Nouvelles d’ailleurs : Absurdités

9 February, 2017 - 00:16

C’est drôle (façon de parler), cette peur de l’autre qui justifie tous les décrets, toutes les exclusions. C’est drôle, cette nouvelle manie d’élire des bouffons, des étrangetés, à la tête de pays. Quand on confond champ politique et cirque, c’est que rien ne va plus.  Ou, alors, que le pire est toujours pire. Qu’au pire, il y a toujours un « plus » pire. Quand l’Amérique tousse, c’est la planète qui attrape la crève. Et quand un Trump nous la joue grand Barnum, nous ne sommes pas loin des jeux du cirque et du temps où le pouce baissé d’un empereur en mal d’amusement décidait de la vie ou de la mort de pauvres types qui n’en demandaient pas tant.

Nous voilà donc affublés d’un gag devenu président. Il n’est pas le premier. Nous, Africains, en avons connu, des gags investis présidents. Ce fut, même, notre marque de fabrique, pendant des décennies.  Idem dans le monde arabe… Ubu Roi ou l’art de la dangerosité mortifère à usage des citoyens. Mais, voilà, nos bouffons à nous sévissaient dans des pays qui n’étaient pas, loin s’en faut, des puissances mondiales. Ils exerçaient leur tyrannie à l’échelle d’un pays, massacraient, décrétaient, emprisonnaient, refoulaient, bannissaient, assassinaient, pillaient, entre soi et pauvres de nous, petite sauterie sur fond de grandes compagnies internationales qui savaient fermer les yeux, tant que le business marchait…

Ils n’étaient dangereux que pour leur peuple. Oh, parfois, dans une crise d’eczéma, ils s’en prenaient au pays voisin. Juste histoire de secouer un peu la parenté à plaisanterie. De temps à autre, une ancienne puissance coloniale déployait ses soldats, chicotait, de ci, de là, s’assurait que le business fonctionnait toujours et tout rentrait pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Les Ubu Roi mouraient sur leurs trônes. Ubu Junior prenait la place, le soleil pouvait continuer à se lever sur nos brousses.

Mais voilà qu’au pays du massacre des autochtones et de l’immigration, vient d’être inventé le concept du bannissement selon la religion et le lieu géographique de naissance. Dans une nation construite dans le ventre des bateaux d’immigrants, dans une puissance qui a élu, il y a quelques années, un métis, dans une nation où le communautarisme est une religion, où la Saint Patrick voit défiler des hordes d’Irlandais, où l’Italie s’est trouvée une extension, où les hispaniques sont la force vive de certains Etats, où un syrien, Steve Jobs, a bâti un empire, etc., etc., c’est un peu nier la colonne vertébrale du développement américain.

Musulmans de certains pays, vous êtes donc priés de rester chez vous. « Belle » généralisation du « Musulmans ? Tous terroristes ! » Oubliant, par-ci, que les Etats-Unis furent (sont ?) le plus grand Etat terroriste au monde, défaisant et faisant les pays, les hommes ; massacrant, espionnant, écrasant tout sur leur passage. Que la force américaine, son leadership, s’est faite, non pas dans la propagation de modèles démocratiques, mais dans le sang et la négation de la dignité humaine. Oubliant, par-là, qu’il est toujours « risible » de voir des terroristes accuser d’autres de terrorisme, sur la seule base empirique qu’une génétique prédisposerait certains peuples à plus de violences que d’autres.

Mais il faut reconnaître, dans cette folie instituée par Trump, ce non-sens et non-humain et, surtout, non-politique, qu’il faut aussi compter sur ce que l’Amérique a de beau : ces centaines de milliers de femmes et  d’hommes qui protestent contre le fameux  décret interdisant l’accès au territoire américain de citoyens de pays arabes ciblés ; des avocats, des procureurs, des juges qui rappellent que, dans ce pays, la justice n’est pas inféodée au pouvoir et qu’il existe des  valeurs que même un clown ne peut fouler aux pieds. C’est cette Amérique là que nous aimons, qui attire tant, qui nous réconcilie avec elle… Qui nous dit que l’Humanité est. Que la résistance est un droit et un devoir.

Mais, pendant que nous nous indignons contre Trump, pendant que l’anti-américanisme primaire refait surface, pendant que nous déclinons, sur tous les tons, notre indignation justifiée et nécessaire, un autre pays, beaucoup plus petit mais qui a justifié le déclenchement d’une des guerres les plus meurtrières au Proche- Orient, l’implosion de la région, l’anarchie actuelle, Daesch, les massacres, les attentats quotidiens, les centaines de milliers de morts, l’horreur banalisée, un petit pays, donc, a, lui aussi, décrété, pour une durée de  trois mois, renouvelable, l’interdiction d’entrée sur son territoire des ressortissants de cinq pays : Irak, Iran, Afghanistan, Pakistan, Syrie, pour motifs sécuritaires.

Ce petit pays c’est le Koweït. Même indignité, même méthodes, même ostracisme, mêmes stigmatisations, mêmes peurs mais… pas même indignation. Silence assourdissant de nos media, sur ce qui se passe dans un pays arabe. Comme si un décret revêtait moins d’importance qu’un autre. Comme si c’était plus grave pour les Etats Unis que pour le Koweït. Comme si, tout compte fait, nous étions tant dans la victimisation permanente que dénoncer l’attitude, AUSSI, du Koweït reviendrait à nous auto-juger. Exercice délicat et impossible, tout englués que nous sommes dans la posture de la victime.

Et pendant que nous décidons, sélectionnons nos indignations, pour x et y motifs qui nous déculpabilisent – et où l’anti-américanisme est plus porteur : il permet d’évacuer nos frustrations et nos colères, de façon confortable, intellectuellement parlant – l’humain est bafoué dans sa dignité, dans son droit à voyager, dans son droit à choisir son lieu de vie, dans son droit à la différence, à l’acceptation, à la tolérance, à être Autre, sans être cet Autre que l’on caricature.

Alors, moi, je ne fais pas de différence entre le décret Trump et le décret koweïtien.  Ils sont, tous deux, synonymes d’une époque de tensions et d’ignorance. Ils sont, tous deux, terreau fertile pour tous les apprentis kamikazes du monde, pour tous les groupes terroristes qui surfent sur le désespoir du monde arabe.

Ils sont, tous deux, ignominies. Et ils doivent être, tous deux, dénoncés. Sinon, nous n’avons plus rien d’humain. Salut.

Mariem mint Derwich