La leçon gambienne/Par Mohamed Mahmoud ould Bekar

21 December, 2016 - 19:12

Au pouvoir grâce à un système insensé (pouvoir à vie, se targuant d’être l’initiateur du traitement du Sida et de la stérilité, soi-disant homme d’Etat qui a sauvé le pays du joug colonial, etc.), Yaya Jammeh tente de (se) persuader que le bon sens et la raison sont les seuls atouts pouvant lui assurer un destin sublime, même s’il n’a jamais accepté de s’en prévaloir, lui qui dirige un pays pauvre dont la position géographique est très défavorable. Une quête rendue possible par sa défaite subite, au profit de l’opposition qu’il a méprisée et maltraitée plus d’une fois, durant vingt-deux ans d’exercice d’un pouvoir solitaire, celui d’un personnage hors commun, piétinant les libertés et les droits des citoyens.

Dirigeant phobique, Yaya Jammeh se pensait, avec snobisme et entêtement, seul détenteur de la légitimité nationale, croyant disposer d’une écrasante popularité en Gambie, sans se rendre compte que la quantification et la vigilance l’ont, un jour, trompé. C’est le prix à payer par ceux qui s’appliquent, par une volonté farouche, de recourir systématiquement à l’intimidation des gens qui tentent d’exprimer leurs opinions, sans qu’ils soient concernés par la discrimination. Le taux de 36% est le niveau réel de la popularité de Yaya Jammeh dans son pays. Il a bénéficié d’une large couverture médiatique qui a façonné une image fausse de  l’état d’esprit des populations gambiennes, empêchant d’appréhender la vérité sur la position du peuple vis-à-vis de cet homme qui n’a cessé de se glorifier et qui a conduit tout le monde, y compris  lui-même, à considérer que le peuple lui faisait confiance et le soutenait totalement, sans jamais regarder en face les méfaits désastreux de son régime et sans envisager, un seul instant, le résultat de l’élection présidentielle, aujourd’hui réalité têtue.

 

Réalité têtue

Face à cette épreuve choquante, il a failli comprendre la leçon tardive et s’est rendu, au début, à l’évidence, sans tergiversations, en acceptant que la victoire appartient à ceux qu’il considérait, encore hier, comme ses purs ennemis, les emprisonnant lorsqu’ils manifestaient pacifiquement et en toute légalité. Il a cherché à s’immuniser, pour une fois, et, commentant sa surprenante défaite, déclaré, publiquement, qu’il ne procéderait pas à un recours, en ce qui concerne les résultats de l’élection présidentielle et resterait à la touche, tout en assistant son successeur dans le transfert du pouvoir.

Mais, pour des raisons encore inconnues, il a reculé et rejeté totalement les résultats de l’élection. Il est très probable que les pressions de son entourage lui demandant de ne pas céder le pouvoir, ainsi que les revendications de l’opposition, suggérant de le traduire publiquement en justice, ont fini de le convaincre de faire marche arrière, de cette manière nullement inspirée de principes démocratiques ni plus fondée sur des mobiles juridiques. Ainsi la Gambie entre-t-elle, aujourd’hui, de plain pied dans une phase nouvelle d’illégalité, ouvrant, toute béante, la voie à l’instabilité et à l’absence de paix.

La situation en Mauritanie n’est pas très différente de celle de la Gambie, avec de fortes ressemblances, points communs et signes de concordance de positions, dans la gestion des crises. Dans la première partie du puzzle, le Président Ould Abdel Aziz ne diffère guère des chefs d’Etat comme Yaya  Jammeh, même s’il est plus enclin à la modernité, au regard de certains comportements insensés du gambien.               Ould Abdel Aziz, gouvernant sous le titre de Président des pauvres, donne l’impression d’être un dirigeant valorisant la politique d’austérité, dans la gestion des biens publics, lutte contre la gabegie, ressuscite et glorifie la mémoire des martyrs de la résistance, fonde une politique en faveur des jeunes, ainsi que d’autres futilités qui se découvrent invariablement châteaux de cartes, au contact avec la réalité tangible, etc. La presse et la flatterie politique constituent l’unique matérialisation, à travers une couverture médiatique tendancieuse, au moment où l’opposition et les personnalités indépendantes sont privées, à dessein et de façon permanente, de tout accès aux media publics.

