Bref bilan de l’année 2015 : Compromis impossible

7 January, 2016 - 01:11

L’année 2015 vient de s’achever sur  une note douloureuse. Le fils du président de la République  et deux journalistes décèdent dans un accident de circulation ; une commerçante est  exécutée, en plein jour, au marché central de Nouakchott. Des citoyens bardés d’avenir et d’ambition ainsi fauchés, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Que la terre leur soit légère ! Amen.

L’année aura été très difficile pour le pays, même si le gouvernement, au sommet de l’Etat, s’est ingénié à prétendre qu’en Mauritanie, « tout baigne », selon une expression familière. Caisses publiques pleines, devises à revendre… Et le panier de la ménagère ? Il vient d’accuser, lui, un sérieux revers, avec les brutales augmentations inexpliquées, voici quelques jours, des produits vitaux (riz, huile, sucre…). On s’y attendait, depuis que l’ex-ministre des Finances, Thiam Diombar, avait annoncé, avant de quitter son poste,  l’augmentation de  la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), passant de 14 à 16%,  sur certains produits. Et de justifier la mesure par la baisse des recettes minières du pays. La tonne de fer a dégringolé, sur le marché international, occasionnant un manque à gagner estimé  à quelques milliards d’ouguiyas. Le secteur de la pêche n’étant pas mieux lotie, la Mauritanie – plus précisément, son bas-peuple – doit donc  se resserrer la ceinture.

Au plan politique, l’année écoulée a été marquée par  l’incapacité des acteurs politiques du pouvoir et de l’opposition à trouver un compromis  afin d’amorcer le dialogue politique tant attendu. En dépit de son appel en ce sens depuis Chinguetti, où il présidait le festival des villes anciennes, le président de la République est resté très évasif sur ses intentions. Dans une Afrique marquée par le  « tripatouillage » des constitutions, en vue de briguer un troisième mandat, l’opposition mauritanienne se méfie et n’entend pas  signer un chèque en blanc à Ould Abdel Aziz. Aussi a-t-elle justement exigé un engagement écrit de la part du pouvoir avant de s’avancer elle-même. Au final, toutes les tentatives d’amorcer le dialogue ont échoué, les uns et les autres s’en rejetant la responsabilité. La situation politique demeure donc bloquée, alors même que le pouvoir et l’opposition  réclament, de concert, le dialogue. Ubuesque.

Mais, surtout, calculs. En  refusant de se prononcer, par écrit, sur la plateforme du FNDU, remise en Septembre dernier, le pouvoir  semble miser, au-delà du pourrissement de la situation, sur l’éclatement du Forum. Et le RFD, hostile à tout « semblant »  de dialogue avec le pouvoir, semble la première victime des SCUD présidentiels. Après la participation de certains de ses membres aux journées préliminaires de dialogue, organisées fin-Septembre, début-Octobre, le RFD enregistre ses premières sérieuses défections, avec le départ de la famille Ould Moine.   Dans la foulée du refus daddahien de cautionner la rencontre entre le président du FNDU et une délégation du pouvoir,  Yacoub ould Moine a fondé son propre parti… aussitôt reconnu par les services du ministère de l’Intérieur. Cela dit, l’essentiel  des pôles de l’opposition (FNDU et CUPAD) campe sur ses positions : exigence d’un dialogue « sincère et inclusif », pour « sortir le pays de la crise multiforme » qu’il subit, depuis  des années. Même si le RFD et les partis de la CUPAD n’ont pas pris part à la dernière marche du  9 Décembre, le FNDU peut se vanter  d’avoir réussi  sa sortie car ses militants et sympathisants ont répondu, massivement, à son appel, pour dénoncer  l’« incapacité des  pouvoirs publics à assurer la sécurité  des citoyens, à améliorer leur condition de vie et celles des étudiants …». Un signal fort de l’opposition à l’endroit du pouvoir. Celui-ci « doit se rendre à l’évidence : l’opposition peut faire bouger la rue », ont souligné plusieurs responsables du Forum lors de l’évènement.

