La fin du régime fondateur : le récit d’Abdallahi Ould Bah (Deuxième partie)

22 October, 2015 - 01:56

Les personnalités du fondateur et de ceux qui le renversèrent

Au retour d’exil du «  père fondateur  », j’apprends de ses anciens co-équipiers, principalement ceux de la dernière époque, les conditions dans lesquelles fonctionnait le pouvoir, et aussi ce qu’il ‘est passé depuis le putsch initial – celui de 1978. Les principaux protagonistes de l’après-Moktar Ould Daddah m’étaient – alors – inconnus de nom et plus encore de caractère. Quant aux drames : la tentative sanglante de renversement d’Ould Haïdalla, les « événements » d’Avril-Mai 1989, je commence à les connaître par le sentiment de ceux qui, écartés du pouvoir, en avaient gardé l’information et le discernement.

Je laisse à notre conversation à trois : les deux derniers ministres civils de la Défense avant le putsch, et moi…, parfois digressive son ton et ses redondances. La réalité se dit par mises au point et échanges successifs. Enregistrement magnétique sans retouche.

 

 

Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge

 

Mohameden Ould Babbah m’excusera, je l’espère, de n’avoir pu le consulter avant cette publication.

Pour le Président et ses coéquipiers, c’était (le) « Doyen ».

 

Evoqué sans son nom dans la précédente livraison, le directeur de la Fonction publique, auquel fait allusion, le Dr. Abdallahi Ould Bah, s'appelait Camara Seydi Boubou. 

 

Conventions :

AB = Abdellahi Ould Bah

MB = Mohameden Ould Babbah

****   de l’arabe et non traduit

BFF = Ould Kaïge

 

 

BFF Il y a deux questions,  une pour avant, une pour après… l’ambiance du pouvoir politique en général en 1978… est-ce qu’on attendait un véritable changement dans la manière du régime, pas forcément un changement de personnes, ni de Président de République, mais attendait-on de nouvelles institutions ? Il était beaucoup question de multipartisme, il était question de structures plus efficaces, c’étaient des choses très contradictoires à ce moment-là.

 

AB : Doyen était là, moi à l’époque j’étais gouverneur délégué à Nouadhibou, je n’ai pas senti çà. Je n’ai rien perçu de ça. On avait dit ça, lors du congrès du Parti du Peuple au mois de Février. Au début de l’année. Je crois que certains ont parlé de ça, mais d’après ce que j’ai appris à Nouadhibou, je ne sais pas si c’est vrai ou non : que le  Président leur a dit que

 

BFF il n’était pas question de ce changement

 

AB de ce changement, pour le moment ! Il avait fait des petits changements, mais – moi – je ne considère pas que c’est important. Moi à l’époque, je crois qu’il n’était pas libre. En tout cas, moi, il y a… j’avais trouvé un caractère que je trouve chez lui, que je retrouve d’ailleurs chez moi : quand la situation est difficile, il n’aime pas les gens qui lui parlent beaucoup des problèmes.

 

BFF - C’est normal

 

AB : je trouve ça chez moi aussi, mais à l’époque, je suis venu le voir et je voulais lui parler un peu. Des militaires et de ce qu’ils préparaient. Le Président, à l’époque, ne le voulait pas du tout, je crois qu’il en avait marre, un peu.

 

BFF - Est-ce que tu ne penses pas qu’il y a également… cela faisait vingt ans de pouvoir. La santé n’était pas bonne puisque il y a eu la vésicule biliaire, d’autres ennuis à Oualata... Est-ce qu’il était fatigué ? Est-ce qu’il vous a paru fatigué ? Il était très fatigué.

 

MB : Tu as voyagé, avec lui, dans un bateau, là… Tu m’as dit qu’il est fatigué.

 

AB : Il est très fatigué, et d’ailleurs, il y avait à l’époque, son aide-de-camp…

 

MB : Je crois que tu m’as dit à la fin ? Le coup d’Etat se développait.

 

AB : Oui, çà je te l’ai dit, à toi. Je t’ai dit de te méfier, que la situation était en train de… 

 

BFF : Quel était l’aide-de-camp au moment précis du coup d’Etat ?

 

AB :  Moulaye  HACHEM… ils sont venus me voir le 9 Juillet.

 

BFF La veille !

