Francophonie : L'Afrique, combien de divisions..?

13 August, 2014 - 16:02

A l'heure où l'Amérique et l'Asie se disputent le juteux continent africain auquel les prophètes de la mondialisation prédisent un destin de géant démographique qui battrait les records de croissance économique, l'Organisation Internationale de la Francophonie(OIF) se cherche un successeur à son secrétaire général historique. Acquise par tacite reconduction aux hommes d'Etat africains en voie de reconversion ou forcés à la retraite politique, cette charge stratégique est convoitée par certains pays-membres qui voudraient doper leur horoscope géopolitique. Au risque d'entamer le prestige politique si chèrement acquis par leur communauté culturelle linguistique..?

 

Redoutable et perfide Albion

Redouté pour avoir boudé le Commonwealth anglophone de la perfide Albion, la monarchie canadienne marcherait-elle sur les platebandes d'une Marianne républicaine en récession ? Fort d'une double appartenance linguistique, son gouvernement gourmanderait le passé ''démocrate-putschiste'' du favori franco-africain auquel il aurait conditionné l'hospitalité de son sol américain. Mais voyant que sa stratégie ne convertirait que la confédération helvétique dont la légendaire neutralité serait plus coutumière des votations inégales, le royaume glacial aurait fini par adouber la candidature de Michaëlle Jean : journaliste d'origine haïtienne qu'il n'avait pas renouvelée au poste honorifique de gouverneure générale. Dans une campagne aux couleurs libérales du récent sommet afro-américain, son ambassadeur parisien s'active déjà pour que le discours de l'égérie noire reprenne le timbre colonial de ses ancêtres gaulois :'' il y a un souci de voir l'organisation avancer sous une impulsion moderne pour en faire un espace de stratégies économiques pour tous ces pays africains qui sont nombreux à être sur le tarmac...'' Loin d'être dupe du soutien opaque d'un pouvoir qui ne viserait qu'à conserver le poste vital d'administrateur de l'organisation pour l'Etat québécois, la courageuse candidate fait une campagne loyale pour semer les menus couacs de son récent mandat fédéral. Plutôt encline à porter les causes féminines et sociales, elle endosse la volonté royale d'apposer des ambitions résolument économiques à l'intangible doctrine issue du Sommet de Hanoï (1997) qui structure la francophonie politique: ''Abdou Diouf a établi des fondations solides du point de vue de la Francophonie politique. Maintenant, ce que j'entends des chefs d'État depuis un an, c'est qu'ils veulent une francophonie économique''.

 

Profil modèle et consensuel

Si le continent africain abrite plus des deux-tiers des pays francophones, la succession de l'ex-président sénégalais y attise les ambitions fratricides. Chaque jour apporte son lot de prétendants plus ou moins solides. Figures imposées de la foire aux compensations diplomatiques voire commanditées par quelque chancellerie inamicale, l'inflation de concurrents risque de torpiller les chances et acquis du continent global. Outre le candidat récurrent du pays le plus imposant - Henri Lopes, diplomate congolais congénère du sortant-, il faut compter avec son homologue et cadet issu du plus petit rocher du bassin indien : le mauricien Jean-Claude de L'Estrac. A côté de ces deux écrivains de talent, le Sahel occidental propose son plus jeune champion attesté : Dioncounda Traoré, patron de chambre parlementaire devenu président intérimaire de l'Etat malien sous perfusion internationale avant sa retraite bien méritée. Hélas, ces valeureuses candidatures risquent de plomber les chances plus réelles du véritable favori franco-africain : Pierre Buyoya, ex-président du Burundi oriental. Profil modèle parmi ses pairs africains et autres grands électeurs de l'organisation pour succéder à l'actuel secrétaire général, l'homme serait plébiscité pour avoir jugulé les guerres civiles et favorisé l'unité et la démocratie continentales. Emblématique officier de paix pour l'Union africaine, la francophonie en fit l'apôtre de sa doctrine hanoïenne. D'autres candidatures extérieures menacent le leadership africain. L'ex-président libanais pourrait fédérer les pays arabo-musulmans. Un ex-maire de Paris et intime de l'Elysée serait cité alternativement...Alors, l'Afrique : combien de divisions au Sommet de Dakar en novembre prochain ?

Cheïkh Touré

 

Pierre Buyoya :

Portraits croisés...

