Migrations, développement et investissements/Interview avec le vice-ministre italien des Affaires étrangères en charge de la Coopération internationale, Mario Giro : “L’UE doit prendre l’Afrique très au sérieux”

24 June, 2016 - 18:34

De Bruxelles - D’habitude calme et posé, le vice-ministre italien des Affaires étrangères en charge de la Coopération internationale, Mario Giro, a l’humeur des mauvais jours. La décision des Britanniques de quitter l’Union Européenne y est pour beaucoup, mais ce n’est pas le seul sujet qui fâche. Le nouveau cadre de partenariat avec les Pays Tiers – le « Migration Compact » - présenté le 7 juin dernier par la Commission européenne et qui place la gestion des migrations au cœur de la politique étrangère de l’UE n’arrange pas les choses, loin de là.

A travers cette proposition, « l’Union européenne recherche des partenariats sur mesure avec les principaux pays tiers d’origine et de transit, en recourant à toutes les politiques et à tous les instruments dont elle dispose pour obtenir des résultats concrets », souligne la Commission européenne. « En se fondant sur l’agenda européen en matière de migration, elle aura pour priorités de sauver des vies en mer, d'accroître le nombre de retours, de permettre aux migrants et aux réfugiés de rester près de chez eux et, à long terme, de soutenir le développement des pays tiers afin de remédier aux causes profondes de la migration irrégulière ». Le Niger, le Nigeria, le Sénégal, le Mali et l’Éthiopie sont les cinq pays prioritaires de ce nouveau partenariat sur lequel les Chefs d’Etat et de gouvernements de l’UE se pencheront les 28 et 29 juin prochain à Bruxelles afin d’accorder leurs violons et adopter une nouvelle stratégie européenne sur les migrations. « Malheureusement la proposition de la Commission européenne ne répond pas complètement à nos attentes », soutient Mario Giro, pour ensuite ajouter « que la stratégie présentée par la Commission est une pâle copie de celle élaborée par le gouvernement italien de Matteo Renzi et soumise au Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, au mois de mai ». En attendant le Sommet européen, dont l’agenda sera monopolisé par la décision de la Grande Bretagne de quitter le projet européen, le vice-ministre italien Mario Giro fait part de ses doutes quant à la réelle volonté de l’UE de vouloir instaurer un partenariat ambitieux avec l’Afrique pour une meilleure gestion des flux migratoires. 

Monsieur le vice-ministre, quelles différences subsistent entre la stratégie italienne sur les migrations et celle présentée par la Commission européenne ?

Le Migration compact proposé par l’Italie est très ambitieux et fait de l’Afrique une priorité géostratégique absolue. Notre pays n’a jamais ménagé ses efforts pour sauver des vies humaines dans la Mer Méditerranée. L’opération « Mare Nostrum » que le gouvernement italien a géré d’octobre 2013 à novembre 2014 a permis de sauver plus de 150.000 migrants dans la Méditerranée, dont des dizaines de milliers d’africains. Depuis lors, d’autres opérations de sauvetage sont régulièrement effectuées en étroite collaboration avec l’UE et elles permettent de continuer à sauver chaque jour des vies humaines. Il s’agit d’un engagement auquel les Italiens ne renonceront jamais ! Ceci dit, il faut aller plus loin. Lorsque le Président du Conseil, Matteo Renzi, a présenté notre stratégie sur la gestion des phénomènes migratoires au cours du meeting Italie-Afrique qui s’est tenu à Rome le 18 mai dernier réunissant les ministres des Affaires étrangères africains, notre Président du Conseil a clairement fait comprendre à nos partenaires africains que la proposition de l’Italie visait à promouvoir un grand pacte euro-africain fondé sur les investissements stratégiques dans les domaines des infrastructures, des énergies renouvelables et de l’agrobusiness. L’Afrique a certes besoin d’aide, mais aujourd’hui les Africains demandent des investissements de grande ampleur. Aujourd’hui l’Afrique est le continent le plus jeune du monde, et d’ici 2050 les taux de croissance démographique les plus forts auront lieu sur le continent africain. Or, tout le monde sait que les migrants africains qui traversent le Sahel et la Méditerranée au péril de leur vie sont en majorité des jeunes. Ces jeunes veulent travailler, et si possible chez eux. Selon vous, comment peut-on créer de l’emploi ? A travers l’aide oui, mais surtout avec des investissements publics et privés ! Voilà ce que nous proposions à l’Europe pour répondre sur le bref, moyen et long terme aux défis migratoires auxquels l’Afrique et l’Union Européenne doivent faire face.

