Aménagement du Territoire et développement régional (3)

22 October, 2015 - 01:58

Le 3 Septembre 2015, à Mauricenter, monsieur Sylli Gandega, économiste planificateur spécialisé en aménagement du territoire, consultant indépendant et ancien ministre du Développement rural, durant la Transition 2005/2007, présentait une importante communication sur l’aménagement du Territoire et le développement des régions. Après le contexte, la genèse du concept et l’état des lieux, présentés dans nos deux précédentes éditions, voici les conclusions et les recommandations de l’expert…

Malgré la volonté politique des décideurs et de l’intérêt grandissant des acteurs nationaux pour les questions relatives à l’aménagement du Territoire, la politique d’aménagement de celui-ci et du développement régional reste mitigée. Une formule lapidaire résume la situation : un territoire et des ressources imparfaitement exploités.

Handicapées par leur inertie, les administrations ont du mal à suivre et donner corps à cette volonté politique. Pour preuves, les recommandations du Conseil des ministres, en 2013, sur la formulation des SRAT dans toutes les wilayas du pays, et la réaffirmation de celle du Trarza, au cours de la visite de monsieur le président de la République, la même année, n’ont connu aucune suite.

Il est temps de faire évoluer les choses de façon plus conséquente, en tenant compte des défis majeurs dont les plus importants sont : les problèmes démographiques qui se manifestent sur un triple plan (déséquilibre entre croissance économique et croissance de la population, déséquilibre dans la répartition spatiale de la population, migration interne et externe) ; les problèmes urbains, dont le cas de Nouakchott face aux autres villes ; la persistance de la pauvreté, surtout rurale, et le faible développement humain (avec un IDH de 0,487 la Mauritanie se retrouve 161èmesur 187 pays, selon le RMDH 2014 du PNUD).

 

Des atouts qu’il reste à valoriser

En dépit de la complexité de ces problèmes, la Mauritanie dispose, aujourd’hui plus qu’hier, d’atouts qui l’incitent à repenser et définir, enfin, une véritable politique d’aménagement du Territoire et, surtout, à la mettre convenablement en œuvre. Parmi ces atouts, on peut citer : la prise de conscience et la volonté politique ; la disponibilité de nombreuses stratégies et politiques de développement (plus de 37) ; le grand nombre d’enquêtes régulières dans presque tous les secteurs de développement, y compris le RGPH et les EPCV, etc. ; la disponibilité de cadres nationaux et des bureaux d’études expérimentés, une plus grande compréhension des bailleurs de fonds et agences de coopération qui militent, résolument, en faveur du développement Durable (DD) ; le parachèvement en cours de la  décentralisation et du Fonds régional de développement pour la mise en œuvre d’un mécanisme intégré de financement des collectivités locales ; et l’adoption de la loi portant code des collectivités territoriales.

Pour mettre en place une politique efficiente d’aménagement du Territoire, plusieurs conditions doivent être cependant réunies et/ou réaffirmées. En un, une volonté politique forte d’intervention car l’aménagement du Territoire exige une planification qui doit gérer les éventuelles contradictions avec et entre intérêts locaux, sous régionaux, nationaux et même internationaux ; en deux, une capacité à corriger, de façon systématique, les excès qui peuvent résulter du libre jeu des forces économiques du marché et qui ne sont pas forcément favorables à l’égalité des chances, sur le plan spatial ; en trois, une volonté de promouvoir l’aménagement du territoire, comme facteur d’équité régionale et de complémentarités, au sein d’un même territoire et, par conséquent, de développement harmonieux et durable ; en quatre, un souci constant de protection de l’environnement.

Il faut s’en persuader : seule une politique de développement économique et social basée sur une vision spatiale à long terme – donc d’aménagement du Territoire – sera en mesure de mettre en œuvre les complémentarités et les synergies entre les politiques et stratégies sectorielles de développement touchant l’espace national. Dans ce contexte, la formulation et la réalisation, suivant une approche participative, d’un SNAT et de SRAT reste fondamentale à l’émergence d’un développement harmonieux, spatialement équitable, d’une croissance inclusive  et luttant effectivement contre la pauvreté.

Beaucoup de chemin reste encore à parcourir pour atteindre cet objectif, compte-tenu du bilan mitigé de la mise en œuvre actuelle de la politique d’aménagement du Territoire. Il faut nous y atteler dans les meilleurs délais, pour prétendre réussir un développement équilibré et harmonieux du territoire national. L’évaluation globale du CSLP 2001-2015, entreprise par le Ministère des Affaires Economiques et du Développement (MAED), avec l’appui du PNUD, et la formulation prochaine d’une stratégie nationale post 2015, avec le concours technique et financier de l’UE sont autant d’occasion à saisir pour : évaluer la politique d’Aménagement du Territoire et sa mise en œuvre ; et replacer l’aménagement du Territoire au centre de notre politique de développement économique et social, afin de contribuer à éliminer davantage la pauvreté et à élever le niveau de vie des populations.

 

Recommandations

Les recommandations seront de deux types, suivant des horizons temporels différents, à court terme, d’une part ; et, d’autre part, à moyen et long terme. A court terme, il s’agira : d’évaluer, non seulement, le dispositif national actuel de l’aménagement du Territoire (Ministère et Direction) mais, aussi, de ceux au niveau régional, comme les Comités Régionaux de Développement (CRD) ou autres, et en faire rapport au Gouvernement ; de lancer la formulation des SNAT et des SRAT qui sont des documents indicatifs et ne seront pas coûteux, compte-tenu des nombreuses données déjà engrangées par les enquêtes sectorielles (RGPH, EPCV, etc.), les études déjà disponibles au niveau des différentes administrations et les atouts précités ; de renforcer les cabinets des walis, en matière d’aménagement du Territoire, de mise en œuvre et du S&E, en ne limitant pas les appuis institutionnels aux seules administrations centrales, comme c’est le cas présentement. Les programmes et projets de développement mais, aussi, les PTFs qui les financent doivent être interpellées sur ce renforcement des capacités des wilayas dés la  conception des documents de projets/programmes ; et, enfin, de renforcer les capacités des communes, en matière d’aménagement du Territoire.

A moyen et long terme, il faut entreprendre une véritable réforme des régions, pour leur permettre de maîtriser, à leur niveau, un développement économique et social harmonieux et équilibré. Les missions actuelles des walis dans le développement et leurs trop fréquentes mutations sont incompatibles avec la mise en œuvre d’une politique cohérente d’aménagement du Territoire.

Sylli Gandega