Lettre au Président Aziz (Suite) / par Mohamed Saleck Beheite

27 October, 2016 - 02:35

Monsieur le Président

Dans la première partie de cette lettre, que je vous adresse comme un appel au bon sens et une invitation à prendre conscience des seuils de tolérance, largement atteints à tous les niveaux de la vie nationale, je vous ai suggéré de vous démarquer de votre encombrant entourage, de vous débarrasser de ce gouvernement qui, exception faite de deux ministres (exception qui confirme la règle) est l’incarnation vivante de la médiocrité et de rendre le tablier dès la fin de votre mandat.

C’est là, en priorité, le prix à payer pour laisser le destin démocratique de la Mauritanie s’accomplir après vous, loin des barouds suicidaires des apprentis dictateurs, qui gravitent sournoisement autour de notre constitution et des complots de casernes, qui ramènent en mémoire à la martialité perfide et stérile des militaires Tiers-mondistes, du temps où l’Union Soviétique procédait par la création des zones tampons afin de réguler l’équilibre de la terreur. 

Je conviendrais hélas, que vous pourrez trouver déplacé, qu’on vienne vous demander de remettre en cause vos choix en matière d’hommes et de collaborateurs, mais une fois la requête argumentée par des faits têtus et compromettants, quoique non exhaustifs, vous y verrez probablement plus de raisons de m’écouter qu’il n’y paraît aux premiers abords. Vous y verrez aussi et surtout, moins d’animosité supposée, à l’égard de vos ministres et autres dignitaires de votre régime.

 

S’AGISSANT DES MINISTERES DES FINANCES ET DU PLAN

1°)- On se rappelle que c’est sous les conseils du staff technique de ce gouvernement, que vous avez annoncé, en grande pompe, notre sortie de l’espace des PMA (Pays les Moins Avancés) avant de vous rendre compte que la lecture des indicateurs et paramètres qu’on vous a faite, pour vous prononcer sur cette question hautement stratégique et sensible, est erronée et ne traduit que la volonté manifeste de vous induire en erreur et de tourner en dérision vos grands projets.

On se rappelle également que c’est ce même staff, sur qui vous comptiez pour mettre en œuvre votre stratégie de lutte contre la gabegie, qui a créé les conditions de pillage systématique et jusqu’ici impuni, du Trésor public, en ayant recours à certaines combines dont les fameux appels de fonds complémentaires en faveur des FRD (Fonds Régionaux de Développement).

Un crime d’ampleur nationale, odieux et sans précédent, qui s’est traduit par le détournement de dizaines de Milliards dans les trésoreries régionales. La crise qui en a résulté, conjuguée aux effets des redressements fiscaux intempestifs et de l’érosion monétaire, qui en sont les conséquences, a entrainé la disparition de la classe moyenne et la mise à mort programmée de la bourgeoisie nationale, sur qui l’Etat s’est rabattu pour se refinancer et combler les trous creusés dans sa trésorerie moribonde.

Vous gagnerez à savoir, par ailleurs monsieur le Président, que ceux qui croupissent en prison pour ce motif grave, n’en sont responsables qu’en second degré. Leurs parts dans les pactoles, sont dans les mêmes proportions que leurs rangs au sein de la filière qui se présente comme suit : les Walis en premier, les Hakems, les Directeurs centraux du Trésor, les Maires et enfin, les trésoriers régionaux et départementaux.

Ceci étant, le moins qu’on puisse dire à ce sujet est, qu’à travers cette saga des comptables publics, votre système vous a signifié à quel point il est réfractaire aux réformes que vous avez introduites, sans toutefois prendre les mesures d’accompagnement, pour en résorber les incidences sur la vie de populations habituées jusqu’à là, à l’assistance de l’Etat-providence. Vos collaborateurs chargés de la question n’ont, semble-t-il, pas su déchiffrer le message et, par conséquent, continuent à vous exposer aux coups de boutoir impitoyables que vos détracteurs portent avec beaucoup de tact à votre crédibilité et à votre gouvernance.

