Tasiast Kinross : Le couteau de trois opposants dans la plaie

4 August, 2016 - 03:10

Dans une lettre ouverte adressée au PDG de Kinross, trois poids lourds de l’opposition mauritanienne réclament toute la lumière sur des faits présumés de corruption, en Mauritanie, imputables à sa filiale « Tasiast Mauritanie Limited SA » qui exploite, au nord du pays, la mine de même nom.

La correspondance est signée Ely ould Mohamed Vall, ancien chef de l’Etat (2005/2007), Ahmed ould Daddah, leader du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), candidats malheureux à une ou plusieurs élections présidentielles, et Saleh Ould Hanana, président du parti Hatem et du FNDU, entré dans l’Histoire comme le cerveau du coup sanglant et fumant coup du 8 Juin 2003. La requête des trois opposants mauritaniens au premier responsable du cinquième producteur mondial d’or s’appuie sur deux procédures d’enquête ouvertes, depuis plusieurs mois, par la Sécurité and Exchange Commission (SEC) américaine, gendarme de la bourse de New-York, et la Gendarmerie royale canadienne de Toronto, sur les relations « nébuleuses », entre Tasiast et certaines personnalités mauritaniennes. Une affaire qui fut abondamment commentée, dans les colonnes de la presse internationale, au cours du deuxième semestre de 2015.

Le courrier susdit interpelle directement le PDG de la compagnie aurifère : « Des tribunaux de New-York et Toronto vous soupçonnent d’avoir sacrifié les droits et intérêts du peuple mauritanien, au profit de certains de ses dirigeants actuels. Les contrats d’approvisionnement et services seraient, depuis quelques années, exclusivement adjugés à des personnalités très proches du premier citoyen du pays. Votre politique de gestion des ressources humaines refléterait un alignement total sur les intérêts de certains de nos hauts responsables et l’acquittement de vos devoirs, vis-à-vis de l’Etat, du fisc et du peuple mauritanien, aurait été ajusté en conséquence ».

Au-delà de l’exhumation de quelques éléments des procédures anticorruption pendantes à New-York et Toronto, les ténors de l’opposition mauritanienne abordent, en diagonale, la situation actuelle des relations entre les autorités mauritaniennes et la filiale de Kinross. Pour dire qu’ils ne sont pas surpris, par les difficultés actuelles de l’entreprise, conséquences logiques d’une relation fondée sur des paramètres aux antipodes d’une gouvernance sobre et vertueuse, dans l’intérêt exclusif du peuple vivant sur la terre exploitée par Tasiast. Mais les opposants affichent, sans détours, « leur révolte face à la décision prise, à la mi-Juin, d’arrêter les activités de production, suite au non-renouvellement des permis de travail des cadres étrangers ».

Une orientation fermement rejetée par Ely Ould Vall, Ahmed ould Daddah et Salah ould Hanana : « Les Mauritaniens souhaitent la présence, dans le pays, d’une entreprise, solide et performante, qui gagne de l’argent, fait des bénéfices, se conforme aux lois et règlements, dans le respect de la souveraineté nationale». Sur ce point précis, la situation a d’ailleurs évolué, vers la reprise des activités, sur le site de Tasiast. Officiellement annoncée, celle-ci devrait être effective courant Août, sur la base d’un accord entre le gouvernement et la compagnie aurifère, assorti d’un plan de « mauritanisation » des cadres, à hauteur de 80%, à l’horizon 2020.

Volonté citoyenne

Commentant les enquêtes en cours à New-York et Toronto, maître Williams Bourdon, de l’ONG Sherpa, mondialement célèbre par sa traque « des biens mal acquis » planqués par les dirigeants africains en France, parle de « convergences d’indices, provenant de diverses sources, qui devraient apporter un élément majeur à la compréhension des mécanismes de corruption dont usent les compagnies des industries extractives en Afrique et dans le Monde ». C’est donc dans un mouvement beaucoup plus large de volonté citoyenne d’assainissement des affaires que les opposants mauritaniens viennent remuer le couteau dans « la plaie » de l’immonde et fétide gouvernance des industries extractives en Afrique, à l’origine d’énormes pertes pour les peuples du Continent. A ce rythme, la vérité sur les pratiques présumées  de corruption qui aident les compagnies extractives à verser parties de leurs avoirs dans les circuits des Flux Financiers Illicites (FFI) ne devrait plus tarder à percer. Triste réalité d’un continent dont la plupart des peuples manquent cruellement de tout : éducation au rabais, structures sanitaires défectueuses, infrastructures inexistantes, déficit en eau potable et énergie… Au final, terreau fertile à toutes les aventures, dérapages et autres aveuglements terroristes.