Chez nous, la situation est dramatiquement sans appel, dominés par de nombreux cauchemars effrayants et obsédants : l’Etat ne fonctionne pas selon une logique d’exercice du pouvoir acceptable ou un  système référentiel précis, la société connaît une dégradation de mœurs inacceptable, une déperdition scolaire inquiétante, tandis qu‘Ould Abdel Aziz Aziz détient, avec brutalité, tous  les leviers de commande de la République, ainsi que la gestion, sans partage, des biens publics, s’entourant d’une aura essentiellement marquée par les sautes d’humeur, les impulsions équivoques, le zèle incontrôlable et excessif, à telle enseigne qu’il est impossible de se trouver une seule fois dans une situation positive, permettant de l’affronter sur la base des faits réels. C’est ainsi que l’intervention de Khadijetou mint Kleib lui a restitué, ne serait-ce que partiellement et de manière désordonnée, la vérité à Atar, jusqu’à devenir un événement national, occupant la Une des réseaux sociaux. Son écho a largement débordé le cadre médiatique national, pour trouver place de choix à l’extérieur, notamment sur la chaîne Al Jezira, mais, chez nous, en nombreux  poèmes Hassaniya exprimant le soutien et l’admiration pour la témérité de cette femme. Mais quelle découverte a-t-elle faite, pour mériter tant d’attention et de louanges ? Est-elle la seule à intervenir devant le Président ? La raison réside, seulement, en ce qu’elle a évoqué les conditions de vie des citoyens, alors que tous les autres intervenants n’ont pas abordé la situation réelle de misère que les populations locales vivent en Adrar. Cette vérité-là ne doit pourtant pas échapper au Président qui en sait plus sur les préoccupations réelles de notre peuple.

 

Une vedette nommée Mint Kleib

Suite à l’annonce de sa non-candidature à un troisième mandat, à l’occasion de la clôture du dialogue politique, les applaudissements nourris au Palais du Congrès sont aussi venus de ceux qui se sont appliqués, fébrilement, à imposer le traitement de cette question, lors des débats en vue de l’imposer dans l’accord politique. Cela témoigne d’un fait majeur, à savoir que les gens agissent souvent en dehors de leurs propres convictions ; en ce cas précis, parce que, tout simplement, ils ne possèdent pas la capacité de faire valoir leurs points de vue, alors qu’ils ne veulent pas qu’Ould Abdel Aziz dirige, à l’avenir, le pays. Les campagnes médiatiques font apparaître une image faussée de la situation de la Mauritanie, de telle sorte qu’il apparaît que le peuple soutient sans réserve le Président, pour mener plus de réalisations, sans lui donner l’occasion de mesurer son parcours à la tête de l’Etat, de jeter un regard critique sur le passé, lui qui sait, pertinemment, que l’Etat, au cours des neuf années de son pouvoir, a été réduit, dans ses établissements publics, ses lois, ses pouvoirs et sa machine fiscale, à ne servir que ses objectifs personnels, d’une part, et,  d’autre part, l’exercice d’une volonté de revanche.

