Autour d'un thé

2 February, 2017 - 00:35

Les Mauritaniens ne vont jamais droit au but. Ce sont les champions, toutes catégories, du tourner autour du pot. Pour eux, « la ligne droite est le plus court chemin » ne veut absolument rien dire. Il faut marcher, tourner, détourner. L’essentiel est d’arriver, en empruntant, parfois, les voies les plus tumultueuses et les plus tordues. Mon ami Ahmed que je connaissais cameraman est devenu comptable dans la même institution. Imaginez un peu combien de fois Ahmed a-t-il dû tourner, pour passer de la caméra à la caisse ! Un très grand détour, à coup sûr. Y a que nous qui entrons à la boutique sans savoir ce que nous voulons. Tu as des boulons ? Oui, y en a, y en a ! Alors, donne-moi un paquet de lait. Quel rapport entre un boulon et du lait ? C’est dans la tête que ça se passe. La confusion est dans la tête. Y a que chez nous où une gynéco devient ministre de l’Agriculture. Qu’un professeur d’anglais devient commissaire aux comptes d’un établissement de collecte de lait. Qu’un mécanicien de marine devient banquier. Qu’un repris de justice devient agent puis inspecteur puis officier puis commissaire de police. Qu’un maître coranique devient magistrat puis wali puis armateur puis arnaqueur puis député puis commissionnaire puis régisseur de prison puis propriétaire de boutique de change puis redevient maître coranique et éleveur, en l’attente de devenir président d’un conseil régional. Qu’un transporteur devient parlementaire. Nous changeons comme nos maisons. Regardez un peu. Suivez ce que peut devenir, au bout de quelques années, une seule maison. Ici « coifaire » international puis coup de pinceau et ici « dibiterie » du Tagant puis, juste au-dessus, ici « réparrataire de chaussures » puis ici « garage de la Palestine » puis ici « Michelin Trarza » puis ici « vendeur bissap » puis ici « coure de fransais et anglais » puis ici papeterie « moderné » puis ici « restaurant de l’islam » puis ici « Auto-école » puis ici « vante de glace » puis ici « siège parti politique » puis ici « technicien radio et TV » puis ici « chargeur batteries » puis ici « cafétariat » puis ici « envoyé crédi » puis ici « vandeur de poisson » puis ici « tailleur de la mode ». Exactement comme nous. Ne dit-on pas que les biens ressemblent à leurs propriétaires ? Impossible d’aller droit au but. Il faut toujours tourner puis reculer pour venir de très loin. Comme celui-là (peul ou autre), peu importe qui vient dans une grande boutique de vente de thé vert. Combien coûte une caisse (de dix kilogrammes) ? Ça coûte tant ! Et la moitié (cinq kilogrammes) ? Ahan, et le quart de la caisse (deux kilogrammes cinq cents) ? Ahan, et un kilogramme ? Ok et un cinq cents grammes ? Ahan, Ahan, donne-moi un demi-verre de thé. Tout ça pour ça. C’est comme ça. Chtari : machallah, comment ça va ici ? Et ta mère? Elle est toujours là ? Et ton père ? Il est toujours là ? Machallah ! Tes frères ? Tes sœurs ? Ils sont combien ? Qui est le plus grand ? Il fait quoi ? Et ta sœur ? Non, l’autre ? Vos chèvres ? Combien ? Vous aviez, que je sache, je me rappelle, deux ou trois ânes ? Ton père a toujours toutes ses dents ? Il retourne quand, à la maison ? Et ta mère revient quand ? C’est pour vous, cette corde ? Vous « faites quoi » (quel repas), aujourd’hui ? Machallah ! Non, je ne cherche rien. Juste que je suis désœuvré. Bon, maintenant que j’ai tourné en rond, alors qu’il ne faut pas interdire un comportement et le faire. C’est une indélicatesse. Nous sommes comme une maison. Je commence chargeur de batterie puis je deviens agent de police puis je deviens brigadier à l’aéroport puis agent de sécurité à la Présidence puis inspecteur de police. Nous tournons en rond et détournons. Les détours, par les bureaux d’études, de documentation, de la direction générale de la Sûreté nationale ou de l’Etat accélèrent les carrières. Tout se voit. Ici, tout est possible. Du fond du trou au haut du plafond. Juste savoir tourner en rond. Se retourner. Tourner son pantalon. Détourner. Sans aller droit au but. Tu as des boulons ? Donne-moi une bouteille de lait. C’était une épicerie, c’est devenu un dépôt de briques. Salut.

Sneiba El Kory