Gouvernance et réforme sécuritaire en Afrique : Une chance pour l’Etat de droit

5 May, 2016 - 00:54

L’African Security Sector Network (ASSN) et Democratic Control of Army Forces (DCAF), une fondation internationale, fondée en 2000, leader mondial en matière de réforme et bonne gouvernance du secteur de la sécurité, ont organisé, les 26 et 27 Avril 2016, à l’hôtel Lagon de Dakar, un laboratoire d’apprentissage sur la gouvernance et la réforme du secteur sécuritaire en Afrique. Une vingtaine d’experts, venus de divers horizons, ont échangé sur les problématiques liées à ces politiques et les défis auxquels fait face leur mise en œuvre, dans les pays africains, selon les contextes. Ils ont analysé les difficultés rencontrées par la réforme du secteur sécuritaire (la RSS) en Afrique et dressé le constat des faiblesses incontestables et des lacunes indéniables, dans les approches actuelles de ladite réforme. Selon eux, les ressources, tant humaines que matérielles, techniques ou financières, pour soutenir le changement transformationnel, sont rares, dans la plupart des contextes. La RSS leur paraît hautement politique et repose sur un contexte spécifique. Traitée comme un processus technique, soustrait des réalités politiques, sécuritaires, socio-économiques et culturelles nationales, elle n’aboutira pas. De fait, la sécurité reste un sujet tabou, dans de nombreuses régions du continent africain. C’est souvent une question que gère un petit staff, composé d’élites politiques et sécuritaires, généralement obnubilées par des intérêts et des priorités personnelles. Les forces de sécurité ne perçoivent pas qu’elles sont, d’abord, consacrées à répondre aux besoins de sécurité et de sûreté des populations qu’elles servent. Les cadres juridiques obsolètes, la dépendance du pouvoir judiciaire et le manque de compétence des parlements ou leur inféodation à un système dont ils sont redevables de tout, comme en Mauritanie, empêchent de procéder au contrôle, à la transparence et à la reddition de comptes, pourtant impératifs à la protection des droits de l’homme et au respect de l’Etat de droit. L’autocensure, l’héritage social de la gouvernance autocratique et les faibles compétences de la Société civile, sur les problématiques de la sécurité, contribuent, de surcroît, au silence, assourdissant, sur la nature et l’orientation de la Gouvernance du Secteur de la Sécurité (GSS). Aujourd’hui, c’est à travers un certain nombre de concepts connexes, comme le développement ou la gestion  du secteur de la sécurité que GSS et RSS font de plus en plus parler d’elles. L’expérience sud-africaine, où l’insécurité et les injustices causées par l’Apartheid ont été explicitement étudiées, amène les spécialistes africains à parler ouvertement de la nécessité de refondre et transformer le secteur de la sécurité, impliquant la nécessité d’une mutation fondamentale qui modifie la culture, les valeurs et les caractéristiques des acteurs de la sécurité. Mais la RSS fait face à nombre de défis, mettant en cause les héritages des Etats coloniaux et postcoloniaux, marqués par des systèmes politiques autocratiques et illégitimes où les forces dirigeantes et sécuritaires, souvent confondues, maintiennent une forte emprise sur tous les pouvoirs. Alors que la mondialisation impose, à cause du renforcement du commerce, licite et illicite, de nouveaux défis sécuritaires, comme la piraterie maritime, le trafic des êtres humains, d’animaux rares, d’armes et de drogue, ordinairement gérés par des réseaux criminels organisés au niveau mondial et auxquels ont du mal à faire face nombre d’Etats aux frontières d’autant plus poreuses que faible est la gouvernance et forte la corruption d’un secteur sécuritaire dévoyé et mal structuré.

 

De nouvelles menaces

Avec la montée en puissance de nouvelles graves menaces sécuritaires mondiales, comme le terrorisme, l’extrémisme violent et la radicalisation, une nouvelle approche du secteur sécuritaire, impliquant une dynamique internationale, s’impose. L’application, à ce secteur, des principes fondateurs de la bonne gouvernance et le renforcement de sa version démocratique, Etat de droit et respect des droits de l’homme, constituent la meilleure option, en termes de crédibilité et de légitimité, pour promouvoir des approches concertées et harmonisées de lutte contre ces dangers sécuritaires transnationaux. Les possibilités de réformer le secteur sécuritaire et de combler ses lacunes existent. Mais la volonté politique des gouvernants africains constitue un préalable sans lequel toute action ne serait pas de grand effet. Il s’agit, entre autres, de donner une juste valeur à la recherche, afin d’encourager ceux qui s’y consacrent à apporter leurs contributions ; impliquer le secteur privé, afin de combler les insuffisances de l’Etat qui ne doit pas être le seul prestataire de services de sécurité ; renforcer le rôle de la Société civile et des media, par la promotion d’un dialogue public significatif et ouvert sur la GSS ; provoquer des effets de réseau, en faisant interagir des groupes d’experts de la Société civile transnationale, en vue de contribuer à l’organisation de processus politiques, de facilitation, d’encadrement et de formation des connections civiles ; investir dans le renforcement des capacités pour de meilleures prestations des services de sécurité ; améliorer le contrôle et lutter contre les inégalités du genre, puisque l’égalité des sexes est une norme internationale qui impose le droit égal des femmes, des hommes et des « minorités de genre », dans l’accès à des opportunités et à des ressources, indépendamment du sexe avec lequel ils sont nés et du sexe où ils s’identifient. Pendant deux jours, la vingtaine d’experts présents à Dakar ont analysé les tenants et aboutissants que charrient les nouveaux concepts de la RSS et autre GSS, sans perdre de vue les réticences de leur prise en compte, dans la variété des contextes où les transitions politiques ne suivent pas une progression linéaire. Mais il est aujourd’hui admis que, malgré les critiques, la RSS et la GSS jouent un rôle important, dans les grands processus de transition vers la démocratie, le développement et la paix. 

Sneïba El Kory