Perspectives de formations techniques en Mauritanie(3) / Par Ian Mansour de Grange – consultant, chercheur associé au LERHI – faculté de Nouakchott

9 March, 2017 - 01:17

Le présent dossier date de 2008. Il n’est pas, pour autant, vraiment dépassé par les évènements. En matière de formations techniques et professionnelles, où les investissements sont souvent coûteux et ne portent, généralement, leurs fruits qu'à échéance lointaine – de l'ordre, disons, de la décennie – il est nécessaire de donner de l'ampleur au regard, sans pourtant négliger de plus immédiates contingences. L'exercice n'est pas sans intérêt. Nous invitant à relier sans cesse le proche et le lointain, il nous accoutume à la plus saine des attitudes mentales, unifiant notre perception des réalités : condition probable des meilleures politiques... Les articles précédents brossaient un tableau assez sombre du secteur : vide culturel, interconnectivité réduite, faibles moyens, faibles effectifs… Elargissons à présent la focale au niveau de la structuration, notamment juridique, de l’univers éducatif dans son ensemble  et tentons d’esquisser une stratégie globale susceptible de faire apparaître des éclairages constructifs : on peut en attendre d’heureuses applications spécialisées…

En situant initialement les perspectives de la formation technique dans le domaine du culturel, on posait, immédiatement, la question centrale du sens. C’est quoi l’esprit technique ? Sans prétendre ici à une stricte définition, on entend bien qu’il s’agit, tout à la fois, de constructions logiques et de manipulations en rapport, une sorte de mariage de raison entre l’abstrait et le concret, ce dernier ayant, toujours, le premier et le dernier mot. On prend conscience d’un besoin, on mesure le chemin pour le combler, on pèse les chances et les moyens, les opportunités et les coûts, on établit des stratégies et des outils adaptés, on œuvre enfin, en ajustant au mieux les diverses contingences, sans jamais perdre de vue l’objectif qu’on s’est fixé. Ça a l’air tout simple mais il faut des années d’expérience, de tâtonnements et d’échecs, avant que de faire, ordinairement, toujours les meilleurs choix, d’acquérir cette concordance, presque magique, entre l’œil et l’œuvre, la tête et la main dociles à l’outil et vice-versa…

 

Repenser l’école

Nous ne reviendrons pas, ici, sur l’impérieuse nécessité de repenser l’école en ce sens. Nous avions, en un précédent dossier consacré à l’éducation, insisté sur le concept de « l’école-laboratoire » où « l’enseignement se construit, non seulement, à partir du milieu environnant mais, encore, en direction de celui-ci »  et où « l’équipement expérimental doit être prioritaire, adapté aux différents âges des élèves, constant, cumulatif et entretenu ». En l’indigence chronique des budgets de fonctionnement des écoles, de telles orientations sembleraient utopiques et il faudrait donc, d’emblée, clore le débat sur les fondations même de l’esprit technique : la Mauritanie n’aurait simplement pas les moyens d’une telle ambition. Cependant, il suffit de décaler, à peine, le point de vue pour entrevoir alternative à cette impuissance. L’Etat n’a pas les moyens d’assumer, seul, la charge de fonctionnement des établissements éducatifs, soit. Mesurons donc, précisément, cette indigence, au cas par cas ; diversifions, en conséquence, les sources complémentaires, en définissant, clairement, les attributions de chacune.  

En dépit d’un certain flou qui dilue quelque peu la lecture des responsabilités – au minimum trois ministères : l’éducation, l’emploi et l’équipement sont engagés, à divers niveaux gestionnaires, dans le domaine éducatif ; sans compter les cinq ou six autres entretenant des centres spécifiques de formation – on peut reconnaître que la fonction régalienne de l’Etat – celle qui justifie et que nécessite l’essentielle cohésion nationale – c’est-à-dire : la réglementation, la formation et la valorisation du métier d’enseignant ; n’est pas correctement assumée. La reconcentration  des deniers publics sur cette tâche prioritaire, conçue autour d’un tronc commun fondamental, où la dimension technique occuperait une place conséquente, et d’un plancher salarial fortement relevé, épargnant, au moindre enseignant, la nécessité d’un double emploi, devrait fournir l’argument central du rôle de l’Etat, amené à couvrir cette responsabilité budgétaire spécifique, en dehors de toute aide étrangère. 

 

Spécificités locales et orientations nationales

 

Au-delà de ce monopole quasiment impératif, sa mise en œuvre – c’est-à-dire : l’exercice pratique du métier – met en jeu des nécessités foncières, immobilières et mobilières, précisément localisées, où un grand nombre d’intervenants peuvent constituer de variables échafaudages de partenariat. Des institutions étrangères et des collectivités locales, gouvernementales ou non, publiques ou privées, voire des particuliers intéressés à un profit capitaliste, auraient, ainsi, à rendre fonctionnel, au cas par cas, en tenant compte des spécificités locales et des orientations nationales en la matière, tel ou tel établissement d’enseignement, en planifiant, non seulement, ses besoins en équipements immobiliers et mobiliers, mais, aussi, ses frais d’amortissements et de consommables. Le principe serait, ici, de n’engager la construction de tel ou tel projet particulier qu’une fois réunies les conditions objectives de sa pérennisation. Le seul besoin, ni même l’urgence, ne justifient l’incohérence et le gaspillage. Or, mettre en œuvre des compétences et des équipements, sans planifier leur fonctionnement et leur maintenance, c’est, à plus ou moins court terme, les condamner. 

