La signification et la portée de l’indépendance dans les années 1960 et 1970 (suite et fin) /Par Mohamed Mahmoud MOHAMED SALAH*

17 December, 2015 - 10:45

Dans la première partie de cet article (publié dans Le Calame No1005 du mercredi 09 décembre 2015 ), le professeur Mohamed  Mahmoud MOHAMED SALAH est d’abord revenu sur la problématique de l’indépendance, en prenant soin de préciser qu’au moment où ‘’notre pays célèbre le 55ème anniversaire de la proclamation de son indépendance, il n’est pas sans intérêt de revenir sur la signification et la portée que cet évènement a revêtues au cours des deux premières décennies d’existence de l’Etat mauritanien’’. Il a par la suite évoqué les repères pour comprendre le contexte qui prévalait au moment de l’indépendance ainsi que les illustrations de la  volonté d’indépendance. Dans cette deuxième et dernière partie, le professeur traite de la politique étrangère et de l’indépendance économique et culturelle.

 

 

 

 

 

4.1. La politique étrangère

 

La politique étrangère fut très rapidement l’illustration d’une volonté d’indépendance qui s’est réalisée par ailleurs avec tact et en mettant le bon droit de son côté.

 

Ainsi, dés 1961, la Mauritanie marquera son indépendance à l’égard de la France à l’occasion de la crise de Bizerte qui opposa cette dernière à la Tunisie. Prenant fait et cause pour sa sœur arabe, le Président Moctar Ould Daddah déclare, le 22 Juillet 1961, « A partir du moment où le gouvernement tunisien demande l’évacuation de cette partie de son territoire par les forces armées françaises, toute tentative contraire et, à plus forte raison toute résistance armée est contraire au droit des gens (…) Les évènements de Bizerte prennent ainsi l’aspect d’une guerre coloniale, ce qui rend indéfendable l’attitude française »(1). Cette prise de position eut pour conséquence immédiate de retarder légèrement la ratification des accords de coopération précités.

 

La volonté d’indépendance se manifestera à l’occasion d’autres prises de position comme le retrait, en 1965, de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM). C’est dans le même esprit qu’il faut replacer le soutien sans faille affiché rapidement en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Malgré le refus initial du FLN de reconnaître la R.I.M, la Mauritanie indépendante plaidera avec force la cause algérienne, appuyant « officiellement l’admission du FLN à la Conférence panafricaine de Lagos préparatoire à la création de l’OUA »(2).

 

Dans la même optique, elle refusera, malgré la pression de la France, d’adhérer au projet français de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), au motif que « le Sahara algérien fait partie intégrante de l’Algérie »(3). En retour, l’Algérie indépendante reconnaîtra officiellement la Mauritanie et accréditera rapidement son ambassadeur, facilitant par cette attitude l’évolution de la position d’autres pays arabes.

 

A vrai dire, le virage arabe a été amorcé avant l’échange d’ambassadeurs entre les deux pays. La Mauritanie se rapprochera d’abord de l’Egypte et le Président mauritanien est reçu par le Président Nasser à deux reprises lors de la Conférence d’Addis Abeba de Mai 1963. Cette date marque le début du rapprochement entre la Mauritanie et l’aile progressiste du monde arabe. La coopération entre la Mauritanie et l’Egypte embrassera divers domaines dont celui de la culture, ce qui permettra à plusieurs élèves des Mahadras de bénéficier de l’enseignement de l’Institut égyptien et de préparer leur baccalauréat.

 

L’invitation adressée par le Roi du Maroc au Président mauritanien, en 1969, à l’occasion du Sommet islamique de Rabat a permis de briser le mur psychologique, né des revendications de l’Istiqlal, et d’inaugurer une ère de rapprochement entre les deux pays qui n’est pas étrangère au renforcement des liens entre la Mauritanie et les pays arabes dits modérés. S’en est suivi un renouveau de la coopération économique, financière et culturelle avec l’ensemble du monde arabe avec les avantages qu’elle procure au jeune Etat en termes de liberté d’action vis-à-vis des partenaires traditionnels. A titre d’exemple, c’est grâce au soutien apporté, en 1972, par l’Algérie pour la fabrication de l’Ouguiya et aux assurances de fonds libyen et koweïtien, que la Mauritanie a pu se doter d’une monnaie nationale.

