Trois questions au Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah: ‘’Les festivités d’une journée nationale comme l’indépendance ne peuvent pas être réduites à un match de football’’

17 December, 2015 - 10:50

Le Calame: Lors de la célébration du 55ème anniversaire de l’indépendance, le président de la République a arrêté le match de la supercoupe à la 63ème minute. La nouvelle a fait le tour du monde. Que vous inspire ce que d’aucuns ont assimilé à une faute grave en tant que président du Comité olympique mauritanien ?

 

Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah : Jamais un événement sportif ou non n’aura été aussi médiatisé que ce match de football dont la fin a été sifflée avant son terme : 63 mn au lieu de 90. On a fait beaucoup de tapages pour rien. L’argument selon  lequel, le président aurait arrêté le match à cause de son déroulement ennuyeux, n’est pas crédible. Par contre, celui selon lequel, le match commencé en retard avait largement empiété sur le programme des visites du chef de l’Etat, le jour de la fête nationale, l’est beaucoup plus. S’il y a quelqu’un à incriminer pour ne pas avoir été à la hauteur, quant à la gestion de l’évènement, c’est bien la ministre des Sports, Madame Coumba Bâ, qui aurait pu rester pour suivre le match quitte à ce que le trophée ne soit pas remis par le président lui-même. Le président était déjà là, c’est suffisant. Avec tout le respect que nous devons au sport roi, le football, les festivités d’une journée nationale ne peuvent pas être réduites à un match de football.

 

 

 

Lors d’une conférence de presse organisée le jour de l’indépendance et sur TV5, Ould Abdel Aziz a déclaré que l’esclavage n’existe plus et que le passif humanitaire est réglé. Partagez-vous cet avis ?

 

 

L’esclavage existait en Mauritanie comme il a existé tout au long de l’histoire de l’humanité. Chez nous, les deux communautés avaient pratiqué l’esclavage ; on peut tout au plus parler de séquelles de l’esclavage. Il est à noter que les maures noirs, les haratines, de culture arabe, ont pratiqué, eux aussi, l’esclavage. L’esclavage que pratiquaient les populations noires du Sud, était plus féroce : les esclaves n’appellent pas à la prière; il est interdit de les enterrer dans le même cimetière que les non esclaves. Dans certaines régions du Sud de la Mauritanie, il y a des clubs de football réservés aux descendants d’anciens esclaves et les clubs de ceux qui n’ont pas une ascendance d’esclaves. Les militants antiesclavagistes n’évoquent jamais l’esclavage quand il est le fait des mauritaniens noirs du Sud ou des haratines enrichis. C’est à croire qu’il est pratiqué par les seuls maures blancs. Pour certains, la lutte contre l’esclavage en Mauritanie et la qualité de descendants d’anciens esclaves sont devenues une carte de visite, un slogan galvaudé à l’étranger, surtout pour dénigrer le pays lui-même et non ses dirigeants. D’autres en tirent certains avantages : un droit d’asile, une ‘’green card’’ qui permet à son détenteur de bénéficier de tous les droits  aux Etats unis sauf celui de voter; d’autres en tirent une notoriété qu’ils n’ont pas pu avoir par d’autres moyens en prônant la ségrégation positive : les projets, les nominations et d’autres privilèges doivent être réservés en priorité aux descendants d’esclaves et les 99% des maures qui n’ont jamais pratiqué l’esclavage, quel est leur crime? L’esclavage a précédé l’Etat moderne, qui est tenu de dépenser son budget de façon égalitaire entre les citoyens. S’il y a des revenus de redistributions (à des populations fragilisées), ils doivent revenir à tous les citoyens qui remplissent les conditions indépendamment de leur appartenance ethnique. S’il y a des descendants d’anciens esclaves, c’est qu’il y a également des descendants d’anciens maîtres ; que les premiers s’adressent aux seconds s’ils ont des revendications à faire valoir. Est-il utile de signaler qu’il n’existe pas de par le monde des réparations pour cause d’esclavage ; d’ailleurs les chantres de la négritude, Senghor, Aimé Césaire et autres, trouvent ignoble et indigne d’acquérir des revenus parce qu’on est descendant d’anciens esclaves.

Comme l’esclavage, le passif humanitaire est une plaie qui ne parvient malheureusement pas à cicatriser. On ne saurait parler de passif humanitaire sans se référer aux tristes événements de 89 pour les condamner d’abord et rappeler ensuite que ce passif humanitaire a été réglé entre les autorités et les ayants droit eux-mêmes. Plus qu’une épée de Damoclès, le passif humanitaire, comme l’esclavage d’ailleurs, a subi une socialisation politique pour devenir, à son tour, un instrument de lutte politique plus qu’une question humanitaire et juridique.