 

AB Non ! Le 9 juin, j’étais à Nouadhibou comme gouverneur. Vers quatre heures de l’après-midi, Sidi Ould CHEIKH ABDALLHI qui était ministre du Développement rural me téléphone pour me dire de venir dans l’avion. Je lui dis que je ne peux pas, parce que j’ai déjà des rendez-vous, et que je viendrai par l’avion de demain. Il m’a dit : c’est un ordre, c’est impératif, il faut que tu viennes. J’ai dit : bon ! Je suis venu, j’ai trouvé sa voiture qui m’attendait à l’aéroport, et il m’a emmené dans son ministère. D’ailleurs, après je suis parti te voir, on a prié ensemble, et tout. Lorsque je suis entré chez lui, je lui ai dit : ça ne va pas, non ? La situation est en train de vous filer entre les doigts, vous m’appelez pour l’inauguration du banc d’Arguin, on n‘a pas idée. Il m’a dit : mon cher ami, ne dis rien ! Il a ouvert son tiroir, et il a sorti une lettre du Président, je vous donne l’ordre de 1° de convoquer le délégué de Nouadhibou, ce jour, pour tel, tel et tel problème ; 2° de faire ceci, et je dis : bon ! Je retire tout ce que je t’ai dit, je pensais que… Il m’a dit, je partage tout à fait ton point de vue, on ne m’a pas demandé mon avis.

. . . son aide-de-camp, qui vient me voir, il me dit : le Président est très fatigué, il faut qu’il aille se reposer, on doit lui aménager une petite chambre. Je lui dis : moi, ce n’est pas mon travail, moi, je suis gouverneur, je dois rester là où est le Président, tant qu'il y a du monde : je suis le délégué. Mais si toi, tu veux le lui dire, tu peux le lui dire et si tu m’expliques aussi pourquoi, parce que je ne crois pas que ce soit le cas de santé du Président qui te gêne. Si tu m’expliques pourquoi, moi je peux t’autoriser à partir et mettre quelqu’un à ta place, en attendant. Il m’a dit : moi, j’ai le mal de mer, je vais vomir, je n’arrive plus à tenir. Je lui ai dit : ça, je peux le comprendre à la rigueur, tu n’as qu’à aller te reposer. Et envoie un adjudant, quelqu’un qui reste à ta place. Moi, je resterai ici jusqu’à ce que… Je l’ai vu lui, Mouli, lorsqu’il a voulu sortir, je suis venu le voir dans sa chambre, au moment où il allait voir ses hommes, il est tombé, il était fatigué, très fatigué. C’est un dur, il supporte beaucoup de choses, je l’ai vu … je crois, à ta nomination ici, comme membre du Bureau politique. Ce jour-là, il était très fatigué, je l’ai vu pour faire ses conclusions 

 

BF :  En Janvier 1978, en Février, le congrès ?

 

AB : Ce n’était pas le congrès, c’était une nomination par le Bureau politique, tu es devenu membre du Bureau politique en quelle année ? Moi, je me souviens que lui, en levant son truc comme ça, il écrivait, parce qu’il appuyait beaucoup sur la plume, il n’avait pas terminé son speech de clôture de cette réunion de responsables régionaux. Il était fatigué, il n’avait pas pu faire ce qu’il avait…

 

MB : Oui, il était très fatigué

 

AB : Je suis venu le voir, ici, à l’époque je savais… Hamoud Ould NAGI qui me l’a dit… qui était colonel, à l’époque, au Maroc …

 

BFF : l’attaché de défense au Maroc !  

 

AB - oui ! Viyah, qui m’a dit qu’il y a quelque chose qui se prépare, que les gens de l’est préparent quelque chose contre Moktar

 

MB - c’est Viyah qui dit ça?

 

AB … et que lui il voudrait être à Nouakchott, ne serait-ce que pour, au moment du partage, être présent. Il me dit : si ce n’est que çà d’ailleurs, ce n’est pas intéressant. **** Le Président, je ne peux rien lui dire concernant la défense, il ne veut pas écouter mon avis, et même si je lui dis quelque chose, je crains qu’il ne pense que moi, je regrette d’avoir quitté la Défense… alors que Dieu sait que j’en étais très satisfait ! Alors, je lui dis : je ne veux absolument rien lui dire, mais je voulais lui dire un mot-là   **** Mohamed Ali **** : le Président est très fatigué. Il n’a pas trop de temps ; maintenant, il ne faut rien lui dire. Alors apparemment, c’était un peu convenu d’avance entre les deux, dès que je suis entré dans l’audience du Président, je me suis un peu levé comme ça : il m’a tendu la main, il m’a dit : (diminutif que je ne saisis pas) je n’ai pas trop de temps maintenant, mais comme je repasserai à Nouadhibou pour l’inauguration du banc d’Arguin, je t’accorderai tout le temps que tu voudras.