 

S’AGISSANT DU MINISTERE DES PECHES

2°)- Dans sa réponse à vos soucis d’initier une saine politique de pêche, votre gouvernement a excellé dans l’art de la complaisance et ses techniciens, dans celui de la diversion.

a) En hypothéquant, pour plus de vingt cinq ans, les ressources halieutiques nationales, les experts de ce département essaient de faire valoir l’idée selon laquelle une délocalisation de la coopération économique en faveur de la Chine, est la réponse qu’il convient d’opposer à ‘’l’insolence néocoloniale’’ de l’Union Européenne.

b) D’un autre côté et sans qu’on sache comment ils s’y sont pris, ces mêmes experts ont réussi à convaincre nos partenaires européens de la nécessité de réorienter l’aide financière, initialement destinée à la surveillance des pêches, vers une laconique lutte contre l’immigration clandestine dont on sait tous que les routes de prédilection se situent, non pas sur le littoral mauritanien, comme le soutiennent certains gardes-côtes en mal de sensations fortes, mais plutôt sur les rives de la Méditerranée et les grilles de protection des enclaves de Ceuta  et Melilla.

c) Ils ont utilisé la DSPCM (Gardes-Côtes) pour désarticuler les industries nationales des pêches, précipiter la désaffection de la flotte mauritanienne et favoriser l’émergence d’opérateurs aux méthodes controversées. (Il serait question de vente des saisies de la DSPCM à des commerçants, ayant pignon sur rue en Angola.). 

(Nous reviendrons sur ce sujet dans nos prochaines éditions)   

 

S’AGISSANT DU MINISTERE DE L’AGRICULTURE

3°)- Au moment où vous avez tout misé sur la relance du secteur agricole, que vous y avez étendu, à l’effet de le refinancer, le champ d’action de la CDD et entrepris l’assainissement du Crédit agricole, votre gouvernement et ses techniciens s’y sont comportés comme un troupeau d’éléphants dans un magasin de porcelaine, ou de sangliers dans un champ de riz, pour ne pas dire, de comptables dans un coffre-fort Made in China.

Sans se préoccuper des enjeux qui s’y rapportent et qui déterminent en partie votre avenir politique, ni de l’obligation qui vous est faite d’y relever des défis, à la mesure de vos engagements et professions de foi, ils y ont saboté et anéanti jusqu’aux plus petites lueurs d’espoir de le voir un jour renaître de ses cendres et des sueurs du prolétariat Haratine qui y a laissé autant de plumes que de rêves brisés.

a) C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la crise qui a terrassé la SONADER et la SNAAT et qui a altéré l’engouement de nos partenaires étrangers à financer le PGRNP et le Projet Oasis, dont il a fallu changer les noms pour des raisons de traçabilité.

b) C’est également dans ce cadre qu’il convient de placer le bradage du parc automobile et d’engins des Travaux Publics du département de l’agriculture avec la bénédiction de l’ancien ministre des Finances et de l’ancien Directeur des domaines. Ce parc est estimé à plus de deux Milliards d’ouguiya.

c) Et c’est enfin, dans ce cadre que se situe la crise des engrais qui jette le discrédit, non seulement sur le Département de l’agriculture, mais aussi sur le Ministère du Commerce, la SONIMEX, la BCM et sur le système SYDONIA de la Direction Générale des Douanes.

Monsieur le Président,

Pour cette deuxième partie de ma lettre, je me limiterais à ces exemples, qui illustrent parfaitement la perception que l’opinion publique a de votre gouvernement et du bilan dont il se vante sans le moindre souci pour les scrupules et le sens de la mesure. A entendre votre porte parole faire l’éloge de vos réalisations et surdimensionner votre œuvre, on en vient à penser que c’est votre gouvernement qui a construit les pyramides d’Egypte et le canal de Panama.

Je sais cependant que vous avez une toute autre idée de cette question, celle dont les laudateurs et courtisans de mauvaise foi sont le principal vecteur, mais pour vous édifier, demandez à vos médias officiels, vos conseillers et à vos porte-paroles d’apporter au débat des éléments pouvant réfuter les critiques et accusations dont il est l’objet, faute de quoi, des aveux implicites d’échecs peuvent vous être imputés.

