Une curieuse tentative de réécriture de l’Histoire/PAR MOHAMED SALEM OULD BRAHIM OULD BOIDAHA

4 February, 2016 - 02:17

Certains, depuis quelque temps, expriment sans retenue des allégations contraires aux réalités de l’histoire et aux préceptes sacrés de l’Islam sous prétexte de s’opposer à la décision de l’Etat portant sur la dénomination du nouvel aéroport International de Nouakchott « Oum-Tounsi ».

 

L’ex Colonel Oumar Ould Beibacar tire ainsi prétexte de cette dernière décision pour revisiter à sa manière et  tenter de réécrire l’histoire de notre pays tout en insultant nos morts. A vrai dire, je suis surpris par des telles injures car l’ex colonel de la garde nationale est un homme d’honneur qui milite depuis quelque temps pour les causes nobles. Ignore-t-il que notre sainte religion interdit toute forme d’insulte à l’encontre des morts ? Le Messager de Dieu (PSL) a dit: «N'insultez pas les morts car ils sont déjà arrivés à la conséquence de leurs œuvres». (Rapporté par Al Boukhâri).

 

Un homme d’âge mûr est censé savoir que l’usage d’un langage inapproprié (« pillards/ étrangers ») à l’encontre d’une composante quelconque de la société mauritanienne est contraire aux principes de notre sainte religion et aux enseignements du Sceau des Prophètes. Les injures, la falsification de l’histoire, le raisonnement erroné et à géométrie variable ne changeront pas l’histoire et ne réduiront pas d’un iota l’importance du sacrifice des hommes nobles et courageux qui avaient combattu le colon sur l’ensemble du territoire national et bien au-delà.   

 

Dans l’un de ses articles, l’ex-Colonel accuse certaines tribus du Nord d’être étrangères tandis que dans sa dernière sortie médiatique il prétend que les chefs des fractions de la tribu d’Ould Dleim avaient écrit une « lettre secrète » au Colonel Tranchant du cercle d’Adrar. Comment des étrangers écrivent-ils une « lettre secrète » au Colon du cercle d’Adar ? Inconsciemment, M.Ould Beibacar  ne reconnait-il pas ainsi  que les tribus du Sahel ne sont pas étrangères à cette terre ? Cette contradiction flagrante dans le raisonnement à géométrie variable démontre clairement une tentative, vouée à l’échec, de réécriture de l’histoire.

 

Lettre inexistante

 

Mon Colonel, cette lettre n’a jamais existé. Elle est le produit de l’imagination et/ou de la machine de propagande coloniale. En 1932, la chefferie de la fraction de Srahna de la tribu d’Oulad-Dleim relevait de mon grand-père, le Moujahid Mohamed Salem Ould Boidaha, et si une lettre avait été envoyée au nom de la Jemaa des Oulad Dleim elle devait être co-signée par lui. 

 

Mon Colonel, les machines de propagande sont capables de toutes sortes de fabrication. Le grand leader Nelson Mandela fut ainsi considéré par les Etats Unis d’Amérique comme terroriste sur la base d’informations fabriquées par le régime de l'apartheid sud-africain. Son nom fut retiré de la liste noire des terroristes en 2008 par le gouvernement américain. Ceux qui avaient qualifié le plus grand leader de l’histoire africaine de terroriste avaient-ils raison ? On pourrait en dire autant de bien d’autres leaders comme Yasser Arafat, Amilcar Cabral….

 

Le concept de « pacification »  que vous reprenez sans retenue et sans jugement critique, fut forgé par la machine de propagande coloniale pour justifier son expansion. Tout comme celui de la « civilisation » dont se targuèrent les colonialistes de tous poils pour envahir nos contrées et soumettre l’ensemble de nos peuples, arabo-berbères  ou négro-africains, du Sahara ou du Sahel ! Stratégiquement, la pénétration de la Mauritanie reposait sur une alliance avec les chefs religieux dans le but d’un rapprochement avec leurs talibés afin qu’ils fournissent au colon la chair à canon et les précieux renseignements sur les tribus susceptibles de se rebeller. Cela ne disculpe en rien ni ne légitime la nature des liens internes à chacune de nos différentes tribus et sociétés et les relations complexes entre elles sur nos terroirs  et nos contrées mais cela ne justifie pas pour autant l’ingérence dominatrice étrangère !

 

Certes, Xavier Coppolani avait une bonne connaissance de l’Islam, de l’arabe, du soufisme et disposait d’un petit trésor de guerre (400 000 francs français : source Étienne Richet, professeur au Collège des Sciences sociales et membre du Conseil supérieur des Colonies-ouvrage intitulé « La Mauritanie », publié en 1920) qui lui permettait de se faire des alliés, lesquels avaient des milliers de disciples au Sénégal voisin et en Mauritanie. Il joua, au cours de son voyage, de 1898 à 1899 sur les divisions tribales pour pénétrer en Mauritanie. 

 

C’est dans ce cadre que la fameuse fatwa fut produite pour la circonstance afin de justifier la colonisation de notre terre sainte (7ième lieu saint de l’Islam). Toutefois, cette fatwa ne tient pas la route car l’Islam nous interdit précisément de prendre pour alliés les mécréants au détriment des musulmans. Il suffit de se référer à la Sourate Al-nissa 4.138-139: « Annonce aux hypocrites qu’il y a pour eux un châtiment douloureux, ceux qui prennent pour alliés les mécréants au lieu des croyants, est-ce la puissance qu’ils recherchent auprès d’eux ? (En vérité) la puissance appartient entièrement à Allah. » [Sourate Al-nisaa ’ 4:138-139].