 

BFF - Cela se passait à Nouakchott ou dans le bateau ? Cet entretien de maintenant…

 

AB … c’était à la Présidence et lorsqu’il est venu à Nouadhibou il n’a pas voulu que nous parlions seul à seul. Il n’a pas voulu, et moi j’ai compris qu’il y avait tellement de problèmes, et l’Ambassadeur de France : REMOVILLE ;  il ne me l’a pas dit à moi, mais Sy Brahim m’a dit qu’il le lui a dit. Il lui a dit que : bon ! C’était clair que Moktar ne voulait rien entendre, et que l’un de nous est venu avec le général français qui était ici et il lui a dit que les militaires

 

BFF - lui, REMOVILLE ?

 

AB – REMOVILLE. On s’est approché : il y a quelque chose dans l’air ? Et il lui a dit : s’ils veulent le pouvoir, ils n’ont qu’à le prendre, ils verront que ce n’est pas une sinécure.

 

BFF - Donc il y avait une fatigue physique et une fatigue morale.

 

AB : Il y avait une fatigue physique… Et il lui a dit : quelqu’un qui lui a dit…Sy Brahim m’a dit qu’il lui a dit : mais pourquoi le Président n’a pas pris ça en considération ? Il a dit, je crois, que le pays était en guerre, il ne voulait pas désarticuler l’armée, créer des problèmes comme ça.

 

BFF - Oui, c’est ce qu’il dit !

 

AB -  Et il a voulu fermer les yeux.

 

BFF - Qui est ce Sy Brahim ?

 

AB C’est un… je ne sais pas si tu l’as connu …. Un notable de Rosso, un ami à nous…

 

BFF - J’ai connu un KANE, Ibrahima KANE !

 

AB … ce n’est pas lui. Non, c’est un Sy IBRAHIMA, il était à un moment donné, mais à l’époque c’était après le coup d’Etat, il était chef de culture et à l’époque, lorsque tu étais là, il avait un grand périmètre à Tékane.

 

BFF - Oui, j’ai dû visiter ça.

 

AB : Tu as dû le visiter.

 

BFF : Qu’est-ce que vous êtes devenus, chacun après 1978 ? 

 

AB : On nous a arrêtés.

 

BFF - Vous savez ce que je fais : j’irai en même temps que vous, chez le Président. Fatalement, Ahmed Ould MOHAMED SALAH se trouvera, là, en train de partir et je prendrai rendez-vous. Comme çà nous continuons à parler.

 

AB :  Ahmed SALAH ne va pas rester longtemps, il n’a pas d’engagement…  tu vas le voir là-bas, moi je vais venir vers six heures et demi, sept heures…

BFF : J’y vais et je reviens. Vous refaites la paix mondiale. Je vais et je viens.

 

AB On ne peut la faire sans toi !

 

BFF - Cela me fait plaisir de te revoir Abdallahi, tu ne changes pas, et surtout ton affection et ton immédiateté, tu es comme ça – là – tout de suite, c’est bien !

 

AB - Ah oui, tu sais, moi, je n‘ai jamais été politique, même du temps où j’étais ministre. Tu as un tas de gens qui ne sont pas politiques mais finalement il y a de la politique qui se fait. Tu peux lui demander, je n’ai jamais demandé à le voir, sauf une fois, pour un problème de la santé. De sage-femme. Lorsque j’ai voulu lui en parler, j’ai vu qu’il en savait plus que moi. C’est ma question.

 

BFF - Mariem aurait pu mourir cent fois, parce que pour le premier accouchement à ce que j’ai compris, elle aurait eu un malaise, il n’y aurait eu aucune possibilité de la réanimer à l’hôpital en Décembre 1966, au moment de la naissance de Mohamedoun. Elle avait fait le magnifique pari de la compétence et de la qualité  du tout jeune milieu hospitalier de la Capitale.

 

AB : Au moment de la naissance de Mohamedoun ? Je n’étais pas à l’époque ministre de la Santé.

 

BFF - Je le sais bien.

 

AB : Je n’étais même pas directeur de la Santé, je n’étais pas revenu, j’étais à Néma : j’y suis venu en 1965, je suis rentré à Nouakchott pour la première fois en 1968. Mariem, je l’aimais beaucoup, mais elle m’a dit une fois, dans une réunion à Kaédi, que… elle n’appréciait pas beaucoup les gens de Boutilimit. Je lui ai dit : j’espère que ce n’est pas général[i].

 

BFF - c’est pourtant sa belle-famille, elle a beaucoup aimé son beau-père qui l’a beaucoup mise en selle. Mohamedoun, le grand-père que j’ai rencontré d’ailleurs en 1965 a vraiment tout fait pour la mettre en selle, manifestement. Beaucoup aidé… Cà c’était une parole verbale !

