Nana Mint Cheikhna ancienne député du RFD, dans une interview exclusive: ‘’Le pouvoir a jusqu’à présent renié tous ses engagements et le FNDU est fondé à requérir des signaux forts pouvant constituer des préalables aptes à créer la confiance’’

3 December, 2015 - 02:43

Le Calame : A en croire certaines sources proches du FNDU, votre parti, le
RFD, qui les a  d'ailleurs démenties, 
 s’oppose à  une rencontre entre le  président du  Forum, Ould Bouhoubeyni et  le ministre secrétaire général de la présidence Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Peut-on connaître les raisons? 

 

 Nana Mint Cheikhna : Pour une meilleure compréhension du contexte,  je souhaiterais d’abord  rappeler de manière succincte à vos lecteurs  certaines étapes importantes  par lesquelles  est passée l’opposition dans ses multiples tentatives de dialogue avec ce pouvoir.

 1/ A la suite du coup d’Etat de  2008, après moult pérégrinations, un accord est signé à Dakar en présence de l’ensemble de la communauté internationale (Union africaine, conférence Islamique, Nations Unies,  Union Européenne, la Chine, les Etas Unis, la France).

Ce texte à portée internationale  fut immédiatement  enfreint par le pouvoir qui, à plusieurs reprises par la voix de son chef et celle de ses proches collaborateurs,  demanda sur le ton du mépris le plus total  à ceux qui s’en prévalent  « d’aller se faire voir à Dakar ». Depuis lors, l’opposition n’a cessé  d’exiger le dialogue pourtant  prévu expressément au point  IV de cet accord.

 2/ En 2011, un pan important  de cette même opposition, préjugeant de la bonne foi d’Ould Abdelaziz  qui  appelait au dialogue, s’est engagé sans préalable dans un processus  au terme duquel  un accord est conclu.  Depuis 2012, cette partie de l’opposition  dénonce la non application par ce  pouvoir  des termes de l’accord.  

 3/ En 2013, plusieurs  tentatives de dialogue furent entreprises par l’opposition avec le ministre chargé du dossier  et le président de l’UPR  qui se sont soldées par un échec  dû au refus systématique de ces derniers de prendre le moindre engagement en rapport avec les points soulevés par l’opposition ou de  permettre la rédaction du moindre  écrit ou procès-verbal de réunion. Ce ministre  est celui-là même  qui, soit dit en passant,  avait convoqué  lors de l’élection présidentielle de 2009,  le collège électoral  outrepassant sans sourciller les pouvoirs du conseil  des ministres.

 D’ailleurs l’une de ces tentatives de dialogue  fut interrompue parce que les représentants du pouvoir limitèrent d’emblée leur disponibilité à discuter à une durée maximum  de 72 heures.

 C’est vous dire, d’une part, le mépris affiché par ce pouvoir pour  une opposition qui regroupe un grand nombre de partis, d’organisations de la société civile, de syndicats, de personnalités politiques indépendantes et le bon droit  dans lequel se trouve cette dernière lorsqu’elle avait  décidé d’adresser une lettre au ministre en charge de ce dossier fixant les mesures préalables susceptibles d’instaurer la confiance nécessaire à un dialogue sincère, d’autre part. Cette même lettre, transmise par d’éminents membres du FNDU, propose aussi  notre vision  du cadre du dialogue et les points importants devant faire l’objet d’échange et de discussion.

Devant le mutisme de l’autre partie laissant cette correspondance sans suite à ce jour, dérogeant de cette manière à toutes les règles de bienséance et de respect de l’autre, le FNDU a décidé d’attendre une réponse écrite avant une éventuelle rencontre avec les représentants du pouvoir. Nous avons d’ailleurs à plusieurs reprises affirmé publiquement cette décision.

Il convient ici de rappeler qu’à ce jour  cette lettre n’a reçu aucune réponse- ne serait-ce qu’un accusé de réception-, attitude qui incarne si besoin en était le peu de cas que ce régime fait de l’opposition dans un système qui se pique de démocratie.

 

Tout ceci, pour vous dire,   que ce  pouvoir a jusqu’à présent renié sans hésiter tous les engagements pris y compris ceux qu’il a signés solennellement et  que le FNDU est fondé à requérir  des signaux forts pouvant constituer des préalables aptes à créer la confiance.

Quant à la position du RFD, elle découle  d’un profond attachement  au FNDU et à ses décisions prises, comme il se doit, conformément à ses textes,  à l’unanimité.

 

Cette rencontre devrait permettre au forum de connaître les nouvelles dispositions du pouvoir  à aller  à "un dialogue  inclusif, franc et sincère" avec le pouvoir. Est-ce à dire  que le RFD continue à douter de la "sincérité"" du pouvoir  à évoluer  dans ce sens ?

 Je vous renvoie à la réponse précédente. Le pouvoir a depuis toujours affirmé sa disponibilité à un « dialogue franc et sincère » mais au niveau de la concrétisation de cette volonté, le FNDU s’est toujours vu confronté à un mur.

On dit que l’histoire s’agace du deuil des espoirs,  je crois que les peuples aussi  s’en agacent et il me paraît même dangereux  que les politiques continuent à envoyer à la  manière de Sisyphe et son rocher  de faux signaux faisant miroiter chaque fois un dialogue qui n’en est pas un.

 

Pourquoi le RFD  ne voudrait pas de cette rencontre?

