Scolarisation d'enfants de migrants en Mauritanie : des parcours en dents de scie

22 September, 2016 - 11:00

En Mauritanie, la scolarité est obligatoire pour les six premières années d’éducation primaire universelle, mais la loi n’est pas appliquée de manière efficace. L’enseignement public est gratuit jusqu’au niveau universitaire. Les classes sont totalement mixtes, comprenant garçons et filles de tous groupes sociaux et ethniques. Il n’y a aucune restriction légale à l’éducation des filles. C’est même traditionnel : presque tous les enfants de cinq à sept ans, quel que soit leur sexe ou leur groupe ethnique, vont à l’école coranique et acquièrent au moins des notions rudimentaires de lecture et d’écriture en arabe.

Les enfants de familles migrantes sont admis à l’école mais beaucoup s’en abstiennent. C’est un réel problème, du fait de la grande mobilité de leurs parents et de leur précarité économique. Ainsi, un grand nombre d'enfants ne sont pas scolarisés ou éprouvent des difficultés à s'intégrer en classe (arrivée en cours d'année, méconnaissance des langues nationales…). De plus, l'école publique mauritanienne n'est pas adaptée à des enfants que le nomadisme de leurs parents contraindra, probablement, à poursuivre leur scolarité dans un autre pays, voire continent. Pour contourner cet obstacle, les parents disposant d’une situation financière solide envoient leurs enfants dans des écoles privées dispensant un programme français. « L’enseignement fondamental et secondaire mauritanien étant dispensé en arabe et en français, certains le jugent inapproprié et préfèrent inscrire leurs enfants en établissement privé spécialisé », précise Daouda Sarr, responsable de l’antenne de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) à Rosso et professeur au public. D’autres sont contraints à envoyer leur progéniture dans des établissements privés dispensant un programme mauritanien mais se retrouvent confrontés, plus tard, à des problèmes d’état-civil. Au moment de passer les examens, les enfants qui ne sont pas enrôlés systématiquement recalés, faute de carte de séjour. Pourtant, poursuit Daouda, « l'état civil biométrique comprend des registres réservés aux étrangers qui peuvent y enregistrer leurs enfants à leur naissance ».

Une disposition théorique dans le droit fil de la déclaration du commissaire aux droits de l'homme et à l'action humanitaire, Cheikh Tourad ould Abdel Malick, lors de la présentation du rapport initial de la Mauritanie : « Les parents (étrangers) disposent de cartes de séjour ; quant à leurs enfants, ils sont scolarisés dans les mêmes conditions que leurs camarades mauritaniens, de l'école primaire à l'université et peuvent demander leur naturalisation à leur majorité ». Une situation confirmée par madame Irabiha Abdel Wedoud, présidente de la CNDH (Commission Nationale des Droits de l’Homme), dans son intervention à la session du Conseil des Droits de l’Homme, du 1er Mars 2016 à Genève : « Tous les enfants des travailleurs migrants en Mauritanie sont acceptés dans les établissements d’enseignement publics et scolarisés dans les mêmes conditions que les enfants mauritaniens ».

 

Au cœur de la réalité

Allons sur le terrain pour mieux percevoir la réalité. Keïta Baldé, brave parent de quelques élèves à Sebkha (populeux département de la banlieue nouakchottoise), se plaint, lui, de « la plus grande injustice sociale. L’école mauritanienne, c’est deux systèmes parallèles : un pour les pauvres mauritaniens et étrangers ; l’autre pour les riches mauritaniens et les expatriés. L’année de l’Education (1) n’y a strictement rien changé, au contraire même ! ». Dans les quartiers populaires où s’entassent plus de 90% de la population, les écoles, les collèges et les lycées ne sont que des sites de gardiennage, sans aucun suivi ni contrôle. A quelques rares exceptions près, les professeurs et instituteurs font ce qu’ils veulent. Le privé, dans ces quartiers, est pire que le public. Mais, à Tevragh Zeïna, le quartier chic de la ville, et, dans une moindre mesure, au Ksar, à l’îlot K ou à Teyarett, c’est une autre réalité. « Les plus riches, nationaux et migrants, envoient leurs enfants dans de bonnes écoles. Les moyennement riches, dans des écoles un peu moins bonnes mais acceptables, quand même. Des familles modestes consacrent une importante part de leur budget à l’éducation des enfants. Mon mari et moi trimons, pour offrir la meilleure scolarité à nos enfants. C’est difficile mais nous n’avons pas d’autres choix que de leur permettre de s’instruire et de disposer, plus tard, de réelles chances de réussite que nous n’en avons pas eu », témoigne madame Djeynaba Diallo, guinéenne et propriétaire d’un restaurant à la Medina III.