Contraire à tous les slogans en faveur des réformes et de la transparence, ce comportement a engendré des conséquences négatives, de portée considérable sur le climat des affaires, ainsi que sur le fonctionnement normal de l’appareil judiciaire. Il synchronise avec les principales orientations du régime avec, pour résultat, un pays qui ne tire pratiquement aucun avantage de ses ressources. C’est ainsi que le boom, généré par la montée des prix des matières premières, avec la flambée des prix du fer et de l’or battant des records mondiaux au moment du coup d’Etat de 2008, est passé, sans aucun impact sur l’amélioration des conditions de vie des populations. Malgré cette conjoncture on ne peut plus favorable, le régime n’a pas pu imprimer une nouvelle dynamique au secteur minier, pour faire bouger la courbe du chômage plus que de 1%, alors que 86 sociétés de prospection, bénéficiant de 212 permis de recherches et de 11 permis d’exploitation, s’activaient sur le territoire national. De même, l’augmentation significative des recettes, atteignant 17 milliards de dollars au cours des six années de faste minier, n’a pas, non plus, permis d’améliorer les salaires, ni résorber l’inflation, ni soutenir le pouvoir d’achat des ménages, ni stabiliser les prix des matières de première nécessité, ni, encore, permettre l’accès aux services de base comme le transport, la santé, l’éducation et la justice. Bien au contraire, la situation s’est davantage détériorée, faisant disparaître, du coup, la gaieté et la joie des visages des pères de famille et des malades, entraînant, pour les Nouakchottois, de nombreux délestages d’électricité de plus en plus fréquents. Et le journal du parti Sawab de constater avec pertinence, dans un de ses éditoriaux : « le climat de tristesse et l’abattement moral planent sur les populations de Nouakchott, en raison des coupures courantes de l’électricité ».

La dégradation des conditions de vie des citoyens a atteint un seuil prohibitif, à cause de la pauvreté et du renchérissement des prix, à tel point que la subsistance devient un pari dans la vie quotidienne, chez la plupart des gens au moment où la capacité d’éduquer ses enfants et de se déplacer relève du miracle. Chaque jour qui s’élève, les troubles psychiques et l’inquiétude face à l’incertitude du lendemain se renforcent.

 

Chômage et pauvreté

Au plan extérieur, le pays continue d’être relégué dans le dernier peloton du classement des organismes internationaux indépendants et crédibles. C’est ainsi que le BIT prévoit que la Mauritanie sera parmi les dix pays du monde où le taux de chômage sera le plus élevé atteignant 30,9%. S’agissant de la pauvreté, le Rapport de la FAO, publié en 2016, qui s’est préoccupé de la question de réduction de celle-ci en milieu rural dans les pays en développement, indique que 71,3% des Mauritaniens vivent avec un revenu de moins de 2 dollars par jour, soit 716 ouguiyas, et que près de 23,5%  ont un revenu inférieur à 1,25 dollars, soit 450 ouguiyas, le plus lourd taux de pauvreté en Afrique du Nord.

En ce qui concerne le revenu individuel, la Mauritanie a été classée au bas du rang, à la 145ème place sur 182 pays ; elle se situe parmi les 25 nations les plus pauvres du Monde et la 39ème menacée par la famine. Pour les ressources, elle occupe 141ème place sur 142 au niveau mondial, le 112ème rang sur la liste des pays les plus corrompus, en dépit du slogan brandi par Ould Abdel Aziz depuis son coup d’Etat, alors qu’il le contredit quotidiennement pour la énième fois.

La catastrophe que cette situation génère n’est pas seulement le produit d’une période de faste lamentablement gérée mais, aussi, le résultat d’un endettement excessif, atteignant le record de 4 milliards 929 millions de dollars, soit un taux de 93,5% par an du PNB, hypothéquant ainsi l’avenir de l’économie du pays pour les deux prochaines décennies, pendant qu’au Sénégal voisin, il ne dépasse guère les 30% du PNB. L’économie mauritanienne est jugée, par les experts, comme la moins développée au niveau mondial parmi 48 pays. Un communiqué du Fonds Monétaire International a indiqué, en Mai 2016, que le taux de croissance en Mauritanie est de 1,9%, alors que les prévisions du gouvernement tablaient sur 4,5%. A cela, s’ajoute, naturellement, le recul de nombreux indicateurs économiques concernant, entre autres, l’investissement par rapport au PNB dont le taux a baissé, en 2015, de 49,5% à 35,5%, les réserves de la BCM qui sont passées de 21,9% en 2014 à 16,2% en 2015. Selon les analyses des économistes, le recul de l’investissement et la baisse des réserves monétaires en devises interviennent négativement, dans la résorption du chômage et la lutte contre la pauvreté, en raison du rétrécissement du marché de l’emploi et la dégringolade du revenu de la population. La situation économique est aujourd’hui, plus que jamais, sombre d’autant plus que les bailleurs de fonds occidentaux ont pratiquement suspendu les prêts, en raison du précipice où s’engouffre la Mauritanie, ce qui en fait un pays économiquement insolvable.