 

Amadou Seck
 

 

Voici, la lettre dans son intégralité:

 

A l’attention de Mr. J. Paul Rollinson, Président-Directeur Général

KINROSS Gold Corporation 
Nouakchott le Juin 2016
25 York Street, 17th Floor
Toronto, Ontario M5J 2V5

 

Monsieur le Président-Directeur Général,

Nous, mauritaniens, découvrons petit à petit ce que Kinross représente sur le plan minier international : une grande entreprise. Le cinquième producteur mondial d’or et un important producteur de cuivre et d’argent. Le pourvoyeur de près de 10.000 emplois directs à travers le monde, dont plus de 97% des bénéficiaires sont nationaux des pays hôtes respectifs.

Kinross est une société opérationnelle sur quatre continents, cotée dans les deux principales places boursières nord-américaines et dotée d’une stratégie de Responsabilité Sociétale qui n’a rien à envier aux entreprises les plus respectables. Kinross semble ainsi être une société bien structurée et, nous le pensons, financièrement solide. 

Nous, mauritaniens, savons ce que notre pays représente pour Kinross : certes encore un peu moins de 10% de votre production actuelle, mais 25 % de vos réserves d’or, avec la teneur la plus élevée de tous les gisements significatifs que vous contrôlez à travers le monde.

C’est dire que Kinross peut bâtir une grande partie de son avenir à partir de ses gisements mauritaniens. Cela explique et justifie vos projets d’extension qui visent à multiplier la capacité de vos installations à Tasiast par quatre, et faire alors de cette exploitation probablement la plus importante de votre groupe.

Nous, mauritaniens, savons ce que Kinross-Taziast représente potentiellement pour l’économie de notre pays: déjà quelques 2.600 emplois directs et indirects dans un pays de moins de 4 millions d’habitants, le 2ème employeur non-étatique de la Mauritanie, un chiffre d’affaire moyen au cours des 4 dernières années de 430 millions de dollars par an, pour un pays dont le total des exportations moyen au cours de la même période est d’environ 2.500 millions de dollars, des dépenses en monnaie locale de plus de 60 millions de dollars, pour un pays dont les réserves de la Banque Centrale sont d’environ 600 millions de dollars. Ces chiffres sont d’autant plus remarquables qu’ils sont appelés à s’améliorer de façon drastique quand vos projets d’extension auront vu le jour.

Nous, mauritaniens, avons aussi appris avec stupéfaction que la Gouvernance de votre société ne serait pas exemplaire , et que les principes régissant votre stratégie de Responsabilité Sociétale ne sont pas respectés: des tribunaux new-yorkais et torontois vous soupçonneraient d’avoir sacrifié les droits et intérêts du peuple mauritanien au profit de ceux de certains de ses dirigeants actuels; les contrats d’approvisionnement et de services seraient, depuis quelques années, exclusivement adjugés au profit de très proches du premier citoyen du pays ; votre politique de gestion des ressources humaines refléteraient votre total alignement sur les intérêts de certains de nos hauts responsables ; l’acquittement de vos devoirs vis-à-vis de l’Etat et du peuple mauritanien aurait été ajusté en conséquence.

Malgré tout, Monsieur le Président-Directeur Général, nous avons été, non pas surpris, mais révoltés par la suspension de l’exploitation du gisement de Tasiast. Nous ne sommes pas surpris, parce que seule la droiture et les principes de bonne gouvernance permettent des relations saines et durables entre partenaires.

Ces valeurs vous auraient manqués ces dernières années. Les divergences actuelles avec vos «amis d’hier» étaient tout simplement inéluctables : nous nous y attendions. 

Nous sommes cependant révoltés parce que c’est, encore une fois, l’image de notre pays que vous et vos compères mauritaniens venez de froisser à la face du monde ; parce que c’est encore une fois les intérêts du Trésor Public National et de notre monnaie nationale que vous sacrifiez ; parce que c’est, encore une fois, les revenus des travailleurs directs et indirects mauritaniens qui en pâtiront.Les conséquences, à court et moyen terme, de cette décision sur l’économie de notre pays sont incalculables. 