Face à un système scolaire fragilisé, désorganisé, dévalorisé et dichotomique, les parents, les élèves et leurs professeurs se sont tournés, peu à peu à partir des années 1980, vers l’offre privée. En 2006, 13 lycées seulement, sur 32, relèvent du secteur public à Nouakchott. En 2015, la presse annonce que quatre cents établissements privés (de tous niveaux) seraient menacés de fermeture… « Quatre cents établissements « qui poussent comme des champignons » dénonce-t-elle. L’offre est conséquente… Quant aux tarifs – on dit aussi « écolages » – de ces établissements, ils varient selon les zones d’habitation : la plupart des directeurs-entrepreneurs harmonisent les prix aux réalités de l’environnement social. Dans les lycées des secteurs « centraux » et plus nantis – Tevragh Zeïna et ses extensions au Nord, par exemple – il faut compter, au minimum, 25 000 UM mensuels par élève au collège. Contre 4 000 à 6 000 UM dans les quartiers populaires. À partir de 2 000 UM, un élève de Terminale d’un kebbé [dépotoir, bidonville] peut être scolarisé dans le privé. Cependant, tous les établissements privés ne jouent pas le jeu de l’harmonisation géographique des tarifs. Nombre d’entre eux fixent leurs propres écolages en fonction de la réputation des professeurs et des bons résultats affichés (30 à 50 % de taux de réussite au bac)‎. Si le taux de scolarisation atteint 99,3% en Mauritanie, madame Khedidja Ladjel, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Mauritanie, ne s'en est pas moins interrogée sur le taux de scolarisation des enfants de parents étrangers.  « Certains sont exploités à des fins de mendicité, par de pseudo-enseignants du Coran », s'est-elle notamment inquiétée.

Un certain nombre d’organisations, comme l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), ne cessent de souligner cette problématique auprès du gouvernement mauritanien. Mais, comme en n’importe quel pays du monde, la Mauritanie garde sa souveraineté et gérer à sa guise les sans-papiers sur son territoire. « Nous constatons un problème d’accès à la régularisation, aux papiers ; pas seulement pour les migrants, d’ailleurs – et leurs enfants, bien entendu – mais, aussi, pour certains mauritaniens eux-mêmes, et, même, actuellement, pour les expatriés professionnels. Il faut insister sur le fait que c’est cette difficulté d’accès à la régularisation qui fait basculer les migrants dans l’illégalité », fait remarquer madame Anke Strauss, chef de mission de l’OIM en Mauritanie.

Où l’Etat va-t-il – en a-t-il même une idée ? – si, dans trop de cas, ni les citoyens mauritaniens ni les migrants n’ont la possibilité d’obtenir des papiers régularisant leur situation civile ? « C’est un souci majeur pour lequel tout le SNU s’applique à plaidoyer, auprès des autorités mauritaniennes. Nous venons d’écrire une lettre conjointe, sur la question de l’accès rapide aux cartes de résidents des enfants. Sans ce document, ils sont coupés de la possibilité d’être éduqués. C’est un cercle vicieux d’où il sera difficile de s’extraire. Si l’on fait le constat objectif de cette difficulté d’accès aux papiers, pour certains citoyens mauritaniens et leurs enfants, imaginez à quoi sont confrontés les migrants qui, désireux de régulariser leur situation, ne parlent pas le hassaniya et ne sont pas sensibilisés clairement sur des conditions administratives d’accès à la carte de séjour », déplore-t-elle.