 

Trafic d’influence

Au plan sécuritaire, malgré la propagande du régime qui prend toutes les allures, les deux principaux partenaires du pays, les USA et la France, en particulier ce dernier, ont inscrit la Mauritanie au voyant rouge de l’alerte pour risque terroriste. Ce sombre tableau de la situation du pays a été exploité, par le régime, pour imposer davantage d’impôts, briser toute initiative individuelle qui vaille et frapper, sévèrement, le secteur informel, en le mettant à genoux. Il en est de même du monopole exercé sur l’appropriation et la vente des domaines publics, à travers un trafic d’influence rapace et sans précédant dans le pays. Comme il a interdit l’importation des véhicules qui était une bouffée d’oxygène pour la classe moyenne. Dans cette foulée de destruction indescriptible, le tourisme s’est vu pratiquement saboté, lorsque le régime s’est permis d’imposer les tarifs les plus chers au monde pour les visas d’entrée au pays.

Le gouvernement continue d’agir, négativement et de force, sur le revenu des populations et leur pain quotidien, à travers des impôts sévères sur le riz et le mazout : 165 UM pour le kg de riz et 200 UM pour le litre du carburant. Le prix de la sardinelle (plus connu localement sous le nom de yaye boy), le célèbre poisson largement consommé par les populations, surtout les plus pauvres, a connu une véritable flambée passant de 20 UM à 100 UM la pièce. Ne portant aucun intérêt au sort des Mauritaniens et sans aune réponse aux défis que génère cette situation dramatique, Ould Abdel Aziz, dans sa fuite en avant se traduisant par de perpétuels voyages sans précédant à l’extérieur et sans retombées positives pour le pays, se complait en randonnées à l’intérieur, dans le seul but d’occuper les gens, mettre en branle sa machine de propagande pour se faire glorifier. Cette situation qui se dégrade, dans un contexte dominé par le gaspillage dans tous les secteurs : agriculture, éducation, santé, justice ; et par des pratiques qui découragent les investisseurs et les importateurs ; ne laisse au Président qu’une seule issue de sauvetage : s’asseoir à table avec l’élite du pays, dans une quête de réconciliation nationale et de construction consensuelle des bases d’une démocratie apaisée et fiable.

Mohamed Abdel Aziz, qui n’a de logique que celle de la répression, devra, lui en particulier, songe à temps à son sort. Il a appauvri tout un peuple, jeté les bases d’un climat des affaires à sa guise ignorant tout d’une gestion économique saine, pourchassant et faisant émigrer les fonds et les hommes d’affaires afin d’assurer à son groupe la domination et de profiter seul des richesses du pays désormais aux mains d’individus parvenus à ce stade par la force et la seule volonté de l’Etat. De même, il s’est appliqué fébrilement à entretenir des rapports conflictuels avec l’opposition depuis qu’il a accédé au pouvoir, gérant directement tous les coups fourrés en vue d’ébranler la volonté de celle-ci.

