Nouvelles d’ailleurs : Un grand moment de solitude...

10 November, 2016 - 00:58

Je ne sais pas vous mais, moi, j'ai la nette sensation que nous n'avons pas le vent en poupe en ce moment. Entre les Américains et leur communiqué de mise en garde, à l'intention de leurs ressortissants, les Français et leur communiqué, après l'agression d'une citoyenne française à Nouakchott, les bateaux du Vendée Globe invités à ne pas s'approcher de nos côtes, par peur d'actes de piraterie (et moi qui croyais que les seuls actes de piraterie étaient ceux pratiqués par nos forces de l'ordre sur nos routes...), le pied de nez marocain et Mohamed VI qui choisit Dakar, pour commémorer le 41ème anniversaire de la Marche Verte, ça sent les crispations et les ulcères à l'estomac.

Nous avions déjà subi quelques humiliations, lors de THE Summit Arabe, avec les chaises vides et les nez libanais pincés, à l'idée de dormir dans notre capitale. Bref, il y a de l'eau dans le gaz. Je dirais même plus, il y a du gaz dans l'eau. Finies les lunes de miel, du temps où nous étions, fièrement, les garants de la sécurité dans la région et la sous-région et les garde chiourmes anti-immigration pour les Européens ! Les seuls qui nous aiment bien encore, ce sont les Saoudiens et les Qatari. Ces derniers nous aiment tellement qu'ils ont même l'intention de construire un complexe touristique de luxe dans notre belle Capitale. Quant à savoir ce qu'il y a à visiter à Nouakchott, c'est une autre paire de manches... Peut-être nos embouteillages légendaires, nos poubelles, nos saletés, notre urbanisme harmonieux, nos manifs du lundi, nos boîtes de nuit conviviales, nos lacs urbains, la vie exotique de nos moustiques, nos pauvres, nos gazras (en voilà une bonne idée : des tour-operator spécialisés dans les promenades dans les quartiers pauvres !).

Mais, bon, si les Qatari riches et fortunés décident de venir passer leurs vacances chez nous, plutôt que sur la Côte d'Azur, Londres ou New York, grand bien leur fasse ! Nous leur ferons découvrir nos trois verres de thé et nos femmes les plus belles. Les Saoudiens nous donnent de l'argent. C'est un fait, chez eux : ils donnent, ils financent. Cela fait des lustres qu'ils nous donnent de l'argent. Ils donnent à des organisations religieuses, à des leaders religieux, à des associations... Il suffit d'en faire la demande. Il fut un temps où certains de nos politiques allaient chercher l'argent en Libye. Mais depuis que le Guide la Révolution est passé ad patres, les vannes sont fermées. Les Libyens ayant d'autres chats à fouetter que la Mauritanie, nous ne sommes pas prêts de revoir la couleur de leur argent.

Le Sénégal nous fait quelques misères, oh, de petites « plaisanteries », genre parenté à plaisanteries... Pas très cool, entre cousins, mais pas très méchant non plus. La dernière est la réception de Mohamed VI en grandes pompes, le souverain du Nord (pour le situer par rapport à notre Sultan du Centre, le nôtre) à la pêche au siège marocain vacant à l'UE... Vu que c'est le froid polaire, entre moustaches marocaines et moustaches des Nous Z'Autres, en voilà un geste « ni amical, ni objectif » (ça, c'est pour faire dans le discours à la mode) ! En plus, le Maroc étant le nouveau Président de la COP22, c'est dire que nous sommes en pleine traversée du désert, sans jeu de mots.

A l'Est, rien ne va. Sangaris s'embourbe. Les affrontements ont repris de plus belle. Le Mali n'en finit plus de sombrer. Au Nord, nous nous sommes subitement rappelés que le Polisario existait. Du coup, vu que nous sommes en pleine politique du dos tourné, avec nos amis marocains, nous montrons, ostensiblement, notre attachement à la « glorieuse lutte du peuple sahraoui » et nous avons versé moult larmes, à la mort de l'ancien Président Sahraoui. A l'intérieur, c'est la soupe à la grimace. L'opposition manifeste. Le Dialogue nous a joué un tour de passe-passe magique. Des militants abolitionnistes croupissent en prison, quand leur leader est reçu par les plus hautes autorités françaises.

