauritanie au club régional des pays infrastructurellement dotés.

Le PIB passe à 1600 milliards en 2016, au lieu de 700 milliards en  2008. Le pays a su garder le cap, après la croissance soutenue entre 2009 et 2013, suivie d’un effondrement persistant du prix du minerai de fer jusqu’en juin 2016.

Avec de solides performances économiques entre 2009 et 2015, la Mauritanie s’en sort bien et s’offre même des perspectives favorables à moyen et long termes. Le taux de croissance de 6,1 en 2014 descend à 3,1 en 2016 et, probablement, selon les estimations, passera à 4,3 en 2017. Il faut aussi noter que certains signes annoncent déjà de bonnes performances sur le court terme, avec le rebond des prix du minerai de fer et d’or et la grande confiance des bailleurs traditionnels (BM, BAD, UE, BEI, en plus des pays du golfe). L’intensification des négociations sur le champ gazier Ahmeyim (l’offshore profond à la frontière avec le Sénégal) s’ouvrira normalement sur une exploitation qui doit entraîner des perspectives économiques avantageuses.

Mais à l’heure actuelle, les mauritaniens, peu enclins à la politique par les chiffres, se plaisent déjà à pronostiquer le futur Président de la République, l’esprit au loin, à deux ans d’avance sur le présent qui se meut, mine de rien, à son rythme habituel.    

 

  1. Les défis immédiats  de l’alternance démocratique

Aujourd’hui, le monde ne tourne pas rond. Et un petit pays, comme la Mauritanie, encourt de grands risques s’il se fait disputer le leadership par les chasseurs impénitents de l’autorité ou par d’autres férus du grand pouvoir. La lutte pour la magistrature suprême doit être temporisée par une rationalisation des ambitions politiques individuelles, en ce sens que les personnalités politiques en vue, grisées ou frustrées, ne doivent compromettre la stabilité du pays pour concrétiser des rêves de personnelle gloire.

Pour être précis, le basculement de l’autorité du camp de la majorité au camp de l’opposition reste un choix populaire, s’opérant toujours, du moins le plus souvent, au terme d’une répudiation brutale de la classe gouvernante. Il n’est pas rare que les stars de l’opposition habituelle n’y soient pas conviées, surtout quand elles sont usées par la monotonie de la méthode et qu’elles revêtent, à force de passivité et de platitude, le statut de coupables principaux, identiquement responsables de la déliquescence du pays. Mais cette digression, hors de propos, nous propulse déjà dans les décors des grandes révolutions. Or, l’essentiel reste plutôt de mettre l’accent sur le rôle, de plus en plus limité, des partis politiques, dont, à titre illustratif, les diverses coalitions de l’opposition.

De nombreuses raisons poussent à émettre des réserves sur l’idée d’une transmission du pouvoir, en 2019, par les urnes, à des politiques issus de l’opposition classique. Pour cela, peut-on se référer à un diagnostic de situation, corroboré par des faits et sous-tendu par ce qui semble être, chez tout électeur opposant, « un syndrome de fanatisme politique éphémère ». En effet, quand on remonte l’histoire des votes, on se rend compte que l’idée de changement de régime crée de l’engouement, de manière subjective, à chaque grand tournant électoral, mais jamais au-delà. L’enthousiasme s’émousse aussitôt, donnant lieu à un retour d’allégeance au régime établi, qui semble alors avoir été contesté par erreur, ou presque.

 

  1. Un pays sans opposition

Le 24  janvier 1992, l’UFD allume des espoirs inédits et son candidat obtient 32,75% des suffrages, dans un tollé grandiose, où les foules réclament la victoire et crient à la fraude. La mobilisation de l’opposition, à cette époque, était sans précédent. Mais, juste après, lors des Présidentielles de 1997, les électeurs plébiscitent le Président sortant, carrément boudé, il y a sept ans. Le principal candidat de l’opposition n’obtient alors que 7,02 %. Même impopulaire, et plus ou moins fantoche, son score ne démontre plus, comme en 1992, un « rejet populaire » du Président sortant.

En 2007, le candidat de l’opposition obtient 47,11%, preuve d’un regain inédit de la volonté de changement, ravivée alors, plus qu’en 1992, par le noviciat politique du « candidat de la majorité » et par l’idée d’une « amorce définitive de tournant radical ». Mais, plus tard, à l’occasion des présidentielles de 2009, les foules opposantes ne vont pas maintenir leur attitude. Le score du meilleur candidat de l’opposition tombera ainsi à 16,29% et, en 2014, à seulement 8,67 %.

On en déduit que ’électorat mauritanien, depuis la démocratisation, ne s’était donc divisé qu’à deux grandes occasions-repères, en 1992 même et, plus clairement, en 2007. Les autres rendez-vous électoraux, de présidentielles surtout, s’étaient soldés, pour l’opposition, par  des scores incroyablement et régulièrement bas (7,02 %, en 1997, pour le meilleur candidat, 18,7 en 2003, 16,29% en 2009 et 8,67% en 2014). Cette constance dans l’échec est très significative puisqu’elle révèle, par sa phénoménale récurrence, un déficit de confiance populaire, à la fois énorme et persistant envers l’opposition politique nationale. A juste titre, le score moyen de celle-ci, calculé pour les quatre rendez-vous témoins, n’est que de 12, 67 %. Une telle impopularité prouverait que, sur une période 18 ans (entre 1997 et 2014), le peuple mauritanien avait opté pour le maintien des Présidents sortants.