 

AB : En réalité, elle ne les aimait pas beaucoup. C’est un peu… notre tempérament est différent du sien. Et moi je crois…

 

BFF - elle est à principes !  

 

MB - Elle est trop transparente !

 

BFF On voit quand elle est irritée, quand elle aime, on voit quand elle parle à cœur ouvert…  

 

AB - Elle trouve, que les gens de Boutilimit sont assez… elle a raison d’ailleurs. En tout cas, moi, quand elle m’a dit qu’elle a horreur des gens de Boutilimit... J’espère que ce n’est pas général, ai-je dit … il y avait tout le monde. – Qu’est-ce que tu veux dire ? – Je veux dire qu’au moins, Moktar, j’espère que tu le supportes.

 

BFF C’est l’essentiel. Est-ce qu’il discute le coup avec toi ?

 

AB ; Parce qu’il ne parle pas beaucoup. On peut se dire la chose. Il était beaucoup plus disert il y a vingt ans.

 

BFF : On a passé quinze jours ensemble pendant sa convalescence, à Toulon, en Décembre 1979. On a pratiquement fait par oral ses mémoires, lui il pouvait parler pendant un quart d’heure sans s’arrêter pour développer le point de vue. Alors en Juin… il vous racontera. Il a fait pendant une dizaine d’années, sur une dizaine de cahiers, six exactement, le vrac de ses mémoires, à mesure de ses pensées et d’une chronologie que je lui avais faite. On a passé quinze jours au mois de Juin à réordonner le vrac en chapitre et à mettre des notes en bas de page. C’est un travail que j’ai fait seul avec lui, sans Mariem.

 

AB : Ah bon !

 

BFF : Il est très confiant avec moi, et en même temps je lui pose des questions qui sont d’un occidental, d’un Français. Si Mariem était en tiers, il aurait pu se taire ou laisser parler Mariem sur le sujet. Mariem l’a compris …  j’ai été très ému en lisant ce texte. Vous allez avoir une très bonne surprise. C’est un bon écrivain en français, et il y a des passages pathétiques et émouvants. C’est très bien écrit, et c’est… il me disait beaucoup de choses depuis notre première conversation en Avril 1965…mais il y a beaucoup de choses que je ne savais pas, c’est plein de secrets et plein d‘explications des choses. Vous verrez…

 

AB - On n’est pas obligé de dire du bien sur tout… 

 

BFF – Et Ahmed Ould Mohamed Salah, pourquoi est-ce qu’il n’a pas vu venir le coup militaire ?

 

AB  Il était à l’époque à l’Equipement, il venait d’y arriver.

 

MB : C’était l’homme en tout cas le plus informé.

 

AB : On lui a supprimé aussi son poste de l’Intérieur, où il était le mieux indiqué…

 

MB : Oui, il était bien placé : là.

 

BFF - Donc très rétrogradé au moment du coup d’Etat ! Presque trop ?

 

MB : C’est un homme très solide, qui assume bien les coups sans… Moi, je ne l’ai connu qu’en prison. J’avoue que j’ai trouvé un homme simple et bien.

 

BFF - Les premiers jours ? Ici, à côté et ensuite au camp du Génie.

 

MB :  Au camp du Génie, oui ! 

 

AB : J’ai travaillé avec lui, un an, au ministère d’Etat. C’est un type agréable. Son commerce est très agréable, mais chaque fois qu’il peut te faire un coup fourré, il n’hésite pas.

 

BFF - Il ne faut pas lui présenter le dos, ni les oreilles.

 