Pourtant, une autre plaie bien plus profonde, occasionnée cette fois, par les tristes événements qui ont eu lieu entre notre pays et le Sénégal, a pu cicatriser, malgré un lourd passif humanitaire et matériel, subi par notre pays : de nombreux mauritaniens hommes et femmes ont été brûlés vifs dans des fours, d’autres l’ont été à ciel ouvert et 500.000 mauritaniens, dont la majeure partie est de nationalité sénégalaise, ont été spoliés de tous leurs biens et expulsés du Sénégal. Il est vrai que la rapidité de la cicatrisation de la plaie profonde laissée par ces tristes événements, était à la mesure des profondes relations qui unissaient les deux peuples. On a vite oublié.  Pourquoi, ne peut-il pas en être de même entre les mauritaniens que lient des relations ô combien plus profondes! Pour clore ce dossier, il n’existe pas d’autres solutions que l’indemnisation des ayants droit des victimes. Tout au plus, on peut contester l’ampleur d’une indemnisation.

 

Un débat sur l’appellation du nouvel aéroport de Nouakchott fait rage depuis quelques mois. Marième Daddah a carrément proposé qu’on lui donne le nom du président fondateur. Quelle est votre opinion sur ce débat ?

 

  La pénétration coloniale française dans notre pays a rencontré une forte résistance ; d’abord au Sud, le long de la vallée, El Hadji Omar et son fils Ahmedou ; au centre et dans le Nord. En 1932, les mauritaniens opposent une forte résistance à la bataille d’Oum Tounsi, à 75 km au Nord de Nouakchott. Un détachement français commandé par le lieutenant Mac Mahon (qui trouva la mort avec d’autres français, des tirailleurs sénégalais et des goumiers mauritaniens) comprenait des tirailleurs sénégalais et des goumiers mauritaniens du Trarza, les partisans, comme on les appelait aussi. Les autorités mauritaniennes ont donné le nom d’Oum Tounsi au nouvel aéroport. C’était l’occasion pour un colonel de la garde à la retraite de dénoncer cette appellation, qualifiant les résistants mauritaniens de coupeurs de routes et de bandits de grands chemins,  allant même tout au long de ses tribulations jusqu’à se demander, récemment, si le 28 novembre, journée de notre fête nationale, mériterait de porter ce nom?

Marième Daddah s’élève à son tour, elle aussi, contre cette appellation dans une lettre ouverte adressée au président de la République, diffusée quelques jours avant la commémoration du 55ème anniversaire de l’indépendance. «…Il se trouve, en outre, que le nom d’Oum Tounsi rappelle une bataille qui, en 1932, a opposé dans le cadre du processus de pacification, alors en cours, les mauritaniens du groupement nomade du Trarza, alliés à la France, à d’autres mauritaniens hostiles à cette dernière.» Malheureusement, Marième Daddah, au nom de la Fondation Mokhtar Ould Daddah, a raté le coche, ayant trop simplifié la bataille d’Oum Tounsi, déviée de son sens et vidée de son contenu, réduite à une bataille entre mauritaniens alliés à la France et mauritaniens antifrançais. S’il en était ainsi, l’appellation ‘’Oum Tounsi’’ du nouvel aéroport n’aurait pas de sens, ce serait même ridicule. Marième Daddah va encore plus loin, quand elle écrit : «… Cette bataille symbolise donc à nos yeux la division, alors qu’aujourd’hui, la Mauritanie a, plus que jamais, besoin d’unité.» Il faut croire que les mauritaniens d’aujourd’hui sont divisés, opposés comme en 1932 à Oum Tounsi, au sens de Marième Daddah, entre «mauritaniens alliés à la France, à d’autres mauritaniens hostiles à cette dernière.» Il est clair que cette argumentation ne traduit pas, à n’en pas douter, la pensée du président Mokhtar Ould Daddah, ni non plus, l’idée que les mauritaniens se font du père fondateur, un patriote, un nationaliste dont le nom mérite d’être porté par plus qu’un aéroport.

Le choix des autorités ne s’étant pas porté tout de suite sur le nom du président Mokhtar, l’appellation Oum Tounsi ayant été par ailleurs dénoncée par le fameux colonel à la retraite et les résistants qualifiés par lui de coupeurs de routes et de bandits de grands chemins, nous pensons que la démarche de Marième Daddah était, à ce stade des démarches et des débats, inopportune, nous dirions même maladroite, s’inscrivant dans la ligne du colonel de la garde retraité.

 

Propos recueillis par AOC