M. Ahmedou ould Weddia, journaliste à la chaine privée El Mourabitoune, animateur d’une émission suspendue par la HAPA: ‘’La liberté d’expression est en train d’être sacrifiée sur l’autel des intérêts du pouvoir en place’’

10 March, 2016 - 00:21

Le Calame : Des journalistes convoqués par la justice,  des émissions de radios et de télé  arrêtées, une HAPA qui  monte au créneau. La liberté de presse serait-elle en danger comme le croient certains ?

Ahmedou ould Weddia : Ce n’est plus une menace à peine voilée, mais un véritable harcèlement  dont l’objectif  est de museler la presse, de réduire le maigre espace de liberté dont nous disposons encore. Cette liberté d’expression, qui était notre fierté, est en train d’être sacrifiée sur l’autel des intérêts  du pouvoir en place. Le pouvoir en place n’entend pas laisser la presse indépendante, pilier de toute  démocratie  qui se respecte accomplir sa mission. Sept journalistes convoqués par la justice, deux émissions suspendues par la volonté du pouvoir. Et malheureusement, la haute autorité de l’audiovisuel, la HAPA, qui devrait défendre la  pluralité et la diversité  des opinions  dans la presse,  a hélas  failli à sa mission, pis, elle  s’est érigée en  un  bras armé du régime ; elle veut  désormais mettre au pas la presse indépendante. C’est dommage  et regrettable pour une démocratie en devenir. Comme si les problèmes auxquels est confrontée la presse indépendante ne suffisent pas à l’étouffer, la HAPA  en rajoute. La presse  connaît non seulement  des problèmes liés à l’accès à l’information mais aussi  des obstructions  pour accomplir sa mission de chien de garde. L’appui qu’elle reçoit de l’Etat reste dérisoire, parce qu’il  y a trop d’organes  de presse, ce qui est  fait sciemment, le pouvoir, en octroyant, à tour de bras des  récépissés  a encouragé la pagaille dans le secteur. Et au lieu de sévir contre ceux  sèment le  désordre, la HAPA  interpelle ceux qui  tentent, contre vents et marées, d’accomplir, de façon professionnelle leur mission. Tout est fait aujourd’hui pour faire taire la presse, à défaut de la dompter.

 

-A votre avis, est-ce que nos organes de presse n’abusent pas un peu de  cette liberté même si à leur décharge on peut  invoquer peut-être leur  manque de « professionnalisme » ?

-La loi créant la HAPA comporte un article similaire à l’article 11, allez sur  le site de la HAPA pour vous en rendre compte. Et  comme  je l’ai dit tantôt, ce ne sont pas ceux qui usent et abusent de cette liberté de presse qui sont interpelés par notre gendarme de l’audiovisuel, mais au contraire ceux qui font œuvre de professionnalisme qui sont menacés. En 2005, on nous disait que la suppression de l’article 11 pourrait ouvrir la porte aux désordres, menacer  l’unité et la sécurité du pays.  Mais c’est justement en muselant la presse, en restreignant les libertés des citoyens  garanties par la Constitution qu’on met en danger le pays.

Quand nous avons décidé d’inviter un officier négro-africain, c’est justement pour  témoigner sur une partie sombre de notre histoire. On voudrait  connaître les responsables  de ce qui est arrivé dans notre pays pour éviter demain pareils manquements.  La HAPA  a tout fait pour nous en empêcher. Or, si, nous assistons  depuis quelques années  à la montée des revendications identitaires, c’est justement  parce qu’on n’a pas voulu régler définitivement les problèmes du passif humanitaire  et de l’esclavage,  on a adopté la politique de l’autruche, et ça, on connaît le résultat.

La réaction de la  HAPA, qui a consisté à suspendre  certaines émissions,  prouve clairement que le pouvoir ne voudrait pas qu’on mette sur la table, certaines questions,  notamment  la question de l’esclavage  et le passif humanitaire, ce qui dénote clairement que certains citoyens de ce pays n’ont pas leur place ici. Or, en créant Mourabitoune, nous avions  affiché clairement notre vision, résumée à travers ce slogan : «  la Nation avec ses différentes couleurs ». Vous constaterez que cela ne cadre pas avec la politique du régime en place. Ensuite, nous avons respecté scrupuleusement le cahier de charges, contrairement à d’autres.