Le RFD est attaché au dialogue et ses militants sont conscients  que la Mauritanie a plus que jamais besoin de dialogue dans un contexte de crise économique, financière, sociale, sécuritaire et que les questions nationales ne peuvent recevoir de réponses que celles qui découlent d’un dialogue sincère mais faut-il encore que ceux qui détiennent le pouvoir de décision puissent se départir de la manie du  jeu  stérile qui vise à continuer  à  faire semblant à tous les niveaux, à jouer à cache-cache et croire ainsi venir à bout des problèmes.

A votre avis, si la volonté de dialogue est sincère, pourquoi le pouvoir refuse-t-il  obstinément de répondre à la lettre du FNDU ?

 

-Certaines sources affirment qu’une  crise  est née au sein  du RFD à cause justement  de cette éventuelle rencontre entre le pouvoir et l’opposition. Vous confirmez ?

-Au sein du RFD, les questions sont débattues librement et les décisions découlent de l’avis de la majorité.  La crise évoquée ces derniers jours dans certains médias ne correspond pas à la réalité. Il faut  rappeler que la différence de points de vue entre certains membres des instances sur des questions  contingentes  dénote d’une  pratique saine de la démocratie.

 

 A en croire une information postée sur facebook et reprise par
Alalkhbar, ce vendredi, le président Ould Daddah et le vice président  Ould
Moine  ont levé "toute équivoque" au cours d’une rencontre  intervenue, la veille  au soir
dans la maison du vice-président. Y avait-il des  divergences entre les deux hommes? Sur quoi ont elles porté?

-La rencontre entre Monsieur Mohamed  Abdarahmane Ould Moine et Ahmed ould Daddah ne devrait pas susciter  de commentaires particuliers, les deux hommes étant partenaires dans un projet qui leur tient à cœur. M.  Abderahmane ould  Moine est un grand notable, un  haut commis de l’Etat  qui a choisi de militer au sein du RFD dont il est vice-président, toutefois il a  évidemment son opinion personnelle qu’il exprime haut et fort  sur les questions  pouvant intervenir  sur la scène politique. Ceci est une grande qualité, d’autant  plus qu’aujourd’hui  les gens ont malheureusement tendance à rejoindre les moutons de Panurge.

 

-Comprenez-vous  pourquoi  la majorité des pôles du forum  accepte aujourd’hui  une  rencontre avec le pouvoir ?

 -Je n’ai pas à juger  la position  des membres du FND dont je respecte les points de vue.

Je souhaite simplement rappeler que le FNDU ne fonctionne pas comme un parti politique où la majorité arithmétique des voix est prééminente, les décisions y sont prises à l’unanimité.

 

-Cette position du RFD pourrait-elle mener ce parti à reconsidérer sa position vis-à-vis du  forum si celui-ci décide, au terme de cette rencontre, d'entamer  le dialogue avec le pouvoir?

-Nous sommes  fortement attachés au  FNDU et nous n’avons nullement l’intention de le quitter.

 

-Quelle appréciation vous faites de la réaction du MCD de Moussa Fall?

Je nourris un grand respect au MCD ainsi qu’à ses membres qui militent courageusement pour l’instauration de la démocratie et qui payent au prix fort le prix de cet engagement.

 

- Le pouvoir a décidé de délocaliser la célébration de l’indépendance à Nouadhibou. Les préparatifs battent leur plein. Quelle appréciation vous  en faites ?

Dans le contexte de crise actuelle, la délocalisation des festivités à Nouadhibou est une aberration.

 En effet, des milliards d’ouguiyas sont dépensés dans des marchés consentis à des proches pour  jouer à l’exhibitionnisme sécuritaire et bluffer à la manière des gens du  poker.

Il s’agit d’abuser l’opinion à travers une grande manœuvre de diversion pour détourner l’opinion de problèmes devenus  de plus en plus aigus.

 De même, la politique de l’autruche est aujourd’hui publiquement assumée par le chef de l’Etat à travers les fameuses déclarations de Nouadhibou dont je citerai quelques unes à titre d’exemples :

 

1/ Ni l’esclavage ni ses séquelles n’existent. Les Haratines non plus n’existent pas et s’ils souffrent de pauvreté, c’est par leur faute propre.

 2/ La SNIM a connu des difficultés dues à la baisse du prix du fer aujourd’hui  jugulées  par une baisse des budgets de fonctionnement ;

Il n’indique malheureusement pas où se trouve l’énorme manne financière amassée au cours des 6 dernières années à la suite de la hausse exceptionnelle des prix du fer et ne dit pas pour quelles raisons les réserves d’usage n’ont pas été constituées pour prévenir une éventuelle baisse de prix de ce produit dont évidemment nous ne contrôlons pas le marché.

 3/ En ce qui concerne l’enquête ouverte par la Stock exchange commission (SEC)

  Sur les opérations  récurrentes de corruption pratiquées par la société Tasiast au sein de l’entourage du chef de l’Etat, Aziz rejette d’un revers de la main ce problème et affirme que si la Tasiast a pratiqué la corruption et si des citoyens mauritaniens en ont profité, cela les concerne. Quel sens de l’éthique !

 4/ Il affirme, au mépris de la réalité qui a,  comme tout le monde le sait sauf  visiblement le chef de l’Etat,  la dent dure, que les avoirs extérieurs sont au beau fixe et que le Trésor public n’a aucun problème.   En tout cas, je souhaite vivement que la planche de salut sur laquelle il semble s’appuyer ne soit pas celle de la planche à billets.

En somme, selon Ould Abdel  Aziz, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ceci explique la dérision avec laquelle la question cruciale du dialogue a été abordée et son  profond mépris de la classe politique.

 

Propos recueillis par Dalay Lam