Message aux parlementaires européens… Par Samba Thiam, président des FPC

9 March, 2017 - 01:15

Si j’avais à parler aux parlementaires européens en visite chez nous voilà ce que je leur dirais :

‘’ La Mauritanie fait face à plusieurs défis. Le défi de la pauvreté, celui de la bonne gouvernance, de la montée de l’islamisme radical-extrémisme religieux-, de la sécurité. Mais le plus crucial et le plus explosif  défi entre tous demeure celui de l’Unité nationale -ou de la cohabitation- résultat de l’exacerbation de la discrimination qui frappe les populations non arabes, doublée de  la question haratine ( l’esclavage) .

Derrière le calme apparent des populations noires victimes  de toute sorte de discriminations, couve une explosion ; il  suffit d’une étincelle! comme pour le mal, ‘’ dans une période d’incubation avant l’éclatement de la fièvre’’. Ces populations  supportent de plus en plus mal  l’exclusion systématique  qu’elles vivent au quotidien  dans tous les secteurs de la vie publique. Une Armée nationale mono-ethnique,  une Police nationale mono-ethnique pour sécuriser  l’ordre inique existant. Des grandes Ecoles spéciales  telle l’école de médecine, l’école polytechnique, l’école des mines, l’école de la magistrature et de la haute Administration, l’école des officiers, l’école aéronavale, le Prytanée militaire,  quasiment mono-ethniques. Exclues de  l’Administration, des  médias, de  la justice, totalement effacées du secteur économique, voilà que ces populations  voient leurs terres de culture actuellement   menacées. Un enrôlement biométrique vexatoire, conçu pour les déposséder de leur nationalité,  fait beaucoup de  victimes, dont  maintenant des  élèves  et étudiants négro-africains contraints  par l’Administration scolaire d’abandonner l’école,  empêchés  de passer  examens et concours  parce qu’ils  n’ont  pu se faire enrôler ; des mères, fraîchement accouchées, sont tenues de faire le rang sous le soleil pour enrôler le  nouveau-né dans les bras !

 Enrôlement exécuté par des commissions, techniques et de supervision, mono-ethniques  chargées de recenser une population pluriethnique !!!  Présentement plus des 8o centres  d’enrôlement dans la vallée du fleuve sont fermés sous de faux prétextes  et ceux qui restent  ouverts rivalisent d’ardeur en tracasseries …

Les populations  qui avaient été déportées au Sénégal  en 1989  (120.000 dont 12.000 encore au Mali ) ont été, en partie, rapatriées   mais sans pouvoir recouvrer  leur nationalité,  ni retrouver  leurs terres de culture  ou leurs villages d’origine, pour la majorité. S’y ajoute un passif  humanitaire que le gouvernement refuse de solder correctement, que résument et la question des refugiés rentrés  et celle des  purges ethniques opérées  au sein des  forces  armées et de sécurité, à travers des centaines d’exécutions extrajudiciaires  dont le point culminant  fut la pendaison de  28  soldats et officiers négro-africains  un  28 novembre 1990 , en guise de célébration de notre  accès  à la souveraineté interne en 1960 .  Aussi  nos gouvernants  et certains de nos compatriotes veulent-ils que nous célébrions  ensemble dans la joie  cette date devenue pour  nous  autres  une date-symbole du  jour de deuil… 

Le colonialisme français, pour constituer la Mauritanie, a assemblé deux aires culturelles distinctes, deux peuples aux traditions et habitudes mentales différentes, deux entités politiques historiques avec chacune son  organisation politique et sociale propre. Mais les régimes arabo-berbères, presque sans exception, et celui du Président ould Abdel Aziz en particulier, semblent oublier ou veulent méconnaître cette réalité  historique en  s’évertuant  à  gommer l’autre personnalité du pays  pour en faire, à marche forcée, un pays exclusivement ‘’arabe’’…au mépris de l’identité  factuelle de sa diversité. Cette  situation, grave,  interpelle  la classe politique  et intellectuelle arabo-berbère, l’élite en somme- qui doit  sentir, si  elle est capable de  prendre  le pouls du pays, cette  tension  maximale perceptible actuelle. Voilà pourquoi , en son sein, un débat  interne  sur la question du vivre-ensemble s’impose. Oui ou non voulons-nous vivre ensemble, partager un même devenir dans  l’égale dignité ? Cette question lancinante doit être tranchée !  Ce débat  interne constitue  l’urgence du moment.

-La montée de l’Islamisme radical, autre défi …

  Depuis l’avènement  du régime actuel, on observe dans les médias des discours à tonalité religieuse de caractère violent, intolérant ; dans les mosquées qui poussent tous les cent (100) mètres  on entend des prêches faisant le lit  du salafisme. Des associations  ‘’d’amis du Prophète’’ surgissent , des marches appelant à l’exécution de ould  Mkheitir- le blogueur- se multiplient, des menaces  ouvertes  de l’assassiner  sont   proférées, proférées également à l’endroit de  son avocat  … Le port du niqab se répand  à toute vitesse dans un territoire devenu  un refuge pour les éléments du Mujao, Ansardine et consorts. Une sorte de terrorisme intellectuel de ces islamistes  s’installe, les penseurs libres sont harcelés, pris de peur. En exemple,  Mint El Moctar  et  plus récemment  l’activiste mint Brahim sont  attaquées  ouvertement, tout cela au su et au vu des pouvoirs publics qui laissent faire …Tout comme ces intellectuels qui observent sans rien dire et qui finiront sûrement  par s’y brûler pourtant !

En fait la lutte contre le terrorisme est plus proche du  faire-semblant que de la réalité . Si en surface ce régime déclare lutter contre le terrorisme, dans les faits  il semble  plutôt flirter avec ceux qui  le nourrissent ....

- Le 3e mandat  -  autre point explosif  -

Le Président Abdel Aziz malgré ses déclarations publiques ne donne pas l’impression d’avoir totalement renoncé à briguer le 3e mandat. Il avait procédé par ballons d’essai, puis tenté d’y pousser à travers le dialogue national de septembre 2017 dont les résolutions essentielles ont été dévoyées, entre autres  l’officialisation des langues nationales - point de consensus avéré -. Il chercherait actuellement à négocier ce 3e mandat par l’achat de consciences de certains élus et de quelques leaders de partis politiques .  Or le 3e mandat constitue pour l’opposition arabo-berbère une ligne rouge à ne pas franchir. Ce serait donc, après la question négro–africaine, le point de rupture dominant, la source potentielle de turbulences  et d’instabilité certaine …

- Diplomatie ambigüe, tâtonnante …

Une diplomatie  ambivalente, suffisante  et pleine de maladresses, qui se veut participative aux missions de maintien de la paix (Centrafique , Côte d’Ivoire ) mais entretient un climat de  suspicion et de  tension avec ses voisins immédiats . Avec le Mali, il y a un déficit de confiance –à juste raison ;  déficit  de  confiance  également  avec le Maroc , tension larvée permanente avec le Sénégal, sciemment entretenue, problème de leadership avec l’Algérie que traduit  une relation du ‘’je t’aime moi non plus’’ …

-Obstacles à l’érection d’un  Etat  de  droit

Ce régime ne respecte pas les  libertés fondamentales. Le Président Ould Abdel Aziz n’arrive pas à se départir des réflexes du général qui éprouve un mépris souverain pour  le Droit  et la loi qu’il tourne en dérision. Avec une posture du genre  ‘’la loi c’est moi et seulement moi’’ ,  il ne peut émerger un Etat de droit! Les généraux et les libertés font rarement bon ménage, c’est connu. Chaque jour  nous assistons  à  une restriction croissante des libertés. Les libertés d’association , de manifestation  et même de réunion dans des hôtels et domiciles  privés sont empêchées ; une des premières victimes a été  le parti  FPC. Les récentes lois sur la cyber-criminalité s’inscrivent dans ce sillage .  Des associations monoethniques de tir à la cible - milices déguisées- prolifèrent sous la bénédiction du pouvoir …Des opposants sont embastillés sans raison objective, comme les  militants de l’IRA, dernièrement . Pour jouir de  ces droits - pourtant garantis par la constitution- il faut faire allégeance  au  régime, tout  comme pour être reconnu officiellement en tant que parti politique.

Mon parti politique- les Fpc - paie pour son indépendance. Après 23 ans d’exil , nous avons décidé  de renoncer  à la lutte illégale  pour  inscrire notre action dans la légalité, et dans le jeu démocratique ; voilà qu’on nous empêche de nous exprimer… Nous avons rempli toutes les conditions légales pour obtenir un récépissé  de reconnaissance légale, voilà qu’on nous le refuse . Des pressions sont exercées sur des Associations reconnues et  des médias privés  pour  nous empêcher de nous exprimer sur leurs plateaux.   

-Perspectives anticipées (rencontres de groupes / commissions /ateliers /séminaires /colloques)

Dans les rencontres où vous serez invités, à  titre d’hôtes, vous entendrez de la bouche de vos interlocuteurs que tout va bien dans notre pays. Que l’enrôlement des populations se déroule sans accroc, que la diversité culturelle est reconnue , respectée  et observable… tant qu’on voit  Négro-africains et haratines danser et chanter …comme des troubadours pendant  nos  festivals et cérémonials .

On vous dira que la torture est bannie, que  la corruption est combattue avec force tout comme l’esclavage  à travers  structures et tribunaux, nouvellement créés…Qu’il y a  des marches, des carnavals organisés en guise de célébration de la  lutte contre la corruption. Ne vous y fiez pas ! Tout cela n’est  qu’un écran de fumée, destiné à abuser les visiteurs et partenaires  mauritaniens . Rien de sérieux, on fait semblant, comme  toujours... La réalité est que la corruption gangrène l’administration, la Justice, l’ état civil , les contrôles aux frontières où se produit un véritable racket ; bref elle infeste tous les secteurs publics…On ne prend aucune  mesure élémentaire adéquate sérieuse pour lutter contre le fléau, telle la déclaration de revenu pour les hauts responsables, telle la liberté et l’indépendance réelle  de l’Inspection Générale d’Etat ( IGE), la mise en place  de commissions secrètes chargées du contrôle et du suivi. Dans les opérations de contrôle menées jusqu’ici, les amis du Président sont épargnés, les opposants au régime ciblés et épinglés. On emprisonne ceux-ci , mais on libère ceux-là  pourtant  coupables avérés . Les mauritaniens et surtout  nos gouvernants  excellent dans l’art du faire- semblant et de  la mystification de l’opinion extérieure .

Enfin, vous verrez, à travers groupes d’individus , ateliers , séminaires, colloques, invariablement , la même image, celle d’une Mauritanie ‘’blanche’’ qu’on veut faire naître au forceps; comme si les autres composantes nationales – perçues comme  des appendices - n’avaient pas été  à l’école... Vous verrez  aussi  une ombre entrer vous servir le thé, puis sortir comme elle était venue , toujours la même… ou l’autre facette  cachée et atténuée  de la réalité de l’esclavage .

Dernier défi, peut- être pas tant  explosif que ça, mais non moins  destructeur : le désordre général - ce désordre fou, partout présent .- dans lequel  ne peut se construire ni progrès ni développement . Sans l’Ordre, il n’y a pas d’Etat tout court …

Tel est le visage de notre ‘’ bonne  gouvernance’’ et de notre République…

JOYEUX SEJOUR CHEZ NOUS.

                                                       Nouakchott 20-02-2017