On conviendra que le statut de la propriété, notamment foncière, joue un rôle considérable, dans la formulation de ce type de partenariat complexe. On parle, somme toute, d’établissements gérés par des conseils d’administration  et il est évident que la collusion d’intérêts trop divers, publics et privés, globaux et locaux, peut se révéler, sinon impraticable, du moins troublante. Sans présumer de l’élasticité des diverses formules juridiques classiques en droit international – on trouve, dans les pays occidentaux, un certain nombre de variations contractuelles, en matière d’enseignement, entre le privé et le public – insistons, une nouvelle fois, sur la formule waqf – typiquement musulmane, quoique son emploi soit aisément assimilable, par le droit laïc – qui permet de fédérer et de sécuriser un grand nombre d’interventions autour d’une immobilisation pérenne de la propriété, au profit d’une œuvre d’intérêt public.  

Il faut rappeler, ici, une importante distinction, d’ordre comptable, entre waqf « actif » et « passif ». La gestion de la propriété immobilisée, dans le premier cas, génère des bénéfices financiers ; dans le second, elle n’en produit aucun. Une mosquée, un hôpital, un orphelinat : autant de waqfs« passifs », soumis aux aléas de la générosité d’épisodiques donateurs ; sinon, pourvus régulièrement par un ou plusieurs waqfs « actifs », boutiques, entreprises artisanales ou industrielles, placements boursiers, etc. Rares sont les situations où waqfs « actif » et « passif » sont gérés par une même structure : une certaine antinomie de genre suggère une séparation nette des caisses… Mais la tarification des services d’intérêt public est parfois possible – c’est particulièrement vrai dans les domaines de la santé et de l’éducation – voire, en aval, l’éventuelle productivité de ces services – c’est notamment envisageable en matière de formations professionnelles, on s’en souviendra plus loin. 

 

Le nerf de la guerre

 

Tenons-nous-en, pour l’instant, à l’ordinaire. La plupart des établissements d’enseignement sont publics et gratuits. Aussi nécessiteraient-ils, dans l’hypothèse d’une conduite en waqf, le soutien de quelque bien « actif ». Deux conseils d’administration, donc. Le premier regrouperait les fondateurs du waqf passif : propriétaire du foncier, bailleur des équipements et celui des compétences. Si, comme nous l’avons plus haut souligné, ce dernier devrait être systématiquement l’Etat, il serait judicieux que la propriété du foncier relève, normalement, de l’institution publique la plus appropriée à la couverture sociale de l’établissement : mairie, à l’ordinaire. Quant au bailleur des équipements – on a, le plus souvent, à faire à des organisations internationales publiques, mais ce peut être, tout aussi bien, un collectif de bailleurs privés – sa représentation perpétuée au CA, nommément désignée, est une garantie permanente des investissements. A ces trois partenaires institutionnels du développement durable, dont le champ privilégié de gestion devrait couvrir l’amortissement des investissements fondamentaux, il conviendrait d’associer trois autres catégories, non moins génériques, sinon plus, de celui-ci au plan local, qui auraient à gérer, essentiellement, les consommables et les investissements annexes : les enseignants, au contact quotidien des réalités éducatives, les parents d’élèves qui pourvoient, pour leur part, à la raison même du waqf – c’est à dire : les enfants à instruire ; et, enfin, les bénéficiaires immédiats de celui-ci – les élèves, structurés, au mieux, en coopérative(s) active(s) et responsable(s). 

 L’argent est le nerf de la guerre ; plus généralement, de l’action ; et c’est bien avec l’examen du waqf « actif » que se révèle le potentiel dynamique de l’ensemble. Il s’agit de concevoir un ensemble d’activités lucratives, assurant, d’une part, leur propre continuité, et d’autre part, des marges bénéficiaires suffisantes à la couverture des besoins clairement identifiés, annuellement révisés, du waqf passif. Nonobstant le recours, plus ou moins important, à des placements financiers de rapport, l’implication dans le tissu socio-économique local est particulièrement intéressante. On favorise, de fait, la formation de boucles de régulation : on finance des activités génératrices d’emploi qui financent l’établissement d’enseignement qui participe, à son tour, à la clientèle de ces activités… Sans rentrer dans le détail de montages éventuellement complexes – chaque activité ayant, au mieux, son autonomie entrepreneuriale – notons que l’engagement de telle ou telle partie du waqf passif dans le conseil d’administration du waqf actif est, évidemment, de nature à renforcer son poids en celui-là. Telle commune met en waqfun bâtiment désaffecté, telle association de parents d’élèves en font un lieu de vente artisanale où telle coopérative d’élèves exposent les meilleures productions de ses membres en cours de formation professionnelle… C’est aussi l’occasion de mettre en synergie de multiples initiatives de développement, impliquant, par exemple, telle ONG spécialisée dans la promotion féminine ou l’environnement ; de cultiver les interfaces ville/campagne, en ouvrant, notamment, des boutiques à Nouakchott commercialisant des produits du terroir… Pressent-on tout ce que le concept contient de charge positive pour la formation technique et professionnelle ? A bientôt, donc, en ce nouvel optimisme…