Ouvrir les yeux, avant les oreilles et la bouche…

8 September, 2016 - 03:04

En gros, Lehbib, le problème, selon vous, c’est le mensonge prêcheur de haine et l’incapacité du pouvoir à le juguler. Mensonge, donc, de relever qu’en un pays habité par deux-tiers de noirs, plus des trois-quarts des postes de responsabilité sont occupés par des beydhanes ? Mensonge de remarquer que cette situation n’a cessé d’être entretenue, depuis la fondation de la Mauritanie, avec notables violences parfois, en instrumentalisant, notamment, l’identité linguistique hassaniya, majoritaire, pour casser tout espoir de démocratie réelle ? Mensonge de constater combien ce racisme de fait – qui s’évertue, on le comprend, à n’être jamais dit, à se déclarer tout autre – signifie d’entraves au développement d’un pays fort de tant de richesses écologiques et minières, au regard de ses à peine trois millions et demi d’habitants ?

Le fait est que, pour perdurer, ce racisme doit empêcher les masses de comprendre la situation et s’unir. Cela commence par le sabotage, délibéré, orchestré, de l’éducation. Il lui faut contrarier l’éveil des consciences et tout est fait pour annihiler les efforts des plus lucides à mettre en place un minimum de cohérence et de continuité, dans la formation et l’information de notre jeunesse. La promotion de l’incompétence et de la médiocrité n’est pas un accident, c’est une nécessité du racisme de fait. Vous vous contentez d’ouvrir les oreilles, Lehbib, ouvrez un peu les yeux. Si l’oppressé se plaint, parfois, l’oppresseur se contente, aisément, d’agir sans bruit. 

Cela se poursuit par le maintien, en toutes les communautés, de l’esprit de caste. Un ordre encore plus silencieux, peut-être, et d’autant plus efficace qu’il est omniprésent. Dans cette simple mesure, mathématique, où la noblesse maure est numériquement deux fois plus importante que son homologue négro-mauritanienne – c’est sur cette base que s’organisa la tête de l’Etat, en 1960 – cette survivance sert, puissamment, le racisme de fait – tout comme l’inverse – et le mâtine d’une lutte de classes on ne peut plus moderne. Un autre danger, assurément, dont vous ne relevez pas l’acuité.

Car le fait est, Lehbib, qu’un peuple se forme. Lentement, inexorablement, dans l’inconfort des banlieues citadines, les marchés, les taxis tout-droit, les plus que difficiles fin de mois, les soucis quotidiens de la précarité, la survie. Une piétaille multicolore, même si le noir en tient la plus grande part, qui n’aime guère, comme vous, les conflits ; ne s’y résout qu’adossée au mur et encore : tant d’échines ont courbé, depuis tant de siècles !  Parieriez-vous qu’elles y consentent jusqu’à la fin des temps ? L’incapacité du pouvoir que vous dénoncez serait-elle à ne plus savoir comment les y conduire ; monnayer leur silence ? Ou, à défaut, manipuler habilement leur révolte ? Mais je veux vous croire – vous comprendrez bientôt pourquoi – loin de ces sordides et vains calculs.

Fort heureusement, il existe, dans toutes les communautés, une minorité, encore petite mais de moins en moins négligeable, de gens éclairés, souvent de noble extraction mais pas toujours – et cette émergence roturière est, en soi, un signe positif de notre histoire –  qui ont compris où se situent les priorités pour qu’épanouissent, enfin, les riches potentialités de notre Nation. Avec d’incontournables dérangements, certes, mais sans violence, comme vous l’espérez. Islam, dites-vous ? A la bonne heure et, donc, équilibre, partage, justice, vérité, droiture. Je crois cette minorité grandissante intimement pénétrée de ces valeurs fondamentales et prête à sacrifier, dans les faits, un peu des privilèges – outranciers au regard de la misère générale – dont le système l’a pourvue. Certains de ces bons musulmans s’y emploient, déjà.

Si vous devez en être, Lehbib, il va vous falloir chercher, puisque c’est votre métier, comment casser, au quotidien, ce racisme de fait qui nous maintient dans le sous-développement, dilapide nos richesses, s’obstine à nous abêtir. Commenceriez-vous par examiner, avec bienveillance, ma requête à l’encontre de la main de votre charmante fille, rencontrée sur les bancs de l’Université ? Coulibaly fort pauvre, j’espère vous avoir démontré, en ces quelques lignes, un peu de ma valeur réelle et le défi qu’elle vous propose est, certainement, « plus exaltant qu’accablant », tant évidente semble votre tolérance, pour accepter l’inédite publicité de cette demande en mariage… Plus discrète, aurait-elle plus de chance d’aboutir ? De servir votre noble dessein ? Vous l’avez, en tout cas, bien lue : c’est donc que vous avez ouvert les yeux. Gardez-les ainsi : vous entendrez et parlerez beaucoup mieux. Avec la paix,

 

Mamadou Coulibaly

Etudiant