Le score des Présidentielles de 2007, s’expliquant par des considérations plutôt personnelles (rejet de principe d’un candidat et reconfiguration complexe des alliances opposantes) ne renseigne pas sur la tendance profonde du vouloir populaire.

Mais, que cela résulte d’une mentalité électorale particulière, de l’usure de personnages ou de l’incapacité de mobiliser l’opinion, la chronologie du suffrage démontre que la Mauritanie n’est pas un pays de contestations et qu’aucun mouvement politique d’opposition n’a pu, en lame de fond, bouleverser l’ordre principal défendu par un régime établi. Un président futur, sauf situation de putsch, émerge donc inexorablement de l’entourage immédiat du Président sortant.

 

  1. Le profil du futur Président

Aujourd’hui, la platitude de la scène ne permet pas de prévoir de remue-ménage et le mandat finissant du Président actuel doit déboucher sur le choix, presque évident, d’un personnage issu de « la sphère du 03 août 2005 ». Certes, nombreux sont les hommes qui, prenant le train en marche, cautionnent aujourd’hui la lancée politique engagée par les tombeurs de Ould Taya. Mais toutes réformes d’idées, révolutions de palais ou changements de régimes ont tendance à générer l’engagement, direct et constant, de ceux qui en furent les auteurs principaux ou les parrains immédiats. La direction d’un pays est une œuvre continue, se déclinant sur une longue période et engageant, sauf éviction manifeste, la responsabilité de ses détenteurs. Ainsi, la bataille électorale pour le prochain mandat mettrait d’un côté une opposition classique désagrégée et pétrie à l’échec, comme depuis 18 ans, et de l’autre une majorité prépondérante, unie autour d’un homme qui, issu du putsch de 2005, saura incarner l’esprit du changement jusque-là poursuivi.

Il est donc improbable que le cercle des hauts officiers, sans y être juridiquement contraints, se départisse d’une responsabilité politique, endossée avec les plus grands risques et entérinée depuis lors, à deux reprises au moins(en 2009 et 2014), par un quasi-plébiscite.

Le départ du Président Aziz devient une fatalité constitutionnelle. Mais ni lui ni ses compagnons ne peuvent, sans suicide politique absurde, se retirer de la scène au profit des rivaux habituels, neutralisés sur deux décennies, ou pour les beaux yeux d’outsiders hypothétiques, a priori  dominables et écrasables. Ni le contexte actuel, ni le bilan des deux derniers sextennats, et encore moins l’esprit des usages de la politique, ne militent alors pour l’hypothèse d’une abdication de l’autorité en 2019.

L’alternance au pouvoir est, bien entendu, une option démocratique mais sa conservation, par les procédés de vote, en est aussi une autre. D’ailleurs, récuser la mainmise doctrinale sur l’autorité qu’on vient d’exercer pendant 12 ans légitimes équivaut à une démission inutile et correspond, quelque part, à un aveu d’échec. Dans toutes les démocraties du monde, le Président qui cesse de se représenter prend soin de passer le relai à un successeur de son bord. La Mauritanie ne peut déroger à cette naturelle tactique. Le successeur du Président actuel, en toute logique, sortira du cercle restreint des officiers du premier Comité Militaire pour la Justice et de la Démocratie, constitué au lendemain du coup d’Etat contre Maouiya Ould Taya, en 2005. Cette prévision est d’autant plus cartésienne que, dans ce comité, ont siégé les hommes qui, encore aujourd’hui, président aux destinées de la Mauritanie et pensent son avenir. Ils ne sont plus légion à tenir le haut du pavé. Pour la plupart, ils opèrent en techniciens de pouvoir, à travers de hauts offices sécuritaires ou de pure administration. Le Général Ghazouanai, seul peut-être, offrirait le profil de candidat logique de la Majorité, aussi bien par sa contribution politique au coup d’Etat du 03 août 2005 que par sa présence, régulière et correcte, aux commandes des Forces Armées Nationales. Bien entendu, cela relève toujours de l’analyse personnelle et n’aurait pas dû être évoqué dans cette analyse. Mais j’ai jugé opportun d’en faire mention pour souligner cette idée de la continuité politique probable, au regard du contexte régional et au vu des circonstances particulières de la vie politique interne.

 

  1. Petit épilogue

On peut dire que la Mauritanie demeure un pays debout, beaucoup plus robuste que ne le pense une opposition grisée, beaucoup moins vigoureux que ne le juge un pouvoir trop confiant. Mais ni les bons chiffres, ni le climat de paix ne sauront préserver la continuité d’un Etat qui n’habite pas encore tous les cœurs.

Le futur Président est un homme du pays mais le défi du prochain sextennat, déjà à nos portes, serait un défi de discipline, de patriotisme et de citoyenneté.

 

 

                                                                                                   AbdALLAH Aboubekrine

Directeur Distribution et Logistique à la SNDP