3 questions à Madame Mariem mint Bilal, ancienne députée du RFD: ‘’L'appel au dialogue lancé à Nema est une sorte de convocation, une mise en demeure, qui illustre parfaitement le mépris qu’éprouve Ould Abdel Aziz pour la classe politique’’

27 May, 2016 - 00:53

Le Calame : Un passage du discours de président de la République à Néma a suscité un tollé dans l’opinion nationale. Plusieurs mouvements de la composante harratine estiment que ces propos ont porté atteinte à la dignité de cette importante communauté nationale. Partagez-vous leur position ?

Mariem mint Bilal : Le passage du discours révèle deux contradictions et avoue une fuite de responsabilités. D’abord, le chef de l’Etat qui avait, à Nouadhibou, remis en cause le concept même de Haratine, a fini par reconnaître, de fait, l’existence de cette importante composante nationale, en évoquant les anciens esclaves et les descendants d’esclaves. Ensuite et contrairement au discours officiel, il a aussi reconnu la suprématie démographique des Haratines qui « se multiplient de manière incontrôlée » ; appuyant ainsi, inconsciemment, l’affirmation du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines de ce que cette composante représente, au moins, 50% de la population du pays.

Enfin, même si l’on suppose que le manque d’éducation et la pauvreté –  hélas particulièrement caractéristiques de la vie quotidienne des Haratines – résultent de comportements de « citoyens irresponsables », cela ne peut, en aucun cas, justifier le désengagement annoncé de l’Etat vis-à-vis de ces populations ! Sinon, pourquoi parler de problèmes si l’on évoque aucune solution adéquate ? Où est la place, dans ce discours, d’une école publique réellement opérationnelle ? Qu’a-t-on fait des oubliés du système judiciaire dont l’écrasante majorité sont issus de cette communauté ? Malheureusement, ce discours nous prouve, s’il en était besoin, l’absence d’un Etat incarnant les valeurs de respect et de liberté, garantissant les mêmes droits pour tous.

 

- Le Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines en est à sa troisième marche annuelle. Etes-vous satisfaite de son action ?

- Dans ce genre de lutte à portée nationale et aux causes largement liées aux mentalités, croyances et pratiques, on ne peut guère parler de satisfaction de résultats, à court ou moyen terme. Certes, il est de coutume d’établir des bilans à mi-parcours, pour évaluer les actions entreprises et opérer les ajustements qui s’imposent. Mais, tenant compte des nombreuses contraintes objectivement attachées à tout projet, notamment social, je note des avancées non négligeables, surtout en matière d’éveil communautaire et d’élargissement de la base. Comme le démontre la multitude d’évènements célébrant, cette année, le 29 Avril – à  Nouakchott, Zouérate, Rosso, Nouadhibou, Kiffa, Rkiz… – le Manifeste est en train de gagner du terrain. Etant donné que notre objectif est que son contenu soit partagé par tous, que son esprit soit présent en chaque foyer, je suis plutôt rassurée : nous sommes sur la bonne voie.

 

- En tant que militante et ancienne députée du RFD, pensez-vous que la nouvelle offre de dialogue  du président de la République à Néma apporte quelque chose de nouveau, par rapport aux précédentes ? A-t-elle une chance de prospérer ?

- Quelques points doivent être avant tout rappelés, me semble-t-il. En 2008, suite au coup d'Etat et à la grave crise qu'il a engendrée, Ould Abdel Aziz, désireux de garder le pouvoir, s'est vu acculé à accepter un dialogue préconisé par la Communauté internationale. Le texte qui a conclu ces discussions fut signé par le chef de la junte, via son représentant,  et par l'opposition. Il prévoyait l'instauration, immédiate, d'un dialogue entre les parties, pour  identifier tous les moyens à même d'approfondir la démocratie, concevoir une réforme des forces de sécurité et envisager une éventuelle participation de l'opposition à la gestion de l'Etat.

Dès la signature de ce document à valeur de convention internationale – toutes les organisations internationales en furent signataires – Ould Abdel Aziz déclara que ceux qui se fondent sur l'accord de Dakar n'avaient qu'à aller le chercher à Dakar. Depuis, lors toutes les tentatives de dialogue entreprises, sur déclaration formelle du chef de l'Etat, et acceptées par l'opposition se sont avérées des mises en scène, destinées à faire miroiter une image d'ouverture du pouvoir, loin d’une recherche sérieuse de solutions aptes à mettre en place une démocratie véritable, avec des élections transparentes et de vrais contre-pouvoirs.

L'opposition a donc décidé, à travers le FNDU, d'adresser un écrit au pouvoir, où étaient formellement requis des actes concrets de restauration de la confiance entre les parties, actes essentiellement relatifs à l'application de certaines lois de la République sciemment inappliquées par le pouvoir : déclaration de patrimoine, normalisation du statut du BASEP, etc. A ce jour, Ould Abdel Aziz s’est borné à rétorquer que l'application de ces lois feraient, peut-être, partie du résultat d'un éventuel dialogue. Comment un chef d'Etat qui bafoue aussi bien la loi qu'un accord auquel sont parties toutes les organisations internationales du Monde peut-il être digne de confiance ?

L'appel qu'il vient de lancer à Nema à « tous ceux qui répondront présents » au dialogue est une sorte de convocation, une mise en demeure, qui illustre parfaitement son mépris pour la classe politique. Cette convocation est accompagnée d'insultes adressées à l'opposition, dont la moindre fut la traîtrise à la Nation. En tout cas,  le RFD ne fera pas l'objet de cette énième humiliation qu’Ould Abdel Aziz veut infliger à l'opposition. La première règle de la démocratie est un minimum de respect, par le pouvoir, de la classe politique.

 

Propos recueillis par Dalay Lam