AB - D’ailleurs, Moktar aussi. Les deux… A l’époque, je venais d’arriver de France. Cela ne m’intéressait pas beaucoup…il y a eu une histoire entre BOUCEÏF et non que je ne saisis pas ABDOU ?    Qui était chef d’état-major aussi, où c’est eux qui avaient obligé sa nomination, les deux. Et puis, il m’a fait une proposition de mouvements d’officiers, il y avait Papa DIALLO [ii]qui est décédé – il était muté à Bir .J’ai signé sans faire attention. Le mouvement. Le lendemain, je reçois BOUCEÏF disant que Papa DIALLO demande le rapport du ministre de la Défense, refuse de rejoindre son poste d’affectation. Ce qui lui vaut au moins un mois d’arrêt de rigueur, et il me demande de donner mon maximum, c’est-à-dire de deux mois que tu connais. J’ai regardé çà et j’ai téléphoné à l’état-major pour qu’ils disent à Papa DIALLO qu’il peut venir. Il est venu mais c’est un têtu comme un bourricot, comme sa femme. Moi, je ne te demande pas comme parent, mais comme ministre de la Défense, de partir à Bir, et je te garantis que tu reviendras par l’avion prochain. Il a été affecté comme adjoint avec un officier qu’il n’aimait pas, en réalité, une semaine avant, il avait été proposé comme chef de secteur. Et il a demandé, parce qu’il avait une fillette malade, à ne pas être affecté pour le moment. Moi, je l’ai maintenu. L’autre l’a nommé et j’ignorais à l’époque le rapport qu’il y avait entre lui et son chef de secteur. Il m’a dit qu’il est exclu, qu’on n’a qu’à le fusiller. Il sait ce que çà coûte de refuser un ordre de rappel en période de guerre, mais qu’on ne pourrait  rien, … sauf s’il est ligoté ou des trucs comme çà. J’ai essayé une heure et demi avec lui, je n’ai rien pu obtenir. Je lui ai mis quinze jours de plus, quarante-cinq jours, je ne lui ai pas donné mon maximum. BOUCEÏF l’a envoyé à Atar avec HAÏDALLA à l’époque, et lorsqu’il a terminé ses arrêts de rigueur, BOUCEÏF est revenu me voir. Bon ! Papa DIALLO a terminé ses arrêts de rigueur, je voudrais l’affecter à Bir. Je lui ai dit : je vais d’abord te dire de quoi il s’agit. Il avait été proposé comme chef de secteur, et moi on m’a dit que pour raisons de santé, ses enfants et tout, il préférait rester, je l’ai laissé. Toi, tu venais d’être nommé ; pour ne pas te décourager, j’ai signé. Lorsqu’il est venu me voir, j’ai essayé de le raisonner, il n’a pas cherché  je l’ai laissé faire ses quarante-cinq jours d’arrêts de rigueur, et maintenant, tu as le choix entre deux choses : tu peux le convoquer et discuter avec lui et lui proposer un poste qu’il accepte parce que les chefs de secteur ne sont pas mieux que lui. Ou alors tu le mets à ma disposition, mais… pourquoi ne m’en a-t-il pas parlé, j’aurais annulé son affectation… Je lui ai dit : moi, en tout cas, je t’en parle. Deux jours après, je reçois une proposition de mouvement avec Papa DIALLO à …

 

MB … à Bir !

 

AB … à Bir Oum Ghrein ! J’ai appelé le secrétaire général, tu appelles le chef d’état-major… c’est pour te dire qu’avec Ahmed, j’ai eu des problèmes. Dans mon bureau, il y a une semaine. Ou bien s’il a oublié, ou s’il ne lit pas son courrier. Le courrier qu’il m’adresse. Alors, il lui a dit : retourne-moi ça, je vais redresser çà, c’est une erreur effectivement. Tout cela, le ministre me l’a dit. Deux jours après, je reçois le même mouvement, j’appelle Sall ETHMANE (?) nom que je ne saisis pas. Au début, j’ai parlé de son cas à Ahmed Ould MOHAMED SALAH. Il ne m’a pas dit quelque chose de clair. C’est le ministre qui affecte. J’ai cherché le mouvement au ministère, j’ai châtié les trois propositions, concernant lui je l’ai affecté à… Cheikh Ould AHMED SALEM, à Atar, à l’école militaire. Les deux autres, je les ai affectés dans d’autres secteurs pour lesquels ils n’étaient pas proposés. **** Secret défense **** Ould BOUCEÏF **** Ahmed SALAH. Le soi-même, le soir, le secrétaire général vient me rendre compte…

 

BFF - … parce qu’il y avait un écran entre le ministre d’Etat et vous, par un secrétariat général ?

 

AB Non ! Le secrétaire général était au ministère de la Défense. Ahmed recevait les gens directement et chez lui…,

 

BFF - … sans qu’il y ait la liste des audiences que vous connaissiez

 

AB et sans que je sois au courant. Moi, je m’en f… parce que je faisais ce qu’il me semblait devoir être fait. J’ai voulu y aller, j’ai vu mon secrétaire général de la Défense, qui  lui a demandé de voir le ministre, il m’a dit qu’il était très énervé, il lui a dit : TAYA n’est pas… allez-voir le ministre. Toi-même, tu le connais, vous vous êtes  entendus ; tu as écrit une première affectation, tu t’es fait convoquer par moi, tu m’as dit que c’est une erreur que tu vas corriger, elle me revient deux jours après : le ministre a fait le mouvement sans nous, il m’a donné une lettre pour toi, la décision d’affectation est pour Ahmed Ould MOHAMED SALAH.  **** monsieur le ministre, passez me voir tout de suite.  Bon, d’accord ! Il était vers cinq heures de l’après-midi. Je passe le voir. Il me dit : BOUCEIF m’a envoyé une lettre, disant que pour Papa DIALLO, il n’y a que deux solutions,