Une situation peu reluisante

A la lumière de cette situation peu reluisante, n’est -t-il pas logique aujourd’hui que le président Aziz mesure, lui-même, le sort qui l’attend inéluctablement lorsque l’opposition s’engage dans une réelle épreuve de force avec son pouvoir dénué de toute légitimité. Les masques étant tombés et les slogans dévastateurs à jamais nus, la capacité de mobilisation de l’opposition montre plus que jamais l’écho favorable dont elle dispose sur la scène nationale et augure de lendemains meilleurs du simple fait que celle-ci est restée fidèle à ses principes malgré qu’elle a été traitée de tous les maux et combattue à outrance par le régime la traitant de criminelle, sans foi, ni loi. Selon des sources concordantes, le président Aziz est lui-même convaincu et le laisse souvent entendre que ses soutiens sont pour la plupart animés par les motifs strictement personnels comme en témoigne sa réponse à l’ex-présent de l’UPR lui suggérant d’augmenter le nombre des membres du Congrès du parti en lui rétorquant qu’ils peuvent se suffire de 120 hypocrites. Il se dégage de l’analyse de cet état de fait que toute occasion convenable s’offrant à lui pour quitter le pouvoir sans risque personnel sera sa bouée de sauvetage et sera la bienvenue.

La donne nouvelle qu’ignore pratiquement tout le monde est la force croissante et trouble de la populace qui échappe à tout contrôle à travers une montée inattendue de revendications et de griefs conjugués aux effets dévastateurs du chômage et des tensions sociales de toutes sortes. Cette force là, dont la composition diffuse et difficilement identifiable, n’est généralement pas portée au répit dans ses actions pouvant être désormais violentes dès l’instant fatidique où elle se met en branle, tous groupes confondus, à la moindre incartade pour donner à la révolte toute son ampleur. A cet effet, nous devons garder en mémoire le cas Bouazizi de la Tunisie et cette perspective, si elle intervient, ce sera d’abord  l’alternative à l’échec du processus démocratique. Face à cette situation périlleuse, le président Aziz n’a pas d’autres choix que d’abandonner son arrogance et tendre la main à l’opposition pour mener un processus devant conduire le pays vers l’alternance démocratique au pouvoir et de refuser de tendre une oreille attentive au groupe restreint qui l’entoure et le pousse à ne pas agir au vu des données de la situation actuelle qui risque de conduire le pays dans l’abîme.

Mais où est donc, aujourd’hui, cette opposition à laquelle devra  Aziz tendre la main? Que veut-elle, à quel prix et à quelles conditions? N’est il pas temps pour cette position de profiter de l’expérience et des leçons qui ont réussi et fait leurs preuves dans les pays voisins? L’expérience gambienne n’est elle pas, elle aussi, un modèle du rôle que doit jouer une opposition tenace et consciente des enjeux politiques du moment? Elle faisait face, il y a quelques mois avant l’élection présidentielle, c'est-à-dire en Avril dernier, à une répression féroce suite à des manifestations revendiquant tout simplement la réforme du code électoral et qui ont donné lieu au décès de deux membres du Parti Démocratique unifié, qui a subi la plus lourde peine (3 ans d’emprisonnement pour le président du PDU, Ousainou Darboe qui a perdu 4 élections face à Yaya  Jammeh,  l’éternel au pouvoir).

En Gambie, les observateurs internationaux ont été empêchés d’assister à cette élection présidentielle,  de visiter le pays et d’une manière générale «l’argent n’a pas joué un rôle important dans l’alternance pacifique au pouvoir et les gens ont continué à croire que le fait accompli sera poursuivi», comme l’a souligné le correspondant de la Chaine LBC. Ce contexte, apparemment défavorable, n’a pas empêché l’opposition de se rassembler et de s’engager dans la bataille mais les éléments que sont la surprise et la détermination ont créé cette force et cette dynamique faisant le reste en permettant à  l’espoir de naître  chez les opposants, les mécontents, et tous ceux qui ont subi des préjudices du pouvoir mais qui n’avaient pas osé publiquement exprimer auparavant leurs opinions. L’opposition gambienne n’est pas restée les mains croisées attendant hypothétiquement un coup d’Etat malgré que le président était venu pour la première fois par le biais d’un putsch militaire ; elle n’a pas non plus attendu un dialogue sans horizons et sans limites dans le temps, ni compter sur l’usure du pouvoir et l’effet des conditions déplorables du pays. Au contraire, elle a pris l’initiative, s’est jetée dans la bataille et changé la donné de l’intérieur du système. C’est la deuxième leçon du genre après la victoire de l’opposition sénégalaise unie sur Abdoulaye Wade, il y a quatre ans.