 

C’est grâce au soutien koweïtien qu’elle a pu mener à bien la nationalisation de la MIFERMA et indemniser en conformité avec les exigences du droit international les actionnaires de celle-ci. C’est également grâce à ce soutien et à celui du Maroc, en 1975, que la situation financière de la SOMIMA a été assainie. On ne saurait évidemment oublier le soutien de l'Arabie Saoudite, ni celui de l'Irak ni celui des Emirats Arabes-Unis,  à divers projets cruciaux de développement, à cette époque.

 

De façon générale, les années 1970 verront un afflux sans précédent de capitaux arabe en Mauritanie.

 

Mais comme cela a souvent été souligné, l’action diplomatique de la Mauritanie dans les années 1960 et 1970, si elle a pu illustrer  « son profond attachement à la solidarité islamique et arabe qui s’est manifestée avec éclat lors des deux conflits israélo-arabes » ne « s’et pas développée au détriment de ses liens avec les autres organisations régionales (ou sous-régionales) africaines »(4).

 

L’engagement de la Mauritanie en faveur de l’OMVS en est une parfaite illustration.

 

Par ailleurs, sur le plan africain, la Mauritanie fut l’un des rares pays à avoir rompu, en 1965, ses relations avec la Grande Bretagne, en application de la décision prise par l’OUA pour protester contre la molle réaction de Londres à la déclaration unilatérale d’indépendance de la Rhodésie.

 

En fait, le combat pour l’affirmation de la personnalité extérieure de la Mauritanie fut mené sur le triple plan du non alignement, de l’ancrage dans le monde arabe et du renforcement de l’unité africaine. Ce combat fut plutôt payant quand on mesure le chemin parcouru depuis le rejet de la première  candidature de la Mauritanie aux Nations-Unies.

 

Tout en veillant à ne pas se couper de ceux qui l’ont porté aux « fronts baptismaux », la Mauritanie, orientant sa diplomatie vers une « direction pro-arabe, panafricaine et tiers-mondiste »(5), est devenue une décennie après, un pays qui pouvait se targuer d’avoir des relations amicales avec tous les Etats du monde, sauf Israël, le Portugal et l’Afrique du Sud (du temps de l’apartheid), et d’avoir diversifié se relations de coopération économique, financière et culturelle (6). C’est dans ce cadre qu’il faut replacer l’effort particulier fait en direction de la Chine populaire dont la Mauritanie a facilité l’entrée en Afrique.

 

Inaugurée dès 1965, la coopération sino-mauritanienne s’est développée très rapidement, si bien qu’au début des années 1970, la Chine venait en seconde position après les pays arabes, mais devant la France, pour ce qui est du volume des capitaux investis dans notre pays.

 

Loin de l’image de l’Etat croupion, création artificielle de l’ancienne puissance coloniale qui aurait continué d’en orienter les décisions stratégiques, la diplomatie mauritanienne des années 1960 et 1970, a su au contraire illustrer la volonté d’indépendance d’un jeune Etat qui, tout en étant pauvre et vulnérable, s’est imposé sans éclat excessif comme un Etat crédible, revendiquant l’épanouissement de sa personnalité extérieure et la maîtrise de son destin national.

 

4.2. L’indépendance économique et culturelle

 

Sur le plan interne, la marche vers la récupération effective de tous les attributs de la souveraineté, qui a pu paraître  plus lente et plus timide aux yeux de certains, n’en a pas été moins réelle.

 

Le caractère progressif de la conquête de la souveraineté s’explique, une fois encore, par les conditions initiales, notamment l’impréparation de la Mauritanie à affronter sa transition vers l’indépendance, laquelle fut certes obtenue « sans coup férir » mais en état de totale précarité.

