Lettre au président Aziz /de Mohamed Saleck Beheite

20 October, 2016 - 00:41

Monsieur le Président

Vous ne le savez peut-être pas, mais il m’arrivait souvent de m’adresser, par voie de presse, aux chefs d’Etat mauritaniens en exercice, notamment aux trois qui vous ont précédés, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, Ely Ould Mohamed Vall et Maaouya Ould Taya. Mes interventions sur ce registre sont donc connues à travers mes chroniques, d’abord dans Le Calame (Chronique de Ould Beheit) et ensuite, dans le Méhariste Quotidien (Les Délires du Mercredi).

Ces interventions consistaient toujours à interpeler le chef de l’Etat du moment, chaque fois que la situation du pays commençait à se dégrader sur le triple plan politique, économique et social et que les dérives autoritaires, qui sont les corollaires de ses conséquences, commençaient à prendre le pas sur le droit et sur le fonctionnement normal des institutions.

Le 27 Juillet 2005, c'est-à-dire, six jours avant les événements du 3 Août 2005, qui allaient emporter son régime, je me suis adressé au président Maaouya, à travers une lettre célèbre, le mettant en garde contre un coup d’Etat imminent. Je lui recommandais, par la même occasion, de profiter du forum organisé par le RDU pour introduire des réformes urgentes, afin de contenir les effets induits de la crise multiforme qui marquait la fin de son règne et que le PRDS qualifiait d’action de sape derrière laquelle se profile ‘’la main de l’étranger’’.

L’exactitude de mes prévisions à ce sujet, avait d’ailleurs surpris bien des analystes et observateurs qui n’avaient rien vu venir, malgré les signes qui ne trompaient pas sur votre montée en puissance, à la faveur de certaines mutations à l’intérieur du régime et sur la scène géopolitique internationale.

En effet, votre position, au sein de ce régime, était renforcée par deux avantages exclusifs : la confiance que vous accordait Maaouya et la discrétion dont vous faisiez preuve, dans les mécanismes du rapport de force entre les détenteurs réels du pouvoir.

A l’époque, il était pourtant facile de comprendre que vos ambitions pourraient résulter d’un concours de circonstances, somme toute objectif et déterminé par deux facteurs majeurs : votre retour à la tête du BASEP, après en avoir été évincé dans des conditions peu amicales au profit du commandant Eyoub et la tentative de putsch de 2003 qui a mis en relief la fragilité du régime en place. Ce putsch manqué avait déclenché la lutte pour la succession de Maaouya et, pour des raisons évidentes de proximité, vous étiez le mieux placé pour s’emparer d’un pouvoir qui était, de toute façon, chancelant.

Ni Ould Taya, ni ses RG et encore moins son PRDS, obnubilés et grisés qu’ils étaient par l’étendue de leurs pouvoirs, n’avaient accordé le moindre intérêt à mes  mises en garde et je ne serais pas étonné qu’il en soit de même avec vous, votre UPR et votre système, peu enclins à vous dire la vérité et à vous informer de manière efficace.

 

 

Monsieur le Président,

vous vous rappelez sans doute qu’en 2008 et en 2009 et même en 2005 et durant la transition, vous aviez bénéficié d’un soutien populaire et international sans précédent. A l’époque vous constituiez l’unique espoir pouvant sortir le pays de l’impasse héritée de l’époque Taya.

Vous vous rappelez également que la communauté internationale s’est attelée à réunir les conditions générales permettant à votre ascension, vers les sommets de l’Etat, de s’opérer sans la moindre entrave.  

Vous vous rappelez aussi, qu’au niveau intérieur, un front regroupant l’essentiel des forces nationales en présence s’est constitué autour de vous et avait stimulé l’ensemble des projets qui ont marqué votre premier mandat et fourni les raisons de vous accorder haut la main, un second, malgré la concurrence.

Aujourd’hui, où en est-on avec le soutien de la communauté internationale qui, généralement, se mesure à l’aune du flux des investissements étrangers, des échanges et d’un bon positionnement dans les stratégies de communication et dans les grâces des patrons des médias internationaux dont elle contrôle souvent les lignes éditoriales… ?

Où en est-on avec votre capital de confiance, né des préjugés favorables que les occidentaux vous accordaient sur la base de vos aptitudes, réelles ou supposées, à juguler le terrorisme et le trafic de drogue dans le Sahel… ?

Ces aptitudes sont pourtant vraies, si l’on juge par la manière dont vous avez sécurisé le pays et ses frontières, mais elles ont été malheureusement minées par le choix de vos ambassadeurs et par l’incompétence de vos ministres béni oui-oui, qui n’entendent pas risquer leurs situations, en vous disant certaines vérités amères.

Où en est-on avec le soutien du front intérieur qui était resté, de longues années durant, solidaire de vos politiques de développement et qui a défendu, sans jamais faiblir, vos options et vos projections ?

Les changements d’attitudes sur tous ces points, me conduisent à me poser la question de savoir en quoi vous avez démérité monsieur le Président… ?

