Dialogue politique: Et si l’UE s’en mêle?

23 February, 2017 - 01:40

Des sources concordantes ont rapporté, au Calame, que l’Union Européenne (UE), principale partenaire de la Mauritanie, pourrait s’impliquer  dans la recherche de solutions, à la tension politique que connaît  notre pays, depuis 2008. Depuis que l’actuel président  a renversé  le président démocratiquement élu, Sidi ould Cheikh Abdallahi, son pouvoir et l’opposition démocratique peinent à accorder leurs  violons. L’accord politique signé en 2009, à Dakar, entre les  deux parties, n’a pas réussi à solder la crise consécutive au putsch du général Ould Abdel Aziz, accusé de fouler aux  pieds les résolutions  parrainées,  par la Communauté internationale, dans la capitale sénégalaise. Un climat de méfiance s’est installé  entre  les uns les autres.  L’Union européenne  pourrait-elle briser ce mur de glace et permettre, au pays, de retrouver sa sérénité ? Voilà la grosse question  que tout le monde se pose, à la veille de l’arrivée de la délégation européenne.

Pourquoi notre principal bailleur de fonds se décide-t-il à s’impliquer pour décrisper la situation ? On peut avancer deux raisons. D’abord, la géopolitique  du Maghreb le demande, afin de juguler le flot des immigrants qui  n’hésitent plus à aller à l’assaut des barbelés, pour entrer dans l’espace Schengen, via l’enclave espagnole de Melilla, au Maroc, sinon, recourir à des embarcations de fortune : cinq mille migrants décédés, l’année dernière, en Méditerranée, pour plus de deux cent mille arrivées en Europe. Le vieux continent redoute la montée des  extrêmes et le retour du protectionnisme. Le Brexit   et l’élection de Trump, aux USA, en sont  d’éloquentes illustrations. Ces facteurs, conjugués au désordre que  Sarkozy  et  ses acolytes ont orchestré, contre la Libye de Kadhafi, le terrorisme jeté, en conséquence, au Sahel  et au-delà,  mettent,  aujourd’hui, l’Union en alerte. Ils menacent, non seulement, les intérêts économiques du vieux continent mais, aussi, sa stabilité démocratique. Les échanges, avec la délégation de l’UE, ne  seront  donc pas  qu’économiques, avec, en toile de fond, l’accord de pêche, ils pourraient être, également, très politiques, comme annoncé, çà et là.

La seconde raison est liée au contexte mauritanien, déjà agité par la présidentielle de 2019. Comme tout le monde le sait, l’Europe redoute les crises postélectorales  en Afrique. Les  cas du Gabon, du Congo-Brazzaville, du Rwanda, de la Côte d’Ivoire et, tout récemment, de la Gambie, ont occasionné moult tensions et troubles, avec et dans ces pays. Au Gabon, l’UE est même allée très loin, sa délégation d’observateurs mettant en doute la « légitimité » d’Ali Bongo. Tout faire pour éviter, dans sa sphère d’intervention économique, des « troisième mandat »  et autres crises post-électorales, paraît un de ses plus prégnants leitmotives. Avec un argument de poids : sa force de financement des élections en Afrique.

On avance que sa délégation mettra à profit la déclaration du président Ould Abdel Aziz, assénant qu’il ne modifierait pas la Constitution  limitant, à deux, le nombre de mandat présidentiel. La question du troisième mandat était venue, l’an dernier, exacerber davantage  les  tensions, déjà vives, entre le pouvoir et son opposition qualifiée de radicale (FNDU et RFD). L’engagement formel du Président avait coupé court aux nombreuses rumeurs qui polluèrent les débats du « dialogue national inclusif », tenu, à Nouakchott, du 29 Septembre au 20 Octobre 2016, sans cette opposition dite radicale.

L’UE  également mettrait également à profit les déclarations, mainte fois réitérées, du pouvoir et de l’opposition, à discuter, afin de décrisper l’atmosphère politique. Une  porte ouverte à un troisième dialogue auquel appellent certains dialoguistes de 2016 ? Cette atmosphère quelque peu apaisée constituerait une opportunité, pour l’UE, de  tenter la médiation. La probable tentative de l’UE interviendrait, alors, au lendemain de la publication, par nos confrères d’Alakhbar, d’un article annonçant  une rencontre, entre les conseillers du palais et certains leaders du FNDU. Mais, interrogés, plusieurs leaders du Forum et autres proches du pouvoir prétendent qu’ils ne sont au courant  de rien. Le FNDU a même publié un communiqué, pour démentir l’information.