Démarche salutaire

Apparemment, l’opposition ne veut tirer les leçons si édifiantes soient-elle. Aujourd’hui, elle refuse et campe à la marge du combat politique scrutant le ciel dont elle attend l’accès au pouvoir alors que la situation est pleine de promesses parce que de réelles occasions s’offrent à elle et permettant de changer son positionnement et partant l’alternance en sa faveur. Le président, capable de bénéficier de tout ce qu’il veut par l’intermédiaire du soutien tribal, comme l’atteste de manière permanente l’expérience vécue, a décidé de ne pas recourir à la modification des articles protégés de la constitution, non pas pour des raisons juridiques mais objectivement en réponse aux pressions de nombreux milieux affirmant qu’il agit ainsi dans l’intérêt de la patrie, ce qui renforce la conviction en cette démarche salutaire.

Paradoxalement, l’opposition, sans vision claire de la situation, ni conduite alternative,  n’a pas apprécié à leur juste valeur les pressions ayant encouragé ce geste, ni salué la position du président Aziz qu’elle a abandonné en proie à une multitude de contraintes et sollicitations l’obligeant à chercher une bouée de sauvetage ailleurs. En réplique, cette opposition a présenté une nouvelle unité de ses rangs bâtie sur un modèle ancien sans véritable âme et s’est placée elle-même dans une épreuve d’où elle sortira sans crédibilité populaire au moment de sa défaite, une perspective probable.

Sur  les différentes opportunités qui se sont présentées à elle, l’opposition a privilégié le choix de l’affrontement, «Boycott actif du référendum»  avant d’avoir épuisé les options pacifiques. L’opposition ne veut pas donner une quelconque chance à l’émergence d’un rapport de forces qui intervient généralement grâce au sérieux, à la persévérance et l’attachement aux règles du jeu lui-même. Elle est capable d’y parvenir sans coup férir en donnant un signal positif au président Aziz permettant de construire une confiance réciproque de nature à jeter les bases saines et durables pour le processus d’alternance pacifique au pouvoir n’offrant sans nul doute aucun avantage au régime en place. Il en résultera un renforcement de l’opposition et donnera l’espoir de changement comme il dissipera la peur permettant aux gens de goûter à l’exercice de la liberté d’expression, de choisir sans contrainte et de marquer leur différence d’opinion. D’autant plus que les possibilités de changement au sein du régime sont très faibles et marginales.

Dès que l’opposition recourt à la confrontation, elle s’impose un rideau l’isolant des citoyens hésitants, des hommes d’affaires, des populations dominées par la peur et cette situation devra donner  de la force à Aziz engendrant ainsi la possibilité pour son régime de se perpétuer d’une manière ou d’une autre. Cela ouvrira la voie à d’autres scénarios, verrouillés par essence, et beaucoup plus dangereux que l’héritage du pouvoir comme par exemple le retour de Mohamed Ould Abdel Aziz au gouvernail de l’Etat après quelques mois ou d’autres cas d’espèces qui consacrent définitivement l’absence de possibilités d’alternance pacifique réelle au pouvoir.