Si l'on demande, à un compatriote, ce qu'il pense de la situation économique, on a droit à un « C'est dur, ma sœur, c'est la crise ! ». Et qui tend l'oreille entend une colère, profonde... Mais nous continuons notre bonhomme de chemin. Les cérémonies de ralliements de partis en partis, notre reste de nomadisme, battent leur plein. Les partis qui se scindent, toujours d'actualité. Les tournages de serouals aussi. C'est la danse des sept boubous, babouches comprises. Je reconnais l'esthétique du tournage des sept boubous. Mais reconnaissons que cela peut paraître étrange à tout étranger qui nous regarde.

Les communiqués de la Majorité disent toujours la même chose, comme quoi « unis derrière son Excellence le Président, et patati, et patata ». Les communiqués de l'opposition disent le contraire (c'est pour ça qu'on l’appelle opposition). Les journaux sont toujours partagés entre graveleux et désinformation (il faut justifier les subventions), à de rares exceptions près. Nos télévisions sont toujours aussi unicolores et uni culturelles.

L'élan patriotico-idéologique est en pleine forme. On nous invente, même, une guerre anticoloniale, là où il y eut, certes, des actes de résistance, mais pas de mouvement de fond. Du coup, on va inscrire cette résistance sur notre drapeau et dans notre hymne. Dans un pays qui ne connut pas de pouvoir centralisé, c'est ainsi que l'on fabrique une mémoire.

Notre école fabrique, elle, des cancres et des racistes, sans que cela suscite une protestation de masse. Ceux qui pourraient protester, de par leur niveau d'éducation, s'en fichent comme de leur premier tengal. Eux, ils ont réglé le problème : leurs gosses sont dans les écoles privées et au Lycée Français, ce qui coûte un bras et une jambe et la tête avec. Ils sont toujours sur leur orbite... loin de nous. Certains quartiers de Nouakchott sont devenus le Bronx local. L'insécurité y est reine. Dès que la nuit tombe, c'est la peur, dixit notre Mosy de service.

L'électricité n'est toujours pas à tous les étages. C'est notre loterie nationale, notre jeu de hasard. Une fois nous sommes électrifiés, une fois non. C'est aléatoire, avec un aléatoire qui, quand même, est moins pesant et plus court dans les quartiers riches. Quand vous vivez dans un quartier pauvre – c’est-à-dire dans 80% des cas, une coupure électrique peut durer 24 heures... C'est sûrement parce que nous estimons qu'un pauvre est déjà habitué aux manques. Pas un riche : un riche, c'est fragile. Certains opérateurs téléphoniques nous vendent du vent, au prix de l'or, ce qui, et c'est jouissif, provoque des bordées d'injures sur les réseaux sociaux. La colère rendant polyglotte, nous avons même eu droit à de rageurs «  fu... Mauritel » ! Comme quoi d'un mal peut sortir un bien.

Notre pays, qui a la folie des grandeurs au moment où rien ne va, vient de se doter d'un nouvel avion pour notre compagnie nationale. Entre un aéroport vide et une flotte dont les sièges sont loin d'être remplis, on se demande le pourquoi de l'urgence de ce nouvel aéronef. Mais, si des gens importants qui ont fait des études ont décidé que nous avions besoin d'un nouvel avion, laissons-leur le bénéfice du doute. Mais je ne suis pas sûre que tous les compatriotes qui se sont retrouvés, une paire de fois, en rade à Casa, attendant nos avions, sans informations, soient vraiment soulagés par cette acquisition. Comme dirait un ami visionnaire, « emmerdements multipliés ». Le visa d'entrée, pour les rares touristes qui aimeraient visiter notre pays boudé par tous, est toujours à 120 euros. 120 euros pour avoir l'insigne chance de traîner leurs chaussures dans nos poussières. Attention, il faut qu'ils aient la monnaie ! Sinon, on ne leur rend pas la différence (piraterie ? J'ai dit ça, moi ?).

Alors, moi, je vous le dis comme je le pense : nous traversons un grand moment de solitude, très grand, très long... Un vrai truc à déprimer. Prozac à tous les étages. En attendant que l'orage passe et que le Prozac fasse effet, nous allons faire ce que nous savons très bien faire : méditer sur le fatalisme, en contemplant nos orteils, et, accessoirement pour nos hommes, lorgner la femme du voisin, tourner en voiture les soirées (sport national), médire sur les autres, manger, boire des litres de thé et attendre que notre pays réapparaisse sur la carte du monde. Moi, je commence : j'ai stocké des tablettes de chocolat. Le chocolat est un bon antidépresseur. Et je reprends mes conversations avec mes orteils... Salut,

 

Mariem mint Derwich