 

BFF - …. Le fusiller…

 

AB … le passer devant un tribunal militaire, ou la solution diplomatique, le radier du corps de l’armée. **** Ahmed Ould MOHAMED SALAH ****  Mohamed Ould CHEÏKH ****  C’est le ministre de la Défense qui affecte. **** Il est exclu qu’il serve sous ses ordres. Rien n’est exclu. Il peut servir avec toi, comme tu peux servir sous ses ordres, parce que le ministre de la Défense peut même nommer un plus gradé pendant six mois en sous-ordre. ****    ****  ****   ****  J’ai besoin d’un rapport sur le cas de BOUCEÏF avant 19 heures. Je t’en ai parlé deux fois et je t’ai envoyé la lettre de BOUCEÏF et la réponse, et je t’ai envoyé l’affectation de Papa DIALLO. Il m’a dit : je n’ai pas lu ça. Attention, il fallait le lire. Il me dit : je veux avoir ça. **** Une fois de plus… il était plus facile de donner un coup de pied dans la lune, plutôt que d’avoir cette lettre. Ecoute, je lui dis : je ne veux plus un mot sur cette affaire, pour moi, à mon niveau, elle est classée ! Et tu diras à Moktar que je suis ministre de la Défense, que j’ai les attributions et que j’entends les exercer, et que je ne suis pas un standardiste entre toi et BOUCEÏF. C’est fait, que je n’y puis plus rien. Je suis sorti. Le lendemain à neuf heures : monsieur le ministre de la Défense, je n’ai pas vu la lettre ! J’ai dit : qu’est-ce que je vous ai dit, hier ? Lorsque je lui ai dit aller sur la lune plutôt que d’avoir encore un mot sur cette affaire, il s’est dégonflé totalement. Ce n’est pas moi, c’est le Président. Tu dis au Président, que, moi, si je suis à la Défense, j’entends assumer mes attributions, et que d’ailleurs quelque chose a cassé en moi, que je ne crois plus, que je quitte le ministère, que je ne veux plus y être ****   car il faut venir me voir **** je n’ai pas vu la lettre. Qu’est-ce que je vous ai dit hier ? Il m’a dit : oui, mais c’est le Président qui… venez me voir !  J’ai dit : non ! Je ne viens pas. Pourquoi ? Je n’ai pas envie de voir ta frimousse ce matin. On rit…

 

MB : ça tourne au vinaigre !

 

BFF - Oui, ça tourne au vinaigre, à la bande dessinée.

 

AB : Il m’a dit : quoi ? Je n’ai pas envie de voir ta frimousse ce matin, c’est clair ou non ? Il a raccroché, j’ai fait trois ou quatre jours sans avoir un appel du Président. Là, il ne m’appelait pas, ni de lui. Moi, je m’attendais à être remercié. Je l’ai vu une ou deux fois, au Conseil des Ministres, quand je venais… le Président  quand il me parlait, il riait toujours jaune, il me regardait de travers. Je m’en f… cela ne m’intéressait pas. Peu de temps après, Ahmed Ould MOHAMED SALAH m’a appelé pour cette histoire **** Sidi el Moktar. Le ministre du Développement rural **** Je voudrais partir de…

 

BFF - complètement !

 

AB - Non, il ne faut pas me faire ça, si tu veux me muter, je suis prêt à aller n’importe où, à aller balayer les rues, dans la situation actuelle. Je préfère vraiment être libéré.  ****  BOUCEÏF **** Je l’ai rappelé après que… avant que le Président m’appelle pour me dire que je partais du ministère, je lui ai dit que si jamais il passait encore par le ministère d’Etat sans passer me voir, alors il payera ça cher. **** Papa DIALLO **** Brahim Ould CHEÏKH **** tu as fait un mois et demi **** quinze jours **** il n’y a que cette solution diplomatique, ou alors la solution militaire, le tribunal militaire, tu dois regarder aussi son courrier. Il a récupéré le ministère de la Défense, il n’a pas donné son maximum, c’est que donc l’officier n’est pas passible du tribunal militaire ni d’autres sanctions. C’est une affaire classée si  Ahmed avait lu son courrier, il n’aurait pas insisté.

 

BFF - Quelle était l’arme de Papa DIALLO ?