 

Le 28 Novembre, l’indépendance s’est  opérée sans rupture. Illustration, entre autres, de la continuité avec le statut antérieur, le droit applicable à la Mauritanie en tant que colonie de l’AOF demeurait en vigueur dans le nouvel Etat, jusqu’à sa modification dans les mêmes formes (Article 53 de la Constitution du 22 Mars 1959). L’ancienne métropole livrait en quelque sorte au pays une sorte d’appareil d’Etat clé-en-main, avec son organisation administrative, son droit, ses écoles, ses conseillers et assistants techniques présents dans les secteurs de souveraineté (administration, armée, justice), dans les services publics de l’enseignement (école, collèges, lycées) et de la santé. Par ailleurs, la France contribuait au budget de la Mauritanie par la fameuse subvention d’équilibre. C’est également elle qui contrôlait directement ou indirectement les secteurs clé de l’économie embryonnaire.

 

La dépendance était ainsi quasi-totale, au triple plan politique, culturel et économique. Les Accords de coopération de 1961, la consacraient dans une large mesure.

 

Pourtant, là encore, il serait injuste de ne pas relever les efforts entrepris pour desserrer progressivement l’étau et créer les conditions d’un exercice effectif de sa souveraineté. Dès 1963, la Mauritanie renonçait à la subvention d’équilibre versée par la France. Elle encourage rapidement la création d’entreprises privées mauritaniennes. Ainsi, dans le secteur de la construction, les premières entreprises mauritaniennes font leur apparition, en 1963, raflant les marchés publics. Il en a été de même dans le domaine du transport et du commerce où le monopole de Lacombe Frères est rapidement brisé (7). Petit à petit, l’espace économique laissé au secteur privé sera investi par le capital national naissant.

 

Sur le plan culturel, les Accords 1961 consacraient la prééminence du Français, érigé en langue officielle, l’arabe étant la langue nationale. En 1966, une première réforme mal reçue par une partie de la communauté noire fut à l’origine des évènements de 1966. En 1968, le troisième Congrès du Parti du Peuple Mauritanien déclare l’arabe, langue officielle au même titre que le français. Mais la réforme la plus ambitieuse en la matière est celle introduite en 1972 qui a instauré un tronc commun en arabe dès les premières années de l’enseignement primaire. Elle s’inscrit dans l’objectif plus vaste de « repersonnalisation » de l’homme mauritanien visant à imposer « la pleine consécration de l’indépendance nationale » sur tous les plans (8) même s'il faut reconnaitre que l'arabisation esquissée  n'a pas vraiment pénétré  de l'administration . Dans le même temps, le pouvoir mauritanien demandait, dès 1972, une révision de tous les accords et du Traité de coopération signés, en 1961, avec la France. De nouveaux accords sont conclus en 1973. Ils sont plus respectueux de la souveraineté du pays.

 

A la même période, le pouvoir engage des réformes visant à recouvrer sa souveraineté économique :

 

  • création d’une monnaie nationale (l’ouguiya)
  • nationalisation de la MIFERMA
  • création de la SMAR qui consacre le monopole de l’Etat sur les assurances
  • participation accrue de l’Etat dans le secteur bancaire, etc.

 

Ces réformes ont été en phase avec les luttes et revendications de la jeunesse et des mouvements sociaux qui ont connu leur apogée en 1975. L’époque était encore celle de la croyance dans les grandes idéologies qui avaient, toutes, quelle que soit leur nature, ceci de positif qu’elles étaient porteuses de promesses d’une libération collective, d’un destin commun, ce qui explique que la contestation du pouvoir, à l’époque, s’était, elle aussi, inscrite dans l’optique d’une institutionnalisation de l’Etat et d’un renforcement de son indépendance.