 

Interpellés à la sortie de l’école

Des situations variablement cocasses, plus souvent choquantes, sont vécues par des parents d’élèves migrants interpellés au moment de déposer ou de ramener leurs enfants de l’école : « Nous louons le peuple mauritanien pour son acceptation de l’étranger. Nous comprenons, aussi, l’instauration de la carte de séjour relevant de la souveraineté de l’Etat mauritanien. Mais nous vivons des situations administratives compliquées, liées à l’accessibilité du permis de séjour. Ceux qui sont dans l’informel ne peuvent fournir de certificat de travail et vivent dans la précarité. Cette situation, du reste inconfortable, se répercute forcément sur les enfants. Des parents sont embarqués, manu militari, sous les yeux de leurs enfants, quand ce n’est pas la famille au grand complet. Ils se retrouvent objets de moqueries de leurs camarades de classe qui ne savent pas discerner les choses. Oui, ce sont des traumatismes, des violences morales que subissent ces jeunes élèves. Cela peut impacter négativement sur leur parcours », déplore Serge, camerounais établi à Nouakchott.

Des jeunes élèves ont été témoins, l’année scolaire dernière, de l’arrestation de leurs trois monitrices étrangères. Elles ne disposaient pas de carte séjour. Leurs consœurs qui tentaient de s’interposer furent embarquées, sans ménagements, dans le bus des forces de l’ordre, sous les yeux de leurs élèves. C’est grâce à des interventions de parents, révoltés par ces scènes insoutenables, qu’elles furent relâchées. Libres mais psychologiquement atteintes par les quelques heures de détention.

Les responsables d’établissements privés, confrontés à des charges locatives énormes et de paie d’enseignants, ne font pas preuve de philanthropie, en procédant aux réductions de 30 à 10% des mensualités d’enfants migrants : « Nous effectuons un véritable parcours de combattant, pour scolariser nos enfants. La situation est telle que nous avons dû faire une croix sur certains postes de dépenses », indique Moustapha Badji, sénégalais établi à Nouakchott depuis seize ans. « Mes trois enfants ainsi que ceux des voisins se rendent à pied à leur école, du cinquième à l’îlot K. Nous n’avons pas les possibilités de leur prendre de taxi. C’est un luxe que nous interdisent les frais, très élevés, de scolarité : mensualités, fournitures, manuels… ».

Chaque parent est soucieux de l’avenir de son enfant, en essayant de l’inscrire dans un établissement réputé d’excellence. Mais beaucoup de subsahariens sont déboussolés par le système éducatif mauritanien. Un nombre important d'enfants de migrants évoluent vers la grande difficulté. Daouda Sarr émet un avis contraire et surtout de pédagogue. Il estime, lui, que les chances de réussite des enfants de migrants « dépendent, surtout, de leur propre intérêt et assiduité ».

Le cursus scolaire où l’arabe est prédominant n’est pas adapté à des enfants dont les trajectoires migratoires ne sont pas si loin de ceux de leurs parents : « J’ai tenté, à plusieurs reprises, d’inscrire mes enfants à l’école publique mauritanienne mais cela s’est soldé par des échecs cuisants. Ils ne maîtrisent pas l’arabe et ont du mal à comprendre les matières dispensées dans cette langue », signale Alassane Maïga, ressortissant malien vivant depuis deux décennies à Nouakchott. « J’ai été obligé de les inscrire, plus tard, dans une école privée de la Médina III. Ils s’en sortent, maintenant, beaucoup mieux mais l’éloignement de cet établissement de notre domicile constitue un nouveau souci. Ils doivent traverser quotidiennement les jardins maraîchers de la Sebkha, terreau fertile de délinquance… ».

Autre écueil de taille : la mobilité des parents d’élèves qui déménagent, fréquemment, d’un quartier à un autre de Nouakchott. Difficile de procéder à des transferts de scolarité. « Ils sont sacrifiés. Et les efforts des parents sont à l’eau », se désole Blaise Tossou, de nationalité béninoise. Koffi Yao, togolais, évoque un autre problème. Selon lui, « les enfants de migrants en perpétuel mouvement vivront des calvaires, une fois rentrés chez eux, en raison des différences de programmes scolaires ».