 

AB Papa DIALLO **** du Fleuve, originaire de Bamako, d’une famille de Boutilimit, famille très directe.

 

MB : Originaire de Guinée même.

 

BFF - Il était quoi ? Capitaine ?

 

AB - Il était commandant.

 

MB - Très valeureux !

 

AB :  Un bon soldat ! Il avait d’ailleurs été proposé par Viyah  (nom que je ne saisis pas) deux mois avant cette histoire pour être promu… être nommé à titre spécial, comme lieutenant-colonel. C’était une famille Dans la même proposition, je proposais son affectation d’HOUSSEIN. J’ai appelé Viyah ( nom que je ne saisis pas). Tu es plein de contradictions, tu veux que je nomme lieutenant-colonel,   tu le proposes pour ça et en même temps tu proposes sa mutation hors de chez toi, il fallait dire : je ne suis pas content de lui, et être honnête avec toi-même. Il n’a pas été nommé parce que je n’ai pas accepté cette proposition.

 

MB … c‘est un bon soldat.

 

AB : Un type… très dur.

 

MB : La famille est …

AB … très rigoureuse, 

MB : non a un certain air 

 

AB … de franchise et c’est vrai, c’est leur caractère. 

 

BFF Alors, portrait de BOUCEÏF ?

 

AB Oui, un type extraordinairement gentil.

 

MB : C’est un civil… 

 

AB … d’origine. Il a gardé une mentalité de civil ! Très paresseux. Quand il partait pour visiter les régions militaires, il partait avec son griot. Quand il descendait de l’avion, il chantait …  il oubliait tout, il ne se souvient de rien. Je l’appelle, je lui donne un ordre : fais ceci ! Le lendemain, je l’appelle : est-ce que c’est fait ? Qu’est-ce qui est fait ? Ce que je t’ai dit hier ! Qu’est-ce que vous m’avez dit, monsieur le ministre ? Je vous ai dit ceci. Ah, il me dit : certainement que c’est fait, j’ai répercuté ça. Est-ce que tu as vérifié ? Non, je n’ai pas vérifié. Il fait deux minutes, il m’appelle : non, ce n’est pas fait ! C’est un type qui n’est pas mauvais, mais il n’est pas organisateur, c’est un dépensier, c’est un type assez gentil quand même, il n’est pas faux.

 

MB : Il n’est pas faux.

 

BFF - Alors, comment est-ce qu’il arrive à faire un coup de force ? Contre SALECK… 

 

MB : Ce n’est pas lui d’ailleurs !

 

AB  Non, il ne l’a pas fait, ce sont les autres, et d’ailleurs paradoxalement, à ce qu’on m’a dit, celui qui l’a fait contre SALECK, celui qui a servi de point d’union, c’est LOULY.

 

MB : Il y avait là un tandem qui s’entendait bien : LOULY, Ahmed Salem, (nom que je ne saisis pas …), HAIDALLA et peut-être BOUCEIF, mais chacun avait son caractère. BOUCEÏF ne l’aurait pas fait seul…

 

AB : Certains m’ont dit que celui qui les a poussés tous, c’est LOULY qui a dit à Ahmed Salem d’ailleurs de rester un pas en retrait, par rapport à cette démarche. Ahmed Salem

 

BFF : Son nom de famille ?

 

AB : Ould SIDI.

 

MB : La famille émirale.

 

BFF - Et BOUCEÏF, il vous a libérés d’abord.

 

AB : Oui,

 

BFF … et ensuite il s’est tué tragiquement.

 

AB : On l’a tué, ils l’ont tué.

 

BFF : Ca me paraît être capital. On m’a dit que l’avion à peine avait-il « crashé », que tout le monde était mort et avant que les experts viennent, et il aurait pu y avoir des experts français, puisque c’était proche de Dakar… l’avion avait déjà disparu, donc il n’y a eu aucune expertise de l’avion. Donc on ne sait pas…

 

AB : Je crois que quelques mois après, ils ont trouvé quelques corps, ils ont trouvé l’avion au fond de l’eau. L’avion a coulé. Il a coulé, il y en a qui ont dit qu’il a touché l’eau. Des gens m’ont dit que c’est un coup monté, que même le Polisario…

 

MB Si KADER était vivant, il vous aurait éclairé un peu, parce qu’on m’a dit que lui…

 

BFF KADER a été fusillé, c’était un aviateur ?