Et qu’a répondu la Commission européenne ?

Sa réponse n’a pas été totalement satisfaisante. Des divergences, et non des moindres, subsistent entre les deux stratégies. Alors que la nôtre mise beaucoup sur les investissements, celle de la Commission européenne tend à soumettre les vieilles recettes du passé. Pire, elle invoque un principe de conditionnalité qui n’est pas acceptable. En effet, la Commission Juncker propose « d’intégrer des mesures incitatives positives et négatives aux politiques commerciale et de développement de l’UE afin de récompenser les pays désireux de coopérer efficacement avec l’Union en matière de gestion des migrations et de veiller à ce qu’il y ait des conséquences pour ceux qui refusent ». Je ne comprends pas cette approche. La conditionnalité de l’aide n’a jamais marché dans la gestion des migrations. Cela fait des années que l’on évoque les rapatriements, sans succès ! Au lieu de parler de migrations circulaires au bénéfice des Africains et des Européens, nous construisons des murs et alimentons des peurs démesurées sur le Vieux continent.

Et comme si cela ne suffisait pas, la Commission met sur la table des fonds qui ne sont pas à la hauteur de ses ambitions. Comment peut-on en effet vouloir gérer un phénomène aussi complexe en mettant à la disposition du Fonds fiduciaire pour l’Afrique à peine 2,3 milliards d’euros…

Mais la Commission parle d’un effet de levier de 62 milliards d’euros d’ici 2020…

Les fonds doivent être dégagés maintenant et en masse. Ces fonds sont bel et bien à disposition, mais c’est la volonté politique européenne qui fait défaut. Il a suffi d’une semaine à l’UE pour trouver un accord avec la Turquie et dégager 3 milliards d’euros à Ankara afin de permettre au gouvernement Turc de stopper les flux migratoires en provenance de la Syrie et de l’Iraq. Comment peut-on donner 3 milliards à un seul pays comme la Turquie et une somme inférieure à plus d’une vingtaine de pays Africains dans le cadre du Fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique adopté au Sommet de La Vallette en novembre 2015 pour affronter les causes profondes des migrations irrégulières africaines. De qui se moque-t-on ? Comment voulez-vous que l’Afrique puisse prendre l’Europe au sérieux ? Il est grand temps de changer de discours et surtout d’attitude envers les Africains. Au lieu de passer notre temps à donner des leçons aux autres, nous ferions mieux de commencer à bien faire ce que nous avons à faire chez nous. En 2015, les dirigeants européens s’étaient mis d’accord sur la nécessité d’appliquer un dispositif de relocalisation de 160 000 demandeurs d’asile depuis leur pays d’entrée dans l’Union européenne vers d’autres pays membres de l’Union Européenne d’ici à fin 2017. Parmi ces demandeurs savez-vous combien ont été relocalisés jusqu’à ce jour ? A peine 1% ! Et nous demandons aux pays Africains, dont un certain nombre d’entre eux sont pauvres, de stopper les flux migratoires ?

Quelle est la solution ?

Il faut changer de braquet et proposer à l’Afrique un vrai partenariat. J’espère qu’au Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement européens des 28 et 29 juin, l’UE se prononcera en faveur d’une stratégie plus ambitieuse. L’Italie fera tout son possible en ce sens, comme elle l’a toujours fait. Nous ne pouvons pas échouer. Le choix de la Grande Bretagne doit interpeler le leadership européen. Les vieilles recettes ne fonctionnent plus, il est temps d’innover. Et les migrations sont une formidable opportunité pour changer les choses et renforcer les liens entre l’Europe et l’Afrique.

De Joshua Massarenti

© Le Pays (Burkina Faso), Les Echos (Mali), Sud Quotidien (Sénégal), Mutations (Cameroun), L’Autre Quotidien (Bénin), Le Confident (RCA), Le Nouveau Républicain (Niger), Le Calame (Mauritanie) et Afronline/Vita (Italie).