 

Interpellé pour consolider l’indépendance économique ou l’indépendance culturelle du pays et non pour accroître le quota de telle ou telle tribu ou telle région,  l’Etat était appelé à intégrer des préoccupations nationales, au sens fort du terme.

 

En somme, la contestation du pouvoir dans les années 1970 a renforcé l’institutionnalisation de l’Etat, en lui donnant une dimension plus concrète.

 

Il faut dire que dans la pensée dominante, à l’époque, l’Etat était supposé être l’agent central voire exclusif du processus de développement. Toutes les idéologies en vogue (du nationalisme au marxisme) étaient sous-tendues par l’idée d’un Etat fort, dépassant les divisions issues de l’organisation sociale traditionnelle et impulsant les actions nécessaires pour accélérer le développement économique. En écho à cette vision des choses, les économistes du développement enseignaient que dans la mesure où le marché, dans les pays en développement, est « rudimentaire et imparfait et où l’économie nationale intégrée dans un processus de domination des anciennes métropoles ne peut s’ouvrir sans verrous, l’intervention de l’Etat est nécessaire pour construire un système économique moderne » (Ph. Hugon).

 

On comprend alors l’accent mis à l’époque sur les réformes visant à étendre l’emprise de l’Etat sur le champ économique.

 

La Mauritanie a ainsi milité activement au sein du Groupe des 77 qui a transformé l’Assemblée générale des Nations-Unies en tribune pour l’avènement d’un Nouvel ordre économique international (lequel fut adopté par une résolution du 1er Mai 1974), fondé « sur l’équité et l’égalité souveraine, l’intérêt commun et la coopération de tous les Etats quel que soit leur système économique et social », pour reprendre un passage du Préambule de la Charte des droits et des devoirs économiques des Etats.

 

Les Résolutions de cette instance, issues du thème du Nouvel ordre économique international, insistent, toutes, sur l’idée que la souveraineté, prolongement du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ne saurait se limiter à la reconnaissance formelle de l’indépendance d’un Etat. Elle implique également la liberté de choisir son système économique et social, sans ingérence, pression ou menace extérieure et d’opérer toutes les réformes qui découlent de ce choix.

 

Au total, la Mauritanie a su utiliser  les opportunités qui s’offraient à elle, y compris celles liées au contexte de l'ascension du Nouvel ordre économique international, pour créer progressivement les conditions d’une indépendance réelle et non fictive.

 

S’agissant des rapports avec l’ancienne métropole, la grande habileté du Président Moctar Ould Daddah fut « de tirer le maximum d’avantages de la coopération avec la France, mais en se démarquant suffisamment d’elle pour ne pas être son otage »(9).

 

Le chercheur F. De Chassey, grand connaisseur de la Mauritanie (10) et peu suspect de complaisance à l’égard du Président Moctar Ould Daddah (en raison de son ancrage marxiste), concluait sa contribution à l’ouvrage collectif sur la Mauritanie, édité en 1979 par le CNRS, en ces termes : « … au sortir de l’emprise coloniale, en 1960, l’entité mauritanienne semblait encore composée de sous-ensembles largement hétérogènes par leurs appartenances historiques et ethniques et leurs économies traditionnelles fermées ou orientées vers les pays voisins ; dirigées par un pouvoir fragile et menacé de l’intérieur et de l’extérieur, très dépendant de son ancien tuteur.

A la fin de l’année 1975, la même entité paraissait méconnaissable : société de classes, structurées par une économie marchande et urbaine complètement recentrée, sous le même pouvoir étonnement stable et plus indépendant, et marqué, après quinze ans d’histoire conflictuelle mais commune, d’un incontestable caractère national »(11).

 

Tel était, schématiquement, l’état de la Mauritanie à la fin de l’année 1975. Le pays avait réellement conquis son indépendance.