Vous avez pourtant mis fin aux Gazras (Squats) en distribuant plus de 120 000 terrains viabilisés, vous avez transformé Nouakchott, construit un nouvel aéroport, étendu l’eau, l’électricité et les routes aux coins les plus reculés du pays, construit des ponts et des barrages.

Vous avez libéré la parole et les énergies, construit une nouvelle université, un état civil biométrique. Vous avez équipé et modernisé l’armée nationale et mis en place un arsenal juridique et un outil d’exécution (TADAMOUN) pour résoudre les problèmes inscrits au registre des droits de l’homme, et la liste de vos réalisations est longue.

Malgré ces réalisations et d’autres, non moins importantes sur le plan de la notoriété de l’Etat, dont les présidences de l’UA et de la Ligue arabe, tous les indicateurs sur le tableau de bord de votre côte de popularité sont actuellement au rouge.

Par la faute de votre gouvernement, de vos diplomates et de ceux en charge de votre communication, au niveau de la Radio, la TVM et l’AMI et en l’absence d’arguments, justifiant votre aide auprès de leurs opinions publiques, vos amis de l’extérieur commencent à faire preuve de moins de zèle et de moins de promptitude à vous venir en aide.

Vos plus fervents soutiens de l’intérieur sont désormais réticents à vous manifester leur solidarité (voir dialogue en cours) et vos plus proches ‘’amis’’ font profil bas pour se faire oublier ; une façon cynique de vous laisser seul face à la tempête dont le calme présent est le prélude, avant de vous jeter en pâture à la vindicte populaire qu’ils aiguisent, chaque jour un peu plus, par leur insolence ostentatoire.  La même lâcheté dont ont fait preuves et sans états d’âmes, les thuriféraires de Sidioca et de Taya, quelques heures seulement après leurs évictions. 

Plus grave encore, vous êtes pris en otage par les deux tendances de vos inamovibles et controversés Premiers Ministres Yahya Ould Hademine et Moulaye Ould Mohamed Laghdaf dont les dénominateurs communs sont, d’une part, l’esprit calculateur et, de l’autre, la volonté inébranlable de faire échouer tout rapprochement entre vous et l’opposition, entre vous et le peuple mauritanien, entre vous et la réalité sur le terrain.

Ces deux tendances ont rivalisé dans l’exclusion des cadres compétents au sein de votre système, tout comme elles ont jeté dans les bras de votre opposition, les personnes qui vous soutenaient de manière ferme, inconditionnelle et désintéressée.

Monsieur le Président,

ce qui est curieux et que l’on n’arrive pas à s’expliquer, c’est votre absence de réaction devant des accusations graves et dont on sait le manque de fondement. On sait, par exemple, que la plupart des griefs retenus contre vous, sont imputables matériellement et juridiquement à certaines personnes connues de la nomenklatura de votre régime. Pourquoi, ne pas s’en démarquer. Pourquoi vous exposer en rempart pour assurer les arrières d’individus qui ont trahi votre amitié et abusé de votre confiance… ??

A tort ou à raison, ceux qui mènent campagne contre vous, prétendent d’ailleurs que vous protégez ces personnes ce qui est, à mon sens,  une aberration mais, le cas échéant, sachez que vous offrez à vos détracteurs des preuves pour crédibiliser les critiques, de plus en plus acerbes, qu’ils opposent à votre discours. 

Monsieur le Président,

le sauvetage que vous avez opéré le 3 Août 2005 au profit de la nation mauritanienne, s’est  transformé. Il a d’ailleurs donné naissance à un système de courtisans opportunistes qui, profitant du manque de vigilance,  en a irréversiblement dévié les nobles idéaux.

Aujourd’hui, ces mêmes opportunistes vous font porter le chapeau de crimes économiques et de gestion avérés, dont vous n’êtes pas l’auteur et desquels vous n’avez probablement jamais entendu parler.

Reprenez pied monsieur le Président. N’acceptez pas qu’on vous prenne en otage en vertu d’une amitié ou parenté dont les premiers à en renier le contenu, seront ceux-là mêmes qui les mettent aujourd’hui en avant pour s’attirer vos faveurs ou s’adonner au trafic d’influence.

Monsieur le Président,

il n’est pas encore trop tard. Libérez-vous de l’emprise de ce système qui vous entraine inéluctablement dans sa propre perte.

Regagnez la sympathie de votre peuple, reprenez votre ancienne thématique politique axée autours de la moralisation de la chose publique et donnez les preuves du respect de ses contenus.

Donnez carte blanche à l’IGE et à la Cour des Comptes et consacrez, par votre neutralité, la séparation des pouvoirs pour permettre aux institutions de la République de se soustraire aux tares sociales et aux effets néfastes de la politique politicienne.

Croyez-moi, monsieur le Président, cette démarche vaut mieux qu’un troisième mandat et qu’une succession arrangée en catimini et dont le bénéficiaire ne pourra jamais être plus reconnaissant que Sidi Ould Cheikh Abdallahi, dont on sait tous la manière par laquelle il vous renvoya l’ascenseur.

 

…A suivre

 

Mohamed Saleck Beheite