Nouvelles d’ailleurs : Immobilismes...

3 March, 2016 - 00:39

Et si tout, finalement, n'était que question de perspective, de points de vue « affectif », de regard et de liens si forts que nous ne saurions plus distinguer entre ce qui fait avancer et ce qui fait stagner ?

Dans cet entre-deux qu'est notre pays, cette entité à laquelle nous sommes tant attachés, que nous portons en nous avec ténacité, même au plus profond de la colère ou des interrogations, dans ces femmes et ces hommes qui en constituent le sang, dans ces passés qui s'entrechoquent, s'interpellent, parfois se rejettent, dans ces « bulles » politiques qui définissent une appartenance idéologique, dans ces amours quotidiennes, ces fantasmes, ces projections de soi, de l'autre et, donc, du monde tel que nous le concevons, la perception de soi est le dogme.

Et si notre surplace, coincés entre le monde extérieur et nos mondes, était la seule interrogation à avoir ? Face aux défis du Monde, de l'économie mondialisée, de la modernisation, de l'ouverture aux autres, de notre propension à pouvoir ou non offrir quelque chose, de participer à la marche, quelle que soit celle-ci, quelles réponses nous donnons- nous ? Nous nous rêvons futurs, nous ne vivons que dans le passé, tous les passés que nous tétons dès nos naissances. Nous ne nous définissons, non pas en tant que vecteurs de demain, de l'avenir, mais en tant qu'héritiers. Nous vivons hier en respirant aujourd'hui.

Et plus le monde qui nous entoure nous semble dangereux pour nos identités, plus nous nous arc-boutons sur les siècles passés. Hommes contemporains qui ne se construisent et ne définissent le monde qu'à l'aune de passés maints fois ressassés. Nos identités, ou ce que nous percevons comme telles, sont nos boucliers. Comment alors s'insérer dans le concert mondial, quand nous ne vivons qu'hier ? Comment définir une présence, un poids réel, quand nous vivons dans le culte des ancêtres ? Comme devenir, quand ce n'est pas l'avenir que nous désirons, mais la vie de nos aïeux ?

La tribu, mini-Etat dans l’État, n'est pas ce qu'elle se doit d'être, à savoir un corps vivant qui offre des racines. Elle est force de stagnation, définie, il y a fort longtemps, par des ancêtres qui bataillaient pour leur survie dans un environnement particulier.

Elle se perpétue et perpétue le schéma simpliste qu'elle est tout, modèle et aboutissement, vie, économie, lien social et lien intime. Elle a fait, du passé, un immuable autel des ancêtres... Elle est tout. Nous n'aimons pas le futur. Nous n'aimons que vivre dans l'ombre d'autres vies. Dans notre « quand » à nous, dans ce « Où » actuel, dans ce « Comment », nous portons des instants devenus figés. Nous stagnons, non pas parce que tout va mal : nous stagnons, parce que nous n'avons pas avancé, incapables que nous sommes de nous entre-apercevoir vecteurs d'avenir...

Nous aimons plus nos ancêtres que nos enfants. Et nous faisons de ceux-ci, les futurs vieillards qui auront passé leur vie à perpétuer le souvenir des vieillards qui les ont précédés. Nous vivons le présent comme un remake d'un passé fantasmé. Nous n'aimons pas ce qui vient. Cela nous fait peur.

Dépasser nos passés demande de l'audace. Cette dernière nous fait défaut, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Nous définissons le monde à la couleur des autres, partant du principe que le Soi qui est notre groupe, est automatiquement la référence.

Nous absorbons nos siècles passés, les faisons absorber à nos modes de fonctionnements, les instituant règle absolue. Toutes les relations, tous nos comportements deviennent, ainsi, moyen de développement. Les Pères fondateurs rêvaient un pays neuf, construction de l'improbable. Nous ne faisons que détricoter les ambitions premières, nous repliant, malgré une apparence de modernité, sur les âges anciens. Comment avancer dans le Monde, aux côtés du Monde, quand nous ne rêvons que nos passés ? Comment se construire, comment émerger, comment être, si nos seuls modèles ne sont que ceux du passé ? Comment s'arrimer à la rapidité, à l'adaptation, quand, même pour la Foi, nous régressons, nous formatant aux sirènes pseudo-historiques d'un islam du 13ème siècle ? Comment être citoyen, quand nos seules références admises sont les siècles passés ?

Comment ne pouvons-nous pas arriver à un équilibre, salvateur, entre ce qui nous a précédé et ce qui vient ? Pourquoi tuons-nous l'avenir ? A cette question, universelle, du « Qui suis-je ? », nous répondons «  Je fus », pas « Je serai ». Nous sommes des cimetières ambulants, pleureurs des morts, gardiens du Temple. Oser est un verbe interdit. A nos enfants qui nous regardent, nous n'offrons que le poids de ces chaînes. Au lieu de leur dire que, grâce à leurs ancêtres, à nos histoires, ils peuvent comprendre le Monde, nous les formatons à la reproduction de schémas de pensée, qu'ils sont les héritiers, avenir devenu, soudain, maison de retraite... Nous ne bougeons pas, même dans la fausse agitation de nos quotidiens. Nous réécrivons sans cesse nos mémoires ou ce que l'on nous en a racontés. Nous tuons nos enfants et les potentiels de vie qu'ils représentent. Nous étouffons en eux tout sens de l'avant. Nous sommes gardiens de cimetières, de générations en générations.

Nous faisons, de nos temps anciens, des modèles immobiles, niant, par là, la force de changement que furent nos ancêtres, à un moment donné. A force de n'être que passés, nous échappons au monde... et c'est cela que nous voulons, c’est cela qui nous rassure, qui nous semble nous protéger des soubresauts du Monde... Nous nous fossilisons. Nous ne créons rien. Nous imitons.

Et nous mourrons, si nous ne sommes pas capables de ranger nos passés là où ils devraient être et n'acceptons pas d'être des humains dans toute leur individualité, leur force créatrice, leur force de proposition. Nous sommes des momies radoteuses.  Salut,

 

Mariem mint Derwich