 

Entorses

Au plan des droits de l’homme, on aura noté une avancée, significative, dans l’élaboration et l’adoption des lois incriminant l’esclavage. Désormais, la Mauritanie dispose d’un important arsenal juridique, pour lutter contre les « séquelles » de l’esclavage dont le pouvoir s’acharne, cependant, à nier la pratique abominable, alors que les organisations  de défense des droits de l’homme en exhibent, régulièrement, de « présumés »  cas,  à l’intérieur du pays. Pour Samory ould Bèye, il existe un gap entre ce que dit le pouvoir aux partenaires étrangers et  la réalité que vivent les Harratines, dans les adwabas. « Les lois réprimant l’esclavage ou ses séquelles  ne servent qu’à tromper  les partenaires au développement. Les Harratines sont marginalisés  et réduits à l’état de peuple maudit », selon lui.

On aura également noté, en cette année 2015, le refus des pouvoirs publics de reconnaître  les Forces Progressistes du Changement (FPC), fondées, par les ex-FLAM, afin de « sortir de leur illégalité » et de jouer, comme les autres partis politiques,  « leur rôle dans l’arène nationale ». « Une entorse à la liberté d’expression et d’opinion », dénonce un cadre du FPC qui relève la rapidité avec laquelle le parti d’Ould Moine aura, lui, été reconnu.

Autre entorse, relèvent les organisations  de défense des droits de l’homme : la détention « arbitraire » du président d’IRA-Mauritanie et de son vice-président, depuis plus d’une année déjà, pour avoir  pris part à une caravane dénonçant l’« esclavage foncier dans la vallée du fleuve Sénégal ». Pour les organisations de défense des droits de l’homme, Biram et Ould Bilal sont détenus « pour leur opinion, non pour avoir enfreint à la loi ».

L’année 2015 s’est achevée par une vague d’insécurité  à Nouakchott. La presse n’arrête de la dénoncer. Une  marche de l’opposition lui a été consacrée. Tous s’inquiètent de la peur qui s’est emparée de la ville : viols, vols, assassinats sont le lot quotidien  des banlieues, alors que les forces de sécurité écument la ville. Des commissariats de police  poussent comme des champignons. Et le FNDU de s’alarmer de ce que les forces de sécurité sont détournées  ou se sont détournées de leur mission principale.

Autre  point faible : l’expropriation des terres dans la vallée et l’arrestation des propriétaires opposées à leur paupérisation. Les affaires de Donaye  et de Dar El Barka ont trop longtemps défrayé la chronique, avec l’arrestation  et  la détention des  paysans  à Aleg.

Le pouvoir  de Mohamed Ould Abdel Aziz peut, tout de même, se targuer  d’avoir édifié de  nombreuses infrastructures (aéroport, routes, universités, écoles…).  « Une première dans le pays », reconnaissent certains responsables de l’opposition. Mais il peine, manifestement, à éradiquer  la pauvreté, malgré d’importants investissements dans l’agriculture, la lutte contre le chômage des jeunes diplômés,  l’insécurité et… la gabegie qui n’aurait fait, à en croire le FNDU, que changer de camp.  

Note d’espoir, la Mauritanie a vu l’élection de plusieurs de ses cadres à la tête  ou au sein de grandes organisations internationales, comme la Banque Arabe de Développement  Economique en Afrique (BADEA) ou  l’ONU. Nos compatriotes Sidi ould Tah et El Ghasem Wane  pilotent, respectivement,  la première et  le  département stratégique du maintien de la paix  et de la  sécurité de la seconde. Wane s’occupait, depuis quelques années, de ces mêmes questions à l’Union africaine. On peut aussi  se réjouir  de la fondation et l’installation de quelques banques  à Nouakchott, ce qui permet d’élargir l’offre de service pour une certaine catégorie de clients. Mais ce n’est pas le mauritanien lambda : plus des trois quarts de la population en reste, eux, à se serrer la ceinture…

Dalay Lam