Et pourtant, votre expérience à travers le monde et à travers les âges, devraient vous avoir édifiés : votre vrai allié, le meilleur garant de vos intérêts en Mauritanie, le seul qui ne saurait vous trahir, c’est tout simplement le peuple mauritanien. Respectez vos obligations à son égard, vous verrez, il veillera à ce que vos droits soient scrupuleusement respectés.

Parce que, au-delà des apparences, vos intérêts et les siens sont complémentaires et inextricablement liés. Vous l’imaginez bien, il ne souhaite pas mieux que d’avoir implantée sur son sol une entreprise solide et performante, qui gagne de l’argent et qui se conforment aux lois et règlements dont le pays s’est dotés en toute souveraineté, mais aussi en toute transparence. C’est si simple !

Monsieur le Président-Directeur Général, Vous conviendrez avec nous qu’au cours des dernières années, aux dires de journaux aussi prestigieux que Le Monde (France) et The Globe & Mail (Canada),vous avez préféré ignorer laMauritanie, ses textes et ses prérogatives,au profit de la confiance (si éphémère et si mercantile!) d’une pincée de ses dirigeants.

Avec le peuple mauritanien, vos actionnaires en payent aujourd’hui le prix. Nous en sommes tous meurtris. Cependant, nous avons, vissée au corps, la traditionnelle hospitalité mauritanienne. Nous savons aussi que le Pardon est l’une des valeurs cardinales de l’Islam. Nous sommes enfin conscients de tout ce que le peuple mauritanien peut gagner d’une franche et transparente coopération avec un groupe aussi prestigieux que Kinross. 

C’est pour ces raisons que nous vous annonçons que le Peuple mauritanien est encore prêt à vous ouvrir les bras, à vous faciliter le séjour et le travail, et à accompagner votre développement dans notre pays. 

Monsieur le Président-Directeur Général, 

Nous sommes disposés, en échange de la confiance corrompue de certains des nôtres, à vous offrir celle sincère et généreuse de la Mauritanie et des mauritaniens, dans leur grandeur, leur diversité, leur fierté, leur droiture et leur civisme. 

Prouvez-nous simplement que vous avez effectué la mue éthique nécessaire à cet effet, que vous êtes enfin prêts à mériter cette confiance!Aidez-nous à comprendre les faits qui se seraient déroulés dans notre pays, mais qui se retrouvent au centre des préoccupations de juges et d’avocats new-yorkais et torontois.

Dites-nous à qui, chez-nous, vous avez fait bénéficier de contrats immérités afin de vous exonérer des obligations du Code du Travail et du Code Minier mauritaniens, à qui vous avez distribué des prébendes afin de limiter vos obligations fiscales, à qui vous avez offerts des emplois fictifs afin de bénéficier d’avantages indus auprès de certaines poches de notre Administration. 

C’est si peu demander pour que les mauritaniens vous accueillent en amis, et voient enfin en vous de bons investisseurs venus contribuer au développement de notre pays et à l’épanouissement de notre peuple. 

En le faisant, vous démontreriez votre réel engagement à vous conformer aux dix principes qui fondent votre propre stratégie en matière de Responsabilité Sociétale, et vous proclameriez à la face du peuple votre serment d’en faire le vrai et seul allié dans notre pays. 

En le faisant, vous contribueriez à une meilleure compréhension de ce que nos compatriotes indélicats auraient fait de ces montants indûment acquis ; par rapport aux autorités fiscales, par rapport à la réglementation de change, par rapport aux lois et règlements de la République, par rapport à la morale islamique.Ainsi, et ainsi seulement, vous vous seriez enfin et définitivement réconciliés avec laMauritanie.

Monsieur le Président-Directeur Général, Avec nos encouragements pour un retour rapide de Kinross aux principes de base de la bonne Gouvernance dans sa filiale mauritanienne, nous vous réitérons notre souhait de pouvoir dire de votre société qu’elle est redevenue un opérateur respectable, soucieux autant de ses propres intérêts que de ceux de son pays hôte ; un opérateur qu’on serait fier d’accueillir chez soi.

Mr: Ely Mohamed Vall, ancien Président de la République Islamique de Mauritanie 

Mr Ahmed Ould Dedah, Président du Rassemblement des Forces Démocratiques 

Mr: Saleh Ould Hanana, Président Forum National de la Démocratie et l’Unité