 

Il est vrai qu’à la même période, le pouvoir s’est engagé aux côtés du Maroc dans ce qu’il considérait comme une entreprise de réunification nationale, dans la suite de ses revendications passées sur le Sahara Occidental. Cette guerre qui s’appuyait sur des justifications mi-juridiques (l’avis Consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice, en 1975, tout en réaffirmant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, reconnaît l’existence de liens historiques entre les tribus du Sahara et « l’Ensemble Mauritanien », consacrant, au passage, la spécificité de la configuration politique de la Mauritanie précoloniale : pas d’Etat mauritanien précolonial mais un « Ensemble Mauritanien »), mi-politique (Il fallait repousser et stabiliser les frontières avec le Maroc…) n’a pas, au-delà du discours officiel, fait consensus au sein de l’élite politique et, en particulier, la jeunesse, majoritairement plus sensible au  droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Par ailleurs, absorbant progressivement l’essentiel des ressources du pays et concentrant sur la Mauritanie, dont le territoire était difficilement contrôlable, l’essentiel des attaques du Polisario (ce qui avait conduit à solliciter de nouveau, l’aide de la France), elle avait créé un contexte d’insécurité voire d’incertitude.

 

Chez une partie de l’élite, civile ou militaire, le sentiment qui prévalait, en 1978, était que cette guerre n’était pas gagnable, à court et à moyen terme et que le pays s’enfonçait dans une impasse. Aussi, la nécessité d’en sortir a-t-elle constitué la principale justification du coup d’Etat du 10 Juillet, même si dans la foulée, d’autres raisons ont été invoquées par les auteurs de ce putsch.

 

Il n’entre pas ici dans mon propos d’apprécier l’évolution dont ce coup d’Etat marque le point de départ, évolution qui, elle aussi, doit être évaluée avec toute la distance et le recul nécessaires.

 

5. Conclusion

 

L’objet de cet article était uniquement d’évaluer le parcours de l’Etat post colonial au cours des deux premières décennies de son existence, avec en toile de fond, une interrogation précise : cet Etat a-t-il coupé le cordon ombilical qui le reliait à l’ancienne puissance coloniale ? A-t-il conquis son indépendance réelle, étant entendu qu’être indépendant vis-à-vis d’un pays ne veut pas dire : être son ennemi (l’inimitié ne pouvant être un objectif en soi, en particulier pour un pays comme le nôtre), mais seulement, être maître de ses décisions ?

 

Lorsqu’on compare l’état de la Mauritanie, le 28 Novembre 1960, pays dont l’existence est contestée et dont la viabilité est incertaine, dépendant, à tous points de vue, de l’ancienne métropole, à sa situation dans le milieu des années 1970, force est de reconnaître qu’en quelques années, elle a parcouru un chemin immense sur la voie de l’indépendance effective et ce, sans s’aliéner la sympathie de la puissance qui a parrainé son émergence à la vie internationale et accompagné ses premiers pas pour imposer son existence.

 

Dans les années 1970, le cadre étatique dont la Mauritanie fut doté était exclusivement aux mains des Mauritaniens, qu’il s’agisse des aspects qui se rapportent aux fonctions régaliennes de l’Etat ou de ceux qui concernent le système éducatif ou, enfin, de ceux qui touchent aux leviers de l’économie nationale. Les instruments essentiels qui, dans la pensée de l’époque, permettaient à un Etat de décider par lui-même de ses choix conformément à ses intérêts stratégiques étaient  en place. Nous utilisons l'expression de "libre  choix par  l’Etat"  et non par le peuple car le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était encore limité, dans la pensée dominante, à son aspect externe. Et sur le plan extérieur, le peuple est représenté par l’Etat. Ce n’est que vers le début des années 1990, avec la chute de Mur de Berlin que la dimension  interne du principe fut redécouverte, dans nos pays, sous l’aspect d’un droit à la démocratie.

 

Bref, dans les années 1960 et 1970, on pensait un peu partout dans les pays du tiers-monde que l’urgence était d’asseoir l’Etat et de consolider son indépendance politique, économique et culturelle. La démocratie viendrait après. La Mauritanie s’est pleinement inscrite dans ce courant de pensée.