 

MB Oui, c’est un aviateur, il a été sur les lieux, et moi je l’ai vu par hasard dans la rue, avant son départ, il était complètement déboussolé, il y avait quelque chose de…

 

BFF Oui, il y avait des tas d’arrière-pensées qui, du coup, s’étaient arrêtées …

AB KADER m’a dit, je crois, vous devez : contactez Ahmed Salem pour lui dire de ne pas aller à Dakar. L’avion était… il y avait quelque chose là-dessous.

 

MB :  En tout cas, l’avion pour lui était une affaire terrible, d’ailleurs, c’est un des ingrédients de son départ.

 

AB : C’est d’ailleurs ça qui l’a amené à partir.

 

MB : Moi je l’ai vu rapidement, il était complètement…

 

BFF : Ils ont été fusillés sous quel prétexte ?

 

MB C’est le commando de…

 

AB : C’est le commando qui est venu ici attaquer … Ould HAÏDALLA n’était pas d’ailleurs là.

 

MB : Mais un commando qui est venu du Maroc !

 

BFF : C’était en quelle année ?

 

MB : 27 Mai 1979. Moi, j’étais en résidence surveillée. Il y a quelque chose de bizarre. Sitôt l’avion tombé, nous qui étions en liberté, on nous convoque pour nous envoyer en résidence surveillée chez nous, je ne vois pas le rapport.

 

AB : Je me suis demandé ce qu’il se passe, quel rapport y a-t-il avec le départ de BOUCEÏF …

 

BFF : Abdallahi !, BOUCEÏF aurait rétabli le Président Moktar ou que se serait-il passé ?

 

AB : D’après ce que j’ai appris, BOUCEÏF lui-même n’était pas mécontent de le faire, mais il n’avait rien entre les mains, ce sont les officiers qui étaient avec lui, et très tôt sa famille, comme c’est une famille guerrière, une grande famille, lui ont dit que les honneurs, quelqu’un qui les abandonne, il est f… à jamais.

 

BFF : Donc, il n’aurait pas abdiqué pour Moktar !

 

AB : Il n’aurait pas abdiqué. Celui dont je pensais qu’il aurait abdiqué pour Moktar, c’est celui-là… je ne le connaissais pas… c’est Maaouya… après, je l’ai connu ! Il est très loin de ça.

 

BFF : Quand il a succédé à HAÏDALLAH, vous avez cru ça ?

 

AB : Oui, j’ai cru ça au début, et j’ai même parlé avec lui. Il m’avait convoqué, on a discuté longtemps, et l’on a parlé un peu de gens qui étaient arrêtés, de biens qui étaient saisis, moi je lui ai dit, çà ne sert à rien de libérer les gens si on ne leur restitue pas leurs biens. Je préfère rester en prison, plutôt que de sortir…

 

BFF :  Oui, on ne peut pas vivre.

 

AB : Sans moyens de vivre. Au début, il m’a dit, mais non ! Pas question. Si je fais ça d’ailleurs et si je remets en cause toutes les décisions qui ont été prises, il n’y a pas de raison que je m’arrête. Pourquoi ne pas vous remettre aussi le pouvoir ? J’ai dit : moi, je ne suis pas contre. Mais le pouvoir d’abord n’est pas la même chose que les biens que les gens avaient… qui ont été confisqués, dilapidés par des gens qui sont là. Après il m’a dit : moi, j’ai été très libre avec lui. Il m’a dit : franchement, je n’ai pas pensé à la question, mais ce que je vous garantis, c’est que je n’aime pas l’injustice, et que je ferai tout pour que la justice ait lieu. Il s’en est sorti comme ça, mais il m’a dit : je n’ai pas pensé à la question. Bon ! Je pensais qu’il pouvait… je ne pensais pas d’ailleurs qu’il allait … Les autres sont difficiles à connaître ; je ne pensais pas qu’il allait aimer le pouvoir à tel point.  J’avais peur… Maintenant, cela fait dix-sept ans… il va se présenter

 

BFF … parce que se remettre en jeu devient de plus en plus difficile.

 

MB :  Non ! Il y a toute une bande, il est dans un système d’intérêts très solide, avec des piliers très sûrs, pilier économique, pilier militaire, pilier familial.

 

BFF : Il semble que le tribalisme est bien revenu maintenant…

 

MB : Ah ! Il l’est… on est en plein là-dedans, et tout est bâti sur cela, d’ailleurs. Lui, il fait tout pour que les gens se bouffent entre eux.

 

À suivre

 

Les événements d’Avril-Mai 1989

L’avènement d’Ould Taya

Sociologie postcoloniale

 

 

 

[i] - Abdallahi Ould Bah est de Boutilimit

 

[ii] - premier en date des aides-de-camp du président Moktar Ould Daddah : 1960