Si les gens savaient…

17 February, 2016 - 00:29

Devant les difficultés qui s’amoncellent, le ras-le-bol, général, face à la hausse de prix des denrées de première nécessité, le refus obstiné du pouvoir de baisser celui des hydrocarbures, la crise politique qui perdure, la dévaluation rampante de l’ouguiya, les scandales financiers qui se répètent, Ould Abdel Aziz – « en plein désarroi », selon « Jeune Afrique » – n’a pas trouvé mieux, pour divertir l’opinion, que de lui offrir un énième remaniement ministériel. Où un tribalisme de bas étage a trouvé toute sa consécration. Jamais, même au temps de Maaouya où cette tare établit ses lettres de noblesse, on s’est autant engouffré dans la mouise. Un « dosage » qu’on pourrait qualifier de tout, sauf de savant, a prévalu lors du choix des remplaçants des cinq hommes débarqués du gouvernement. Dont personne ne sait ni pourquoi ils furent choisis, ni pour quels motifs ils ont quitté l’équipe gouvernementale. Non pas qu’on ne puisse imaginer les raisons qui ont présidé au choix des entrants. Il est une constante,  dans tous les régimes peu – ou prou –  démocratiques : choisir les hommes selon des critères subjectifs, les pressurer jusqu’à la moelle et s’en débarrasser à la première occasion. Depuis près de quarante ans, c’est la règle en Mauritanie où la fonction ministérielle a été tellement dévalorisée que tout un chacun, sensé ou non, peut y prétendre. La valse des ministres est devenue le sport-roi de nos dirigeants qui y trouvent, à chaque fois, l’occasion de divertir un peuple qui vit de ragots, de médisances et de rumeurs. Et la dernière tempête dans un verre d’eau n’a pas dérogé à la règle. Le peuple a eu quelque chose à se mettre sous la dent, pendant quelques jours. Mais avant qu’il ne revienne sur la terre et à ses soucis, on lui a, aussi sec, servi  un autre plat : le refus du Conseil constitutionnel de valider le projet de loi organique du gouvernement, prévoyant de renouveler, maintenant, deux tiers du Sénat et le dernier tiers dans deux ans. Réveillé subitement d’un long sommeil qui frôlait l’hibernation, ledit Conseil a recalé le projet de loi, au motif que tout le Sénat est périmé et qu’il faut donc le renouveler en entier. Rebelote donc !

Un nouveau projet de loi sera approuvé en Conseil des ministres, avant de passer par le Parlement, pour revenir, devant le Conseil constitutionnel, et nous voici reparti pour au moins deux ans de statu quo ! D’ici là, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts. Qui ne connaît pas ce Conseil peut, aisément, imaginer que celui-ci a normalement rempli sa fonction mais, ceux, nombreux, sans aucun doute sur son inféodation à l’Exécutif, douteront que sa décision ait été bâtie sur le Droit et rien que le Droit. D’autant qu’entre le Droit et le Non-droit, il y a le courbe, la courbette, le louvoiement, le zigzag, j’en passe et de plus louches encore...  

Autre pâture jetée à l’opinion : la promotion de six nouveaux colonels au grade de général. On en est, désormais, à dix-sept étoilés. Une inflation dont notre armée peut  bien se passer. Au Sénégal voisin, par exemple et pour rester dans une logique chère à nos gouvernants qui veut toujours nous comparer aux pays frontaliers, seuls sept colonels – quatre de l’Armée et trois de la Gendarmerie – en vingt-cinq ans, entre Senghor et Diouf, atteignirent ce firmament. L’armée sénégalaise est pourtant plus nombreuse que la nôtre et ses chefs beaucoup mieux formés.  Autre différence de taille avec ce voisin, démocratique s’il en est : Au Sénégal, le pays a son armée, républicaine, alors qu’en Mauritanie,  c’est l’armée qui a son pays : elle en fait ce qu’elle veut. En se donnant de grands airs. Je veux dire : des airs de grands. Forts. Puissants. Mais si les gens ouvraient, tout simplement, les yeux, ils ne tarderaient pas à comprendre « par quels petits hommes ils sont gouvernés ». Et « se révolteraient vite », ainsi que le prédisait Talleyrand, voici plus de deux cent cinquante ans. Mais, avec des si et des mais, ne mettrait-on pas, dans une même bouteille, Nouakchott, la Mauritanie entière et... toutes ses autruches, la tête obstinément plantée dans nos sables chéris, aussi piètrement dosés soient-ils ?

 

Ahmed Ould Cheikh