 

Pour ce qui est de la bataille d’Oum Tounsi, elle fut préparée avec soin, dans le secret total, par un groupe de résistants médiocrement armés mais dotés de l’arme la plus redoutable au monde ; à savoir la foi pure pour le Jihad. L’histoire retiendra que le courage  de ces résistants avait rendu, le 18 août 1932,  possible l’impossible car les résistants avaient vaincu de manière héroïque les forces coloniales qui avaient un armement bien supérieur. Pour l’histoire, quand les français avaient rompu le combat et abandonné leurs armes, les résistants n’avaient pas voulu tuer certains goumiers, à la portée de leurs fusils, qui étaient en fuite. Ce n’est pas la filmographie et le récit qui en furent faits par les colons eux-mêmes qui terniront l’image de ces hommes d’honneur dont la mémoire appartient désormais au peuple mauritanien dans son ensemble, toutes tribus et  ethnies, du Nord, de l’Ouest, du Sud et de l’ouest, confondues…

 

Le bilan de cette bataille fut lourd pour la France coloniale et ses goumiers : un lieutenant, Patrick de Mac Mahon, le petit-fils d’un Président de la République Française, quatre sous-officiers et soixante-dix indigènes (source : Figaro N°240 du samedi 29 août 1932 – Page 1). 71,4% de l’effectif du Groupement colonial fut tué.

 

 

Polémique stérile

 

Dire, aujourd’hui, que cette bataille fut initiée par les tribus du Nord à cause d’une haine à l’encontre de la noble et respectable tribu guerrière des Euleb relève de l’imaginaire et de la falsification de l’histoire.

 

Il est vrai que les résistants sont arrivés de la Saghiat El Hamra mais cela ne fait pas d’eux des étrangers. Le Rio de Oro était le sanctuaire de la résistance.  Il en était de même pour toutes les immenses  étendues de notre désert et de notre sahel, pour tous les résistants du Nord et de l’Ouest africain, c'est-à-dire chez "nous", quand à l’époque il n’y avait comme frontières que les limites imposées par les alliances du moment. Nous avions donc nos sanctuaires dans notre résistance, comme le fut Londres pour les résistants français pendant l’occupation nazie. Charles de Gaule n’avait-il pas fondé la France Libre en Grande Bretagne ? N’avait-il pas lancé son appel à la résistance le 18 juin 1940 de Londres ? Peut-ont dire que Charles de Gaule n’était  pas, pour cela, un français ?  

 

Malheureusement, plusieurs compatriotes, pour des raisons obscures, déforment l’histoire sans se rendre peut être compte qu’ils cultivent l’idée nuisible de division entre les mauritaniens. Il est fort regrettable qu’en 2016, le tribalisme, le régionalisme et le racisme existent encore sur cette terre sainte. Le Mauritanien dépense, malheureusement, beaucoup d’énergie et de temps dans des œuvres inutiles qui ne servent ni la patrie ni l’unité nationale. Dieu nous a bénis avec notre diversité culturelle, véritable richesse inépuisable, et nous devons tous œuvrer à ce que les mauritaniens vivent en paix, s’aiment entre eux et se reconnaissent dans le meilleur de leur passé qui est désormais le leur. Il suffit de voir ce qui se passe en Syrie, en Irak, en Libye, en Afghanistan et en Somalie pour savoir que nous sommes tous, sans exception, responsables de la préservation de notre unité nationale. Ni la politique, ni les intérêts économiques, ni la dénomination d’un aéroport ne devraient inciter quiconque à proférer des injures à l’encontre d’une composante de cette nation.   

 

Le Président Mohamed Ould Abdel Aziz, en honorant les milliers d’hommes qui avaient opté librement de mourir debout au champ de bataille au lieu de vivre à genoux dans une terre sainte colonisée par une force étrangère, ne fait que traduire la part de reconnaissance due à nos résistants. Par-delà ceux d’Oum Tounsi, ce sont tous les combattants, hommes et femmes, dans la limite et suivant les contraintes objectives et subjectives de leur époque, qui se sont dressés avec fierté et courage pour refuser la soumission et la domination étrangère et qui sont honorés. Ce sont nos morts à tous, maures de toutes les tribus, négro-africains de toutes castes et de toutes ethnies de ce pays qui nous est désormais commun à égalité.   

 

Enfin, il y a lieu de noter que si le Gouvernement avait décidé de dénommer le nouvel aéroport Mokhtar Ould Daddah, nous ne serions pas moins heureux ni moins fiers. Feu Mokhtar Ould Daddah incarne à nos yeux la perfection du caractère, la noblesse, la grandeur des actes, la bravoure, l’honnêteté et le patriotisme. Il est le Père de notre nation, le fondateur de notre pays et nous lui serons éternellement reconnaissants. Il mérite que son nom soit porté par un grand monument comme la grande mosquée qui sera construite à Nouakchott.

 

Que le Tout Puissant apaise nos cœurs et nous éloigne des divisions stériles pour le plus grand bien de notre Nation.