Biram rentre en Mauritanie : Un ‘’accueil’’ à la hauteur

19 January, 2017 - 02:05

Après plusieurs mois de tournée internationale, Biram Dah Abeïd, le président d’IRA Mauritanie, est rentré en Mauritanie, ce dimanche 15 Janvier, par Rosso. Date et ville symboliques. Car c’est à Rosso,  le 15 Janvier 2015, qu’il fut condamné à deux ans de prison, suite à sa participation à une caravane contre l’esclavage agricole.

Un retour qui semble avoir jeté la panique, au sein des autorités mauritaniennes. Il fut ainsi décidé, en marge du Conseil des ministres du 12 Janvier dernier, d’interdire toute activité au mouvement IRA, sur l’ensemble du territoire national.  La veille de l’arrivée de Biram à Rosso, plusieurs compagnies de la police et de la Garde ont été dépêchées de Nouakchott, alors que toutes les forces de sécurité étaient mises en alerte maximale.

C’est, curieusement, au Sénégal, à Rosso Bethio que Biram, chaleureusement accueilli par des centaines de ses sympathisants qui ont traversé, vendredi, le fleuve, a eu droit à son premier bain de foule mauritanienne. Après une nuit passée à Dagana, où ils ont eu l’occasion de visiter des réfugiés mauritaniens qu’un exil trop prolongé a définitivement cloués au Sénégal, le leader abolitionniste, la vice-présidente d’IRA, Coumba Dada Kane, son chargé de communication, Hamady ould Lehbouss, et le trésorier Ahmed Hamdi ont eu droit à un traitement spécial. La délégation abolitionniste était, en effet, seule à emprunter le bac où des forces mixtes de sécurité les attendaient. Aucun autre passager ou véhicule n'a pu embarquer avec eux ; à l'accueil, le débarcadère de Rosso, d’habitude si vivant de ses foules, n'était peuplé que d'uniformes, de quelques enturbannés de la police secrète et du Directeur régional de la Sûreté.  Traversée interdite, jusqu’à onze heures, aux ressortissants mauritaniens ; la ville retient son souffle. Mais les Rossossois, malgré de multiples barrages aux abords du marché, vaquent librement à leurs occupations.

Les abords du débarcadère, interdits à tout citoyen mauritanien, sont cernés par les éléments du groupement mobile d’intervention de la police, venus de Nouakchott, armés jusqu’aux dents et épaulés par des gendarmes. Des patrouilles sillonnent les principaux artères d’une ville placée, officieusement, en état d’urgence. Les cambistes, thieb-thiebmen et autres facilitateurs sont aussi interdits d’accès, ruminant, à quelques centaines de mètres de leurs lieux de travail, leur folle colère de ne pouvoir s’affairer, aujourd’hui, par la faute de… qui donc, au fait ? Les avis sont partagés et les petits charretiers et autres pousse-pousses ne sont pas en reste. Les petits attroupements sont vite dispersés par les éléments de la police locale, aidés par des centaines d’indicateurs et autres agents de renseignements, enturbannés ou en tenue de sport, infiltrés un peu partout. La vie d’une ville grouillante est comme suspendue à l’arrivée du leader abolitionniste. De vives craintes se lisent sur les visages des Rossossois qui ont du mal à comprendre cette forte mobilisation sécuritaire, pour le retour d’un « homme ordinaire ».

Après avoir foulé le sol mauritanien, Biram est conduit à un bureau où l’attend le directeur régional de la Sûreté nationale. Ce dernier, après avoir essuyé un blâme de ses supérieurs, pour n’avoir su empêcher les parents du bloggueur Ould Mkhaïtir de se fondre au Sénégal, profite de la circonstance pour revenir dans leurs grâces. Après les amabilités d’usage, il délivre, au leader abolitionniste, le message des » autorités supérieures du pays » qui ont interdit tout rassemblement ou meeting d’IRA à Rosso. « Elles vous tiennent responsable de tout trouble à l’ordre public qu’occasionnerait votre passage à Rosso », aurait-il martelé. Biram répond qu’il n’a prévu ni meeting, ni marche à Rosso qui ne lui sert que de point de passage. Et de s’étonner que des citoyens mauritaniens ne puissent venir l’accueillir et le saluer, à l’instar des personnalités politiques, sportives ou religieuses. Il déclare ne pas comprendre l’impressionnant déploiement des forces de l’ordre à Rosso, « un gâchis », dit-il, « ces ressources devraient être allouées à des programmes de développement ».