 

Bien entendu, d’autres interrogations toutes aussi légitimes que celle de la conquête de l’indépendance méritent d’être posées. Et  d’abord, celles des résultats de cette indépendance. Celle-ci  a-t-elle débouché sur des institutions acceptées par tous ? Y a-t-il eu une réelle intégration nationale et, partant, l’émergence d’une vraie communauté nationale, conformément à la promesse de l’Etat-Nation dans la version que l’on en a importée, c’est-à-dire une communauté de citoyens égaux en droits et en obligations, quelle que soit leur origine sociale ou ethnique ? L’Etat a-t-il amélioré significativement le sort des populations ? A-t-il au moins satisfait leurs besoins élémentaires et préparé l’avenir pour la satisfaction des besoins secondaires ? A-t-il modifié la nature des rapports sociaux qui prévalaient à l’intérieur de la société avant l’indépendance et notamment la structure hiérarchisée de la société et son caractère segmentaire ? En somme, nous sommes-nous prémunis contre les risques de désintégration politique dont l’actualité montre qu’ils peuvent surgir même là où on les pensait surmontés ?

 

On ne peut pas répondre à  ces questions par un oui. La plupart des contradictions structurelles n’ont évidemment pas été résolues durant cette période. Mais est-il raisonnable d’attendre du pouvoir mauritanien naissant qu’il règle dans la foulée tous les problèmes d’un jeune Etat ? Contrairement à une idée simpliste, fort répandue, généralement traduite par une formule tout aussi simpliste, personne ne construit un pays ex nihilo, car un pays n’est pas un bâtiment ou une usine clé-en-main. Sa construction est un processus continu avec des défis de nature et d’intensité variables selon les époques. Il serait plus juste de dire que l’on contribue au développement de ce processus continu.

 

Le degré et la qualité de la contribution de chaque dirigeant  à ce processus  sont fonction de l’adéquation des réponses qu’il apporte aux défis de son époque.

 

Dans les années 1960 et 1970, les principaux défis se rapportaient à la question de l’existence (et son corollaire la reconnaissance) et à celle des conditions d’une indépendance plus effective. Ils ont été adéquatement relevés par le Président Moctar Ould Daddah.

 

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Notes

 

1- Déclaration rapportée par T. Constantin et C. Coulon, Les relations internationales de la Mauritanie, in Introduction à la Mauritanie, p.p. 323-360, s. p. 329.

2- J-C. Santucci, La Mauritanie dans les relations inter-maghrébines, in Introduction à la Mauritanie, p. 361-379, s. p. 363.

3- ibid.

4- J-C. Sanctucci, étude précitée in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, s. p. 365.

5- ibid.

6- F. Constantin et C. Coulon, étude précitée in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, s. p. 336-340.

7- F. Vergara, L’économie de la Mauritanie et son développement in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, op.cit., p. 177-234, s. p. 219.

8- La question de la langue arabe constitue un enjeu essentiel dans la conquête de l’indépendance culturelle, en particulier pour l’ensemble maure car comme le souligne bien F. De Chassey (V. Contribution in Introduction à la Mauritanie, s. p. 249), « les Maures se sont trouvés, avec la colonisation, englobés pendant 40 ans, dans un ensemble géopolitique à majorité sédentaire et négro-africain… relativement coupés du Maghreb et du monde arabe auxquels toutes leurs traditions historiques et sociales les rattachent ».

9- F. Constantin et C. Coulon, étude précitée in Introduction à la Mauritanie, s. p. 330.

10- V. F. De Chassey, Contribution à une sociologie du développement : l’exemple de la République Islamique de Mauritanie, Thèse Université Paris II, 1972 ; Mauritanie, 1900-1975, Anthropos, 1978.

11- F. De Chassey, étude précitée in Introduction à la Mauritanie, ed. CNRS, 1979, s. p. 276-277.

 

 

Professeur des facultés de droit,

Avocat au Barreau de Nouakchott