Si elle est conséquente, l’opposition n’a pas d’autre choix que de s’en tenir aux règles du jeu et l’engagement persévérant dans l’action politique rentable ou dégager une approche se fondant sur  le processus politique dont les grandes lignes se dessinent actuellement. Ce travail devra être mené à partir d’une évaluation scientifique et objective du paysage politique dans toutes ses données et l’élaboration d’une stratégie définissant clairement les voies et moyens permettant d’assurer l’alternance pacifique au pouvoir. Il sera alors question du niveau des concessions, des sacrifices à consentir, la nature des marchandages, des pressions à exercer sur le pouvoir ainsi que de la conduite permettant de réunir les facteurs, les éléments positifs et les tendances du moment dans une dynamique permanente en vue de favoriser le changement pacifique auquel acceptent de prendre part au même titre le citoyen ordinaire, l’homme d’affaires et le fonctionnaire, etc.

Nous pouvons surtout dissiper de nombreuses craintes au niveau de la CENI en corrigeant les fautes, les inconvénients, les lacunes et combattre le trafic d’influence, l’implication de l’armée ainsi que les autres revendications relatives à la transparence et à la neutralité. Nous pouvons également travailler à la révision des textes règlementant les campagnes électorales concernant l’aspect financier qui demeure depuis 2007 un handicap se traduisant par le fait que le financement de l’élection présidentielle ne devra pas excéder 500 Millions d’UM et celui autorisé pour les députés dans les Moughataas ne devra pas dépasser les 10 Millions. Cette révision du financement des élections permettra sans nul doute de combler le grand fossé qui sépare les candidats et permettre aux prétendants de s’engager dans ces compétences avec des chances plus ou moins égales. D’autres mesures peuvent offrir plus de possibilités à l’opposition pour se libérer de l’emprise de Mohamed Ould Abdel Aziz, de permettre à tous les hésitants, les citoyens apeurés et à tous ceux qui ont subi un préjudice d’avoir le courage et la liberté de choisir leur camp. Sinon, l’opposition devra s’attendre à être tenue responsable devant l’histoire pour une part essentielle de toute dérive du pays vers le gouffre en raison de la crispation, du blocage et de la crise politique n’excluant aucune perspective sombre pour le devenir du pays.

Le président Aziz ne devra pas se substituer au pays : son intérêt, sa stabilité et sa pérennité. Il devra également se réconcilier avec lui-même et démentir sans équivoque l’hésitation dans laquelle certains voudrait le confiner. Un proverbe hassania énonce la sagesse suivante: «Méfiez-vous de celui qui te miroite l’intérêt de l’acte pour lequel il ne peut vous être d’aucune utilité». Il devra surtout affirmer sa décision finale qui permettra sans équivoque d’ouvrir des perspectives d’avenir claires où la transparence sera effective et méditer profondément sa responsabilité totale en ce qui concerne l’avenir du peuple. Il ne devra en aucune manière oublier le hadith qui dit que «Vous êtes tous  gardiens et chacun de vous est responsable de ses sujets…»  La charge du chef d’Etat ne peut pas être alignée sur celle de n’importe quel responsable et il lui est indispensable de tirer les leçons de la situation des pays où régnaient la paix et la quiétude mais que la pagaille a complètement disloquée pour laisser s’imposer les lendemains incertains, la peur et l’errance.

La seule option pacifique qui s’impose aujourd’hui au Président Aziz réside dans sa capacité à créer les conditions de rapprochement, d’entente et de confiance réciproque avec l’opposition, de chercher le plus petit dénominateur et les plus simples bases communes pour fonder le plus large consensus national conduisant le pays à surmonter la crise actuelle et assainir le climat politique. Personne n’a intérêt à ce qu’il quitte la position enviée de l’homme d’Etat dans son pays pour devenir un apatride contraint à rechercher un refuge ailleurs. Plus que jamais, la voie sera dès lors bouchée pour notre peuple auquel il ne reste plus de force capable de faire évoluer cette situation dans le bon sens. Oh Dieu j’ai informé ; Oh Dieu peut témoigner.                                                                                                                                                                                              

 

 

 

 

Mohamed Mahmoud ould Bekar