Perspectives de formations techniques en Mauritanie (2)/Par Ian Mansour de Grange – consultant, chercheur associé au LERHI – faculté de Nouakchott

2 March, 2017 - 02:19

Le présent dossier date de 2008. Il n’est pas, pour autant, vraiment dépassé par les évènements. En matière de formations techniques et professionnelles, où les investissements sont souvent coûteux et ne portent, généralement, leurs fruits qu'à échéance lointaine – de l'ordre, disons, de la décennie –  il est nécessaire de donner de l'ampleur au regard, sans pourtant négliger de plus immédiates contingences. L'exercice n'est pas sans intérêt. Nous invitant à relier sans  cesse le proche et le lointain, il nous accoutume à la plus saine des attitudes mentales, unifiant notre perception des réalités : condition probable des meilleures politiques... Nous avons posé, en un précédent article, le fait culturel – un vide profond, en l’occurrence mauritanienne – en facteur décisif de la capacité technique d’une nation.  Appliquons-nous aujourd’hui à la mesure des efforts actuels à combler celui-là.

Cependant, à s’en tenir aux seules fondations de l’univers technique, il faut se rendre à l’évidence : l’éducation en rapport est absente des cycles fondamentaux du système éducatif mauritanien, en dépit de pénétrantes circulaires officielles magnifiant le tâtonnement expérimental et la manipulation active des éléments objectifs de l’univers enfantin. L’école extrait l’enfant de son milieu, le lui rend étranger, lointain, négligeable. Le paradoxe est à comble. Le bachelier honoré connaît la superficie des Etats-Unis et ignore celle de sa commune de naissance. L’administrateur public est appelé à gérer un potentiel dont il n’a, de fait, aucune expérience concrète, n’ayant jamais eu à construire, au cours de sa formation générale, ni la moindre évaluation, ni la moindre production d’un quelconque élément issu de son milieu de vie.

 

Outil sous-estimé

Pensé en seul prolongement de l’enseignement coranique, qui est une éducation de la mémoire et de la morale, l’enseignement fondamental, qui devrait être une éducation des sens et de leur logique, les atrophie. Le bon élève, qui serait prêt à toucher du doigt ce qui l’environne, finit par ressembler à son professeur, qui a, depuis longtemps, appris à limiter l’usage de sa main à l’écriture. N’était-ce pas là, avec le maniement des armes et de l’argent, ce qui différenciait le maître de son esclave ? La permanence de cet inconscient mépris a des répercussions tout au long des cursus éducatifs. L’outil, d’une manière générale, est sous-estimé. N’ayant, par définition arbitraire, aucune valeur, il ne mérite donc que le moindre prix, tant à l’achat qu’en entretien. L’assertion, banale dans le secteur informel de l’économie (soit les trois-quarts des activités laborieuses de la nation), n’est contestée que dans quelques rares entreprises industrielles où les nécessités du profit ont fini par situer l’outil à sa juste place. Mais où se situe le profit dans la formation technique et professionnelle ?

Prenons ici l’exemple du centre de formation coopérative de Boghé, sous tutelle du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, qui a formé, depuis sa fondation en 1978, plus de 600 élèves dont 75 % de femmes. A s’en tenir à ses deux premiers domaines de formation – techniques de transformation et de conservation des produits agricoles ; suivi et maintenance des motopompes et autres engins agricoles – on s’attendrait à un budget de fonctionnement conséquent. Or, celui-ci ne s’élève qu’à quatre millions d’ouguiyas par an, et couvre, à grand-peine, le salaire des 22 enseignants de niveau supérieur. Tournons-nous, à présent, vers le fleuron des formations techniques mauritaniennes, le fameux centre supérieur d’études techniques (CSET), fondé en 1982, sous tutelle de la Direction de l’Enseignement Technique et Professionnel, qui forme, bon an, mal an, une cinquantaine de techniciens supérieurs titulaires de BTS (mathématiques appliquées et génie mécanique). La SNIM, qui en embauche un très fort pourcentage de lauréats (90 % en 2007), est la grande bénéficiaire de cette formation incapable, en conséquence, de couvrir le besoin en professeurs des CFPP et FTP. Or, la contribution de la SNIM au budget de fonctionnement du CSET ne dépasse pas le million d’ouguiyas par an. Notons que cette même SNIM est exonérée, par ailleurs, de la taxe d’apprentissage (0,6 % de la masse salariale) que devraient verser toutes les entreprises – rares celles qui s’en acquittent – versée au Trésor public et qui devrait contribuer au budget de la formation technique et professionnelle nationale. Chacun appréciera, à sa guise, notre double emploi du conditionnel… 