Mais cela ne signifie pas que l’opposition manquerait d’apprécier le geste de l’UE, en tant que facilitateur externe. Comme on le sait, jusqu’ici, aucune organisation n’a réussi à jouer pleinement ce rôle. Les tentatives du président d’APP, Mesaoud ould Boulkheïr, lors des précédents dialogues, ont toutes échoué. Pour l’opposition, le président Messaoud  pencherait du côté du pouvoir et, selon les proches du leader haratine, elle refuse de reconnaître, à celui-ci, son statut de leader. Trop concerné, pourrait-on dire… et seul le challenge de l’UE, s’il arrive à se matérialiser,  pourrait  permettre aux  partenaires (opposition et pouvoir) de  renouer les fils du dialogue et, partant, rétablir  la confiance. En commençant par préparer des élections municipales et législatives apaisées, consensuelles, donc, et  inclusives, pour déblayer, en suivant, le chemin de la présidentielle de 2019, si, bien évidemment, on ne remet pas en cause les articles  de la  Constitution relatifs à la limitation de l’âge des candidats, occasion, pour le pouvoir  ou ses suppôts, de remettre, sur le tapis, l’article limitant, à deux, les mandats présidentiels. Un piège dont  tout facilitateur doit se méfier.

 

Quel menu de discussions ?

Après les questions économiques, les partenaires européens pourraient, donc, tâter le terrain politique, rencontrer ses acteurs, pour se faire une idée précise de leurs divergences, et leur proposer, ensuite, une première rencontre  à Bruxelles, afin de décider du format du dialogue que les diplomates de l’UE  voudraient engager. On se rappelle que, depuis 2013, pouvoir et opposition peinent à harmoniser leurs points de vue, sur seulement les questions à débattre. Dans les tentatives d’en amorcer les discussions, le FNDU et le RFD avaient fait parvenir, au pouvoir, une plateforme  résumant ces fameuses questions. Celui-ci refusa de leur fournir une réponse écrite. Or, pour l’opposition, il est hors de question que le pouvoir fixe, seul, les règles d’un dialogue réputé inclusif, franc et sincère. C’est la raison pour laquelle elle a boycotté le dernier dialogue, tout en restant ouverte aux discussions. Elle a même salué, dans un communiqué, la déclaration, le 20 Octobre, du président de la République, à propos des mandats, estimant qu’il s’agissait d’un geste positif de nature à décrisper la situation politique. Depuis, rien de nouveau. On attend toujours Godot.

Un analyste politique  se dit, quant à lui,  pessimiste. Il invoque  plusieurs raisons. D’abord, l’Europe n’intervient pas en amont mais toujours en aval, quand il ne s’agit pas de questions de sécurité : elle n’est pas un « déclencheur », mais un « accompagnateur » d’initiatives internes. Or, en Mauritanie, le pouvoir et l’opposition radicale peinent à accorder leurs violons ; l’opposition est, elle-même,  fractionnée, avec une  partie plutôt favorable aux thèses  du pouvoir, profitant, par la même occasion, des boycotts de l’autre partie,  des élections municipales et législatives. Il s’y ajoute que  nos relations, avec la France, notre ex-puissance coloniale, ne sont pas, à l’heure actuelle, assez au beau fixe pour qu’elle pousse à la médiation, alors que des nuages obscurcissent le ciel, entre Nouakchott, Rabat  et Dakar. Le pouvoir de Mohamed Abdel Aziz  voit, d’ailleurs, d’un mauvais œil, la formation et le renforcement de l’axe Paris-Rabat-Dakar-Banjul, depuis  le départ de Jammeh, il y a quelques semaines, et qui aura pour conséquence de le marginaliser. Et notre analyste de conclure que l’adoption des amendements constitutionnels, décidés par le dialogue d’Octobre dernier, ne facilite pas la tâche aux Européens. Le pouvoir semble beaucoup y tenir et ne serait pas enclin à les différer, voire y renoncer, pour s’engager dans un dialogue politique qui remettrait en cause son  agenda.

DL