 

-Le pouvoir  ne semble pas porter  dans son cœur la télévision privée  Mourabitoune à laquelle vous appartenez.  Est-ce seulement   parce qu’elle serait  « proche des islamistes »  ou parce que  les émissions  de Wediaa  dérangent   le pouvoir en place ?

-Je crois avoir répondu en partie à cette question, mais vous me permettrez d’ajouter ceci. On reproche à  Mourabitoune  seulement  sa ligne éditoriale qui consiste à donner la parole à tous les mauritaniens ; ils ont tous droit à la parole, comme le commande  notre loi fondamentale. Nous avons des émissions  dans toutes les langues  nationales  du pays, ce qui ne plait visiblement pas au pouvoir.  A titre d’exemple,  les  700 personnes  que j’ai  reçues  sur le plateau,  viennent  d’horizons  politiques  et sociaux  divers, et si vous faites le décompte, vous vous rendrez compte que nous avons  donné  la parole  plus  à l’UPR dont son président. Donc, comme je l’ai dit,   l’hostilité  vis-à-vis  de notre chaine  est  ailleurs. Les thèmes que nous abordons dérangent. Je tiens à rappeler ici que nous  n’avons pas créé Mourabitoune pour faire la même chose que les médias publics, Mourabitoune n’est  pas  et ne sera pas  TVM Bis.

Par rapport à ma personne, nul n’ignore les rapports que j’entretiens avec  Tawassoul, mais  la question qu’on devrait se poser est de savoir si  dans mes émissions, je fais valoir à l’antenne mes positions politiques,  ou je fais preuve de professionnalisme. Posez la question au président de Tawassoul que j’ai invité,  au président de SOS Esclaves également.  Ai-je  ménagé  ces personnalités ? Je dois vous dire que, sur ce plan, j’ai la conscience tranquille. Je ne ménage personne pour ses positions ou pour mes positions. Je me suis toujours efforcé  à  rester journaliste indépendant, professionnel  quand je suis à l’antenne. Comme je l’ai dit, seules  certaines questions que nous abordons  avec les invités, les téléspectateurs, les auditeurs, notamment sur l’unité nationale,  la cohabitation de nos différentes  composantes nationales et  les pratiques de l’esclavage dérangent le pouvoir. Nous ne sommes pas disposés à faire la même chose que les médias publics. Si on veut nous empêcher de faire notre travail ici, nous le ferons ailleurs, c’est techniquement possible. Je rappelle que quand on nous avait  refusé une fréquence pour une radio FM, nous avons  émis,  durant  une année,  depuis l’étranger, et c’est  seulement  après qu’on  a fini  par  nous   octroyer une licence pour  Mourabitoune. C’est vous dire que nous  continuerons  à nous  battre  pour poursuivre notre travail ici, sinon ailleurs. Nous refusons  le musellement. Mourabitoune ne déviera pas  de sa  ligne éditoriale sur  toutes les  questions  majeures du pays. A notre avis, la solution n’est pas de cacher la vérité  aux mauritaniens  et aux étrangers  sur ces questions là, il faut au contraire,  avoir le courage de les affronter, de leur apporter des solutions  équitables.  Qu’on se  détrompe, ces gens à qui on refuse la parole, auront toujours la possibilité de passer leur message.

 

-Est-ce que les syndicats de journalistes sont en mesure de jouer pleinement leur rôle dans cette situation ?

-C’est une question délicate, ces organisations n’ont pas les moyens d’agir.  Outre les intérêts  égoïstes  des uns et des autres,  il y a  toujours  la main du pouvoir derrière.  C’est d’ailleurs  pourquoi  leur  réaction face à ce qui se passe n’a pas été à la hauteur. 

Propos recueillis par Dalay Lam