Reportage : Deux heures avec les détenus d’Aleg

1 October, 2015 - 22:09

Cela fait déjà quelques mois que les deux premiers responsables de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), Birame ould Dah ould Abeid et Brahim ould Bilal, sont incarcérés à la prison d’Aleg. Les deux hommes ont écopé de deux ans d’emprisonnement fermes, dans un procès organisé à Rosso où ils ont été arrêtés. Un verdict confirmé par la Cour d’appel, il y a un peu plus d’un mois, au cours d’une session à laquelle Birame et son adjoint ont refusé d’assister. Naturellement, le collectif des avocats qui défendent les deux militants des droits de l’homme ont fait appel devant la Cour suprême, pour un ultime recours. Normalement, il ne devrait plus rester longtemps, avant que cette chambre ne se prononce, sur le premier dossier de ce type qui atteint ce degré de juridiction.

 

Voir Birame et…

Il m’a fallu faire intervenir une personne qui a quelques relations. Non pas que ce soit impossible de voir Birame, selon un calendrier précis, mais c’est qu’en bon mauritanien, il faut user de chemins tordus pour atteindre l’objectif. Après quelque dix à quinze minutes de route, me voilà maintenant avec une dizaine de personnes attendant, à quelques mètres de la grande porte de la prison, que mon ami veille me faire rentrer. Il fait chaud, sous l’arbre rabougri que les militