Camp de Mberra : « Deuxième ville de Mauritanie »

2 March, 2017 - 02:31

Situé à dix-huit kilomètres de Bassiknou, à plus de 1305 kilomètres de Nouakchott, le camp des réfugiés de Mberra abrite, aujourd’hui, quelque 700 000 personnes, selon les estimations d’un responsable du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR). Lorsqu’ont repris, fin 2011, les hostilités, entre l’armée malienne et la rébellion de l’Azawad, des centaines de milliers des populations du Nord-Mali ont fui vers la Mauritanie. Ces populations proviennent essentiellement des villes de Tombouctou, Gao, Ménaka, Mopti et autres Tessalit, Douentza, Gossi ou Gourma… Face à cette vague de migration qui met en péril la vie de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, la Communauté internationale s’est organisée. Le 12 Février 2012, le camp de Mberra est fondé, à l’est du département de Bassiknou. Le ministre de l’Intérieur et de la décentralisation de la Mauritanie s’y rend, en compagnie de quelques agences des Nations Unies, notamment le HCR, l’UNICEF, et des organisations humanitaires, nationales et internationales. Cinq ans plus tard, les rescapés de ce campement attendent toujours de retourner chez eux. Mais la vie continue, le plus ordinairement du monde, avec l’espoir qu’un jour, le calvaire de ses dizaines de milliers de maliens nostalgiques de leur pays prenne fin.

 

Néma/Bassiknou/Mberra

Entre Néma et Mberra, c’est 218 kilomètres. Un voyage particulièrement éprouvant. Au moins cinq à six heures, car le tronçon n’est pas totalement goudronné. Une société chinoise y travaille, depuis deux à trois ans. D’Aoueinatt Rajatt à Katawan, en passant par Bengou (village de l’ancien Premier ministre Ould Mohamed Lagdaf), le bitume traverse adwabas, campements et petites bourgades, tous visiblement aussi pauvres les uns que les autres. Au bord de la route, les stigmates de l’hivernage, les petites tentatives d’agriculteurs amateurs et les puits, pour abreuver les nombreux troupeaux de vaches et de chameaux, interpellent les voyageurs. Un de mes compagnons de voyage ne peut se retenir de demander : « Pourquoi ces populations vivent elle si loin ? – Loin de quoi ? », lui renvoie promptement le chauffeur. Petite altercation, histoire de raviver, un peu, les sempiternelles petites querelles de minaret, entre les gens du Charg (Est) et les gens d’El Guebla (Ouest). De Gneïba à Bassiknou, la route devient de plus en plus provocante. Les contorsions dorsales nous malaxent les vertèbres, au gré des virages abrupts et des secousses imprévisibles qu’imposent, au brave chauffeur, les détours des oueds et des forêts aux arbres inviolables. Mais voilà qu’enfin, nous dépassons des charretiers en route vers le marché hebdomadaire de Bassiknou : la ville n’est plus qu’à quelques encablures.

 

Mberra, camp d’infortune

Pour joindre Mberra de Bassiknou, encore au moins trente minutes, pour parcourir les dix-huit kilomètres qui séparent les deux villes. Comme nous ne connaissons pas la route, nous recommandons, à notre chauffeur, de suivre une voiture du Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui se rend, elle aussi, au camp. Nous arrivons, vers dix heures, devant la plaque « Camp des réfugiés de Mberra ». Avant d’entrer, il faut d’abord montrer patte blanche au poste de gendarmerie dont un des éléments s’applique aux contrôles d’usage. Puis voilà, à perte de vue, des milliers de hangars, enclos, tentes, constructions en tout genre qui s’étendent sur dizaines de kilomètres de sable. Ce n’est pas pour rien qu’un Targui nous déclare que Mberra est la deuxième ville de la Mauritanie. Les habitations d’infortune, les étals du marché informel, les petites ruelles qui finissent en cul-de-sac, bloquées par un indélicat squatteur, rappellent les kebbas des quartiers précaires de Nouakchott. Là, c’est le centre médical où travaillent, selon les habitants, de « bons praticiens » qui soignent, non seulement, les réfugiés mais, aussi, les locaux. Au début, plus de deux mille familles mauritaniennes auraient regagné le camp, nous dit-on, afin de profiter des distributions dont bénéficient les réfugiés. En 2012, les réfugiés étaient, principalement, originaires des tribus Tamasheks du Nord-Mali (Tombouctou, Léré, Nara, Nioro, Gargandou, Dermetté, Gao…). Aujourd’hui, des milliers de Peuls du Macina sont venus s’y ajouter. Le dernier mouvement irrédentiste, animé par Amadou Kouffa, leur a été préjudiciable. Le camp de Mberra, c’est quatre grandes zones de douze blocs chacune. Chaque bloc est suivi par un responsable qui rend compte à un coordinateur général. Depuis que le camp existe, c’est Mohamed Ag Malha, dit Momo, un vieil instituteur, qui est chargé de cette mission de coordination dont il s’acquitte impeccablement, de l’avis de quelques pensionnaires de Mberra.

 

Forte présence internationale

Beaucoup d’organismes nationaux et internationaux interviennent au camp de Mberra. C’est le HCR qui coordonne toutes leurs actions. Ses logos, sur les hangars des centres de distribution, les points de santé, bornes-fontaines, écoles et autres petites cantines de bouchers et de petits vendeurs de produits divers attestent de son omniprésence. Les autres agences et organisations, comme l’UNICEF, la FLM (Fédération luthérienne Mondiale), INTERSOS, PNUD, ADICOR, MSF, ACF (Action Contre la Faim), PAM, CSA, interviennent chacune en son domaine. Leurs sigles et leurs messages placardés, ici et là, aux quatre coins du camp, attestent de leur dynamisme et de leur encadrement. Partout, des centres de distribution. Un vieux notable de Tombouctou, Al Mahdi Ag Limam, nous explique : « le centre d’enregistrement du camp des réfugiés a permis d’établir des listes, fiables, sur la base desquelles les DGV (distributions générales des vivres) sont organisées. Il y a la distribution générale, dont profitent tous les réfugiés. Au début, c’était 12 kgs de riz/individu. Aujourd’hui, elle est de 3800 UM, mensuellement, par individu. Le quota était de 4500 UM mais il a diminué, à cause de l’arrivée de nouveaux réfugiés, suite à la recrudescence des hostilités au Nord-Mali. Il y a les distributions spéciales, dont ne profitent que les plus vulnérables. Quand il y a une accalmie, certains rentrent, mais quand les problèmes ressurgissent, ils reviennent au camp. C’est ce qui explique que les organismes parlent, parfois, de cent mille réfugiés ; parfois, de soixante-dix mille. Au camp, les réfugiés s’adonnent à de petits métiers, des activités génératrices de revenus et autre commerce de produits qui proviennent, essentiellement, du Mali et de Bassiknou ».

 

Une vie ordinaire

Mohamed Mahmoud Ag Brahim prétend qu’il est l’un des premiers à s’être installé à Mberra. Il vient du village malien de Leorneb. C’est grâce à ses activités de bûcheron qu’il entretient sa famille de dix membres. Aujourd’hui, il ne va pas au travail et prend le temps d’écouter, tranquillement, le prêcheur mauritanien Mohamed ould Sidi Yahya dont il dit admirer la « parfaite connaissance de l’islam ». Selon Mohamed Mahmoud, « tout va bien ici. Au moins, il y a la paix. Les gendarmes quadrillent le camp. Il y a plus d’une vingtaine de mosquées. Il y a les organisations qui distribuent des dons. Avec la grâce d’Allah, ça va ! ». Entre deux verres de thé, Mohamed Mahmoud prend le temps d’interpeller son ami, un charretier bella (tamashek noir) pour recueillir quelques informations. Non loin du hangar d’Ag Limam, se dresse une école. C’est une des sept fondamentales du camp. Son directeur, Ahmadou Ag Hammama, la soixantaine, nous reçoit sympathiquement, assis dans son bureau, entouré de trois amis dont un jeune instituteur nommé Khalid Ag Aboubacrine. Selon le directeur, les écoles sont encadrées, pédagogiquement, par trois conseillers maliens réfugiés. Les instituteurs et professeurs qui travaillent dans les sept écoles, l’unique collège et l’unique lycée, sont tous des maliens, rétribués par INTERSOS qui se charge du volet éducation à Mberra. Les enseignants d’arabe sont mauritaniens. Les programmes et curricula sont ceux de la république du Mali.

 

L’obsession du retour

Plus de cinq ans que les réfugiés sont à Mberra. Selon Ahmadou Ag Hammama : « Nous espérons bien pouvoir retourner, un jour, chez nous, afin de retrouver nos maisons et notre pays. Peut-être dans dix ans, peut-être moins... Depuis les premiers mouvements de 90/91, les populations du Nord- Mali ont subi des exactions de toute nature. Mais c’est surtout sous le joug de celles de 2012 que ces milliers de dizaines de personnes en sont venus à souffrir, ici, de l’exil et de la précarité. L’espoir que cette souffrance prenne fin est né avec la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, au terme du processus d’Alger. Malheureusement, cet accord qui visait à produire les conditions d’une paix juste et durable et à contribuer à la stabilité sous-régionale n’a pas été respecté. Chaque fois que les choses commencent à se normaliser, des vagues d’individus et de familles retournent d’où ils sont venus. Mais ils se retrouvent, rapidement, confrontés aux amères réalités qui leur font rebrousser chemin ». En attendant un véritable retour, les dizaines de milliers des habitants de Mberra peuvent continuer à vivoter sur les kilomètres de dune pointillés de milliers de hangars, tentes et cantines, à perte de vue. La vingtaine d’organisations onusiennes, mauritaniennes et autres peuvent, chaque jour, reprendre le rituel du voyage, de Bassiknou à Mberra, sous la vigilance d’une escorte militaire, pour aller apporter leur aide à ces réfugiés de la bêtise humaine dont continuent à souffrir, à travers les espaces et les âges, des millions d’innocents. Les chefs du MNLA (Mouvement National pour la Libération de l’Azawad), du MAA (Mouvement Arabe de l’Azawad), du HCUA (Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad) et autres responsables gouvernementaux du Mali ne mesurent, certainement pas, combien souffrent, si loin de chez eux, leurs compatriotes, des hommes, des femmes et des enfants, dans un camp complètement délabré, à quelques encablures d’une ville tout aussi délabrée, dans un pays dont les premiers responsables devraient bien tirer des leçons, des risques et dangers que peuvent occasionner les mauvaises politiques d’un développement déséquilibré et d’une gestion hasardeuse des tensions communautaires qui couvent en permanence, sans être jamais expressément ni raisonnablement réglées.

El Kory Brahim Sneïba

Envoyé spécial au camp des réfugiés de Mberra