 

Budgets évanescents

On l’aura compris. Si les budgets d’équipement, soutenus par les grandes institutions d’aide au développement (BM, BID, AFD, etc.), sont souvent conséquents – avec cependant, dans leur exécution, de notables retards qui laissent entendre d’opportuns placements intermédiaires, sans retombées connues, à ce jour, sur le secteur – les budgets de fonctionnement sont notoirement insuffisants, pour ne pas dire évanescents. Plus on descend au bas de l’échelle des qualifications et plus la plaie est évidente. Les dix CFPP que comptent l’administration publique de la formation professionnelle se distinguent par un telle dégradation des équipements, des locaux, de la qualification et de la motivation des enseignants, qu’on ne songe même pas à seulement envisager une passerelle, entre les CAP obtenus à telle enseigne et les BEP et BT dispensés dans les quatre lycées nationaux de formation technique et professionnelle, ordinairement mieux pourvus ; mais qui – remarque encore significative de la marginalité du technique en Mauritanie – n’absorbe pas      4 % des effectifs totaux du cycle secondaire. Signalons ici l’effort, particulièrement notable en ce qu’il est solitaire, du CNPM (Centre National du Patronat Mauritanien), qui finance le CFPP de Nouakchott, à hauteur d’un million d’ouguiyas par an, formant ainsi avec la SNIM« le » couple « mécène » de la formation professionnelle relevant de la Direction de l’Enseignement Technique et Professionnel. Deux millions d’ouguiyas pour les quelques 2 200 élèves qui constituent, en 2007, l’effectif total des formations : on compatit aux soucis des administrateurs de cette pauvre direction… 

Il existe une quinzaine d’établissements publics de formation technique sous tutelle d’autres ministères  que celui de l’Emploi, de l’Insertion et de la Formation Professionnelle. Citons l’Ecole Nationale de la Santé Publique qui assure la formation des cadres moyens et subalternes, médicaux et paramédicaux,  du Ministère de la Santé, avec un budget de 25 millions d’ouguiyas pour un effectif annuel de cinq cent élèves ; l’Ecole Nationale de Formation et de Vulgarisation Agricole, sous tutelle du MAE, qui dispose d’un budget analogue ; les formations ciblées des compagnies nationales d’eau et d’électricité, guère mieux loties.

 

Approche assouplie

L’Ecole Nationale de l’Economie Maritime et de la Pêche, qui assure la formation des officiers de marine marchande, avec un budget avoisinant les deux cent millions d’ouguiyas pour une quarantaine de stagiaires par an : exception notable dans l’univers de la formation technique publique, la présence, remarquée, de bailleurs privés dans le CA de cette école, est un élément important de sa bonne gouvernance. Notons enfin les écoles liées au Ministère des Affaires Islamiques et à celui de la Femme. En relations formelles avec la Direction  de l’Enseignement Technique et Professionnel, elles développent une approche assouplie de la formation et de l’insertion professionnelle, plus au fait des réalités mauritaniennes. Nous verrons, dans un prochain article, que c’est notamment dans leur cadre spécifique qu’on aurait, probablement, les meilleures chances d’expérimenter des modèles gestionnaires novateurs, plus adaptés à la problématique nationale.

L’étude de tels ajustements relève de l’Institut National de la Promotion Technique, fondé en 2002, et chargé de proposer des modèles efficients d’ingénierie des formations. Cependant, les outils de diagnostics interconnectés, entre les situations globales et locales, sont toujours inexistants quinze ans après le fondation de l’INPT : on cherche, en vain, une cellule de recherche à la Direction de l’Enseignement Technique et Professionnel, un réseau de données, périodiquement actualisées, émergeant des situations locales, notamment sur le front des entreprises artisanales plus ou moins formelles, un agenda de rencontres régulières entre les différents partenaires, réels ou potentiels, des filières nécessitant formation(s). Les études statistiques sont toutes centralisées au ministère, les liens avec les organismes privés ou associatifs de formation réduits aux seules obligations d’agrément, en dépit de velléités affichées d’organisation plus formelle. Les initiatives localisées de formation, soutenues généralement par des ONG’s internationales, sont méconnues, à la merci des aléas budgétaires de celles-ci, tout comme celles à but plus lucratif, des petits centres privés de formation – une trentaine – essentiellement dans le domaine tertiaire, qui auraient, à l’évidence, tout à gagner à un plan affiné de partenariat mettant en synergie le public, le privé, le national et l’international. On verra, prochainement incha Allahou, qu’une telle ambition ne nécessite pas, forcément, des moyens colossaux. (A suivre).