La Gambie a dû pallier à ces difficultés, en érigeant un établissement qui lui est propre, au cinquième arrondissement (département de Sebkha). L’établissement accueille, outre de jeunes gambiens, bon nombre d’enfants de migrants anglophones.

 

Bourses d'études primaires et secondaires

A Nouadhibou, le Projet d'Appui aux Migrants de Nouadhibou (PAMN), mené, depuis plus de cinq ans, par la mission catholique de Nouadhibou, en collaboration avec la Caritas paroissiale, poursuit des activités d'assistance d'urgence et d'appui économique et social aux migrants. Elle met, à disposition d'enfants de migrants, notamment des bourses d'études primaires et secondaires, au Petit Centre (2), établissement privé dispensant des cours basés sur le programme français. Ces bourses, incluant prise en charge des frais d'inscription, fournitures scolaires et transport, sont octroyées sur dossier et après entretien de motivation avec l'enfant et sa famille, par une commission d'étude des bourses réunissant les membres de la mission et de la Caritas paroissiale. Dix bourses sont ainsi octroyées chaque année.

Le PAMN souhaite renforcer sa stratégie d'appui à la scolarisation des enfants de migrants. En élevant, tout d'abord, son niveau de compréhension de la situation scolaire à Nouadhibou, par la réalisation d'une étude de contexte, menée par un expert de l'éducation non-formelle. En parallèle, une collaboration sera amorcée entre le « Groupe travail sur l'éducation non-formelle » de l'UNESCO (dont fait partie le Centre de Formation et d'Insertion Professionnelle de Caritas) et l'expert du PAMN. A l'issue du projet, une proposition concrète d'action, incluant stratégie de mise en œuvre, activités et programmes pédagogiques, sera remise aux membres du PAMN et à l'équipe encadrante de Caritas. Le coordinateur, détaché du service Etudes et Partenariats de Caritas, sera chargé de faciliter et d'animer la relation entre ces acteurs.

Mamadou Thiam

En collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest

 

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Notes

(1) : L’année 2015 en Mauritanie fut promulguée, par le président de la République, « Année de l’enseignement » – sarcastiquement rebaptisée « Année de l’en-saignement » par quelques prompts bloggeurs désabusés. « Les pouvoirs publics accordent une grande importance au secteur de l’éducation nationale », avait déclaré le chef de l’Etat, lors de son discours officiel célébrant 52ème anniversaire de l’Indépendance  mauritanienne, « […] le gouvernement a organisé des états généraux de ce secteur en vue de sa promotion […] et procédé à la fondation de centres de formations professionnelles » rappelant, également, son engagement, mené à terme, de construire « le plus grand complexe universitaire du pays, comportant plusieurs facultés et une cité universitaire d’une capacité d’accueil de quatre mille étudiants ».

Mais le calendrier de ladite année consacrée connut des soubresauts pour le moins difficiles‎… En Juin, le scandale des fuites « massives » et la réorganisation de certaines épreuves du baccalauréat défrayèrent la chronique. En Juillet, les résultats du baccalauréat, tombés à 7,6 % d’admis, ravivèrent les inquiétudes des parents et des élèves. En Août, le gouvernement confirma la mise en vente des terrains abritant les premières écoles publiques de la Mauritanie indépendante. En Septembre, la fermeture de quatre-vingt établissements privés jugés « non conformes » désorganise la rentrée et scandalise les parents. En Octobre, les écoles privées qui dispensent un programme « étranger » sont fermées subitement pour, officiellement, leur non-respect du calendrier scolaire mauritanien. (Source : maghreb.revues.org)

2.École à programme français, fondée en 1983 et initialement réservée aux enfants‎ « d’africains non mauritaniens scolarisés en français qui ne peuvent pas s’insérer dans la cursus arabe », selon son directeur. Aujourd’hui cet établissement est ouvert à tous.