En dépit de la forte mobilisation des forces de sécurité qui a empêché tout rassemblement, les militants de IRA qui ont rallié la capitale du Trarza sont restés, des heures durant, aux abords du point de passage, en l’attente de leur leader. Finalement, c’est escorté par des policiers que Biram a rallié le domicile, quadrillé depuis la veille, d’un de ses proches, dans le vieux quartier de Satara. Après un court repos et avant de s’adresser aux militants de son organisation, il accordera une déclaration à la presse. Extraits.

 

Message de fermeté et concessions

« J’ai dit, au DRSN, que les gens ont droit à s’attrouper, à Rosso, à Nouakchott comme partout ailleurs, le plus normalement du monde, pour accueillir les stars du cinéma ou du football, les personnalités politiques ou religieuses. Je lui ai dit qu’en tout cas, j’allais passer la nuit à Rosso, chez Ould Zahaf ». La conférence de Biram avec les journalistes est coupée plus de dix fois. « Est-ce un crime que d’être accueilli par ses partisans ? A Rosso Sénégal où je me trouvais, près d’un millier de personnes s’est, spontanément, regroupé autour de moi, sans que cela n’ait suscité la mobilisation des forces sénégalaises. C’est le lot de toutes les célébrités. Etre célèbre ne semble être un crime qu’en Mauritanie ». Le dirigeant d’IRA constate, avec regret, un déploiement sécuritaire synonyme d’affolement des autorités qui ont fait preuve de beaucoup d’irresponsabilité, comme s’ils avaient affaire à une attaque d’une armée ennemie. Beaucoup de manipulation, juge-t-il, avec ce sentiment qu’on veut dresser les communautés les unes contre les autres, les populations contre IRA. L’Etat a gaspillé des centaines de millions, en transport, nourriture des troupes, mobilisation d’indicateurs et espions, jusqu’à Dakar. « Derrière ces menaces, se profile une énième fabrication de « pièces à conviction », accusation de crimes ou délits, pour m’intenter un nouveau procès. Mais je suis debout et confiant. On va gagner et le pouvoir continuer d’essuyer défaite sur défaite, débâcles cuisantes et honteuses. J’appelle les autorités à cesser cette politique de terreur et de non-droit, contre des personnalités politiques. Il doit revenir à la raison, s’en tenir à ses deux mandats et permettre, aux Mauritaniens, d’exprimer librement leur choix. Il ne sert à rien de gouverner par la ruse et la désinformation : ça ne marche pas ».

 

Opposition à tout usage de la violence

Biram et ses compagnons ont réaffirmé leur opposition à tout usage de la violence, exhortant leurs militants à ne pas répondre aux provocations des forces de l’ordre. Après avoir appelé le pouvoir à un « dialogue inclusif et franc, avec l’ensemble des forces vives du pays, sans exception, afin de résoudre tous les problèmes que connaît notre Nation », Biram Dah Abeid exprime sa solidarité avec Mohamed ould Bouamatou, l’homme d’affaires mauritanien, l’opposant Moustapha Limam Chaafi, le groupe Ewlad Leblad, l’écrivain Sidi ould Belamech et le journaliste Hanevy ould Dahah, exigeant la libération immédiate des abolitionnistes Moussa Biram, Abdallahi Matalla Saleck et Abdallahi Abou Diop, condamnés à deux ans de prison ferme et  détenus à Bir Moghreïn, et celle du jeune blogueur Cheikh Baye, condamné à trois ans de prison à Aleg.

« Je remercie les militants d’IRA venus nombreux m’accueillir ici, à Rosso.  Je salue leur sang-froid et leur esprit de responsabilité, face à la présence active des forces de sécurité. […] Le gouvernement mauritanien doit accorder une autorisation au parti RAG, comme il l’a fait pour les autres partis politiques ». Concluant son intervention, Biram affirme qu’il est en route pour la Présidence et qu’il y arrivera, sans obstacles. « La prochaine présidentielle doit être transparente et le sortant, Mohamed ould Abdel Aziz, ne doit pas en être partie prenante ». Et de marteler que la lutte continue, avec toujours le même esprit, serein, de responsabilité.  Après une nuit passée à Rosso, le leader des droits de l’homme a rejoint, lundi, Nouakchott où la police était encore aux aguets et l’attendait de pied ferme. Ses sympathisants, venus en grand nombre l’accueillir chez lui à Riyadh, ont eu droit à une pluie de grenades lacrymogènes pour les empêcher de se regrouper. Biram  compte reprendre, dans sept jours, son bâton de pèlerin.

 

Thiam Mamadou

Envoyé spécial à Rosso