Intervenant sur l'antenne de Radio France Internationale, l'actuel envoyé spécial de la Francophonie au Burundi sort de sa réserve diplomatique pour adouber la candidature de Pierre Buyoya à la tête de son organisation :''c'est une personnalité qui a immensément contribué à la promotion de la dimension politique de la francophonie. Il a présidé le panel de haut niveau sur la prévention des crises. Il a été envoyé spécial pour le Tchad. C'est un homme très familier avec la dimension politique de la francophonie. Cela lui donne incontestablement à mes yeux un point d'avance'' dixit Mohamed El Hacen Ould Lebatt.

 

De Gaulle africain ?

Juriste et ex-ministre des affaires étrangères de la Mauritanie qui préside l'UA, ce diplomate africain récuse les préjugés sur le putschisme militaire : ''ce qui est important, c'est ce qu'il a fait et quelle a été son utilité. Buyoya est intervenu dans un contexte historique et il a empêché une très grave crise, un bain de sang, voire un génocide. Il a évité le pire et il a bien fait de faire ce qu'il a fait dans le temps. Et depuis quelle est la crise africaine dans laquelle il n'est pas intervenu ces derniers temps ? Il est intervenu avec d'autres présidents pour le Soudan. Il est intervenu en RCA avant l'actuelle crise. Il est intervenu au Mali où il est actuellement haut commissaire de l'Union africaine. Les contributions de l'homme plaident en sa faveur. Et puis vous ne pouvez pas dire: ''parce qu'il est militaire''. Vous les Français, les Occidentaux, vous ne pouvez pas nous le dire. C'est comme si on disait que De Gaulle était un militaire et qu'il n'était pas digne de présider la France. Et Napoléon, c'est lui quand même qui a créé cet algèbre juridique à laquelle nous, professeurs de droit, nous sommes très sensibles, le code civil''. De son côté, l'actuel président burundais encense son prédécesseur et adversaire politique qu'il présente comme ''une haute personnalité qui a marqué profondément la vie politique de son pays en menant des politiques historiques : la politique d'unité nationale, la démocratisation de la vie politique qui a conduit aux élections présidentielles et législatives en 1993, les négociations de la paix qui ont rassemblé tous les partis politiques et qui ont abouti à l'accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, la négociation d'un cessez-le-feu avec des groupes armés...Compte tenu du bilan largement positif à la tête du pays, diverses organisations internationales lui ont souvent confié des missions tels que l'observation des élections, la médiation, le dialogue politique, missions à travers lesquelles il a rendu d'éminents services au continent africain et à l'Organisation Internationale de la Francophonie".

 

'' Putschiste de consensus ''

Témoin neutre du premier putsch de Pierre Buyoya qui déboucha sur une transition démocratique (1987-93) au terme de laquelle le Major quitte la présidence en acceptant sa défaite électorale, Georges Poulain écrit : ''...Suite à ces tueries inter-ethniques des provinces de Ngozi et Kirundo, le président Buyoya se décida à lancer la réconciliation nationale. Il nomma un premier ministre hutu, Adrien Sibomana, et remania le gouvernement en y incorporant une moitié de ministres hutus. Le nouveau mot d'ordre allait être ''ubumwe'' c'est à dire l'unité. Ayant compris que seule une réelle entente entre les ethnies empêcherait ces tueries, il se battit corps et âme contre son armée, ses ministres, son parti politique...Le président Buyoya mit en marche la machine et ne ménagea ni son temps ni ses efforts pour en faire accepter le principe...'' (Chasse à l'homme au Burundi, journal d'un expatrié, L'Harmattan 1993, p27-28). Dans un portrait de Buyoya à son retour au pouvoir pendant la guerre civile (1996-2003), Jean-Hatzfeld décrit un "putschiste consensuel'': ''peu de Burundais lucides se réjouissent de la mainmise de Pierre Buyoya sur leur Etat. Mais aucun ne souhaite son retrait. Ce paradoxe donne au président putschiste du Burundi un rôle particulier sur la scène des Grands Lacs, dans ces pays bouleversés par les massacres et les exodes dantesques" (Libération du 6/3/98).Virulent opposant de l'époque, Charles M'Banza confirme: "nous étions soumis aux propagandes extrémistes des ethnies en conflit. Mais je n'ai jamais nié sa volonté de pacifier son pays ". Interrogé sur les diatribes électroniques qui en combattent la candidature, le journaliste franco-burundais devenu anthropologue des médias pointe les mêmes rancunes ravivées par le scrutin francophone : ''il suffit juste de se souvenir que Pierre Buyoya fut l'initiateur des Accords d'Arusha qui mirent fin à la guerre civile et qu'il fut le seul à les avoir scrupuleusement respectés en quittant le pouvoir à la date convenue''.

Cheïkh Touré