Au plan politique, les mêmes scénarios vous sont servis froids et agrémentés des épices du mensonge flatteur par ceux auxquels vous avez tout donné. Ceux que vous avez ôtés à la maison de l’orphelinat (ervedthoum min dar elyitm).

Il y a un peu plus de deux mois, l’un des députés les plus en vue de l’UPR, me disait en aparté : << Le dialogue est une aberration. Dialogue autour de quoi », répétait-il sans cesse. « Aziz a un mandat légal, il a le droit de s’isoler avec son exercice en y associant les personnes de son choix, il y est souverain.» Et le député de continuer : « le dialogue est une astuce de quelques pontes du système. Il leur permet de continuer à exister politiquement, à défaut de pouvoir le faire par les urnes dans leurs fiefs. Dans cet ordre d’idées il y a l’exemple inédit de Moulaye Ould Mohamed Laghdhaf qui est, lui aussi, très édifiant, car sa notoriété de PM, qu’il doit à sa proximité avec le chef de l’Etat, l’empêche d’envisager la possibilité de retomber dans l’anonymat>>

Voilà. La boucle est bouclée. Tout est désormais dit. Sous cet éclairage, qui sonne comme un désaveu en provenance du cœur du système, il apparaît que le dialogue n’est que la manifestation d’un réflexe de conservation politique, de ceux-là même qui ont compromis votre aura auprès du peuple mauritanien et mis en péril vos relations  avec vos amis étrangers. Cette explication éclaire surtout d’un jour nouveau, les raisons des échecs récurrents de rapprochement entre vous et votre opposition. Moulaye Ould Mohamed Laghdhaf vous doit des explications et probablement, des comptes pour avoir occulté cette dimension du dialogue.

En effet, de Moulaye en passant par Ould Hademine, vos ministres, vos ‘’amis’’ et votre parti, personne n’a intérêt  à vous voir sceller une paix durable avec  votre opposition puisque, le cas échéant, tout ce beau monde sait qu’il n’aura plus de place à vos côtés. L’incompétence et l’absence de charisme et de popularité, l’handicapent et l’empêchent de devenir compétitif ou, au moins, politiquement correct. Vous avez été piégé, monsieur le président et enfermé, malgré vous, dans une logique de conflit avec deux tiers des mauritaniens.

Monsieur le Président, je vous le dis une fois encore, ce gouvernement a détourné les ambitions que vous nourrissiez pour le pays dont il a laminé le potentiel historique. Il a aussi minimisé les sacrifices que vous avez consentis et les risques que vous avez pris pour déloger la dictature de Taya, au péril de votre vie et de l’avenir de votre famille.

Si vous n’y prenez garde, il risque fort bien de compromettre l’image que vous voulez léguer à la postérité et, partant, l’œuvre à laquelle vous pensez, à juste titre, avoir donné le meilleur de vous-même. Il risque aussi de donner le coup de grâce à vos aspirations légitimes de faire une sortie honorable pour l’histoire à la fin de votre mandat.

Par son incompétence et son incapacité de traduire en contenu de réalisations concrètes et de manière satisfaisante, les engagements électoraux que vous avez pris à la face du monde, ce gouvernement est en train de consacrer votre isolement à l’intérieur comme à l’extérieur de la Mauritanie. A défaut de pouvoir ou de vouloir le juger, vous devez vous en démarquer pendant qu’il est encore temps, façon de ne pas avoir à répondre de sa gestion et des fautes graves dont il s’est rendu coupable.

Quant au dialogue, auquel ses membres (le gouvernement) semblent fortement attachés, tout en redoutant son aboutissement, il n’est qu’un stratagème qui consiste à vous pousser à commettre l’irréparable : manipuler la constitution dans la perspective d’obtenir ce troisième mandat, que vous venez de rejeter avec une énergie et une clairvoyance inattendues.

Donc, qu’il soit dit en passant, que le projet du troisième mandat est l’étape ultime que le système fera en votre compagnie, avant de vous abandonner à votre sort et d’aller exercer ses talents de laudateur auprès de votre successeur. De toute façon et quelqu’en soit l’issue, un troisième mandat sert vos ‘’amis’’ autant qu’il vous dessert. Evitez-le donc monsieur le Président, à la manière d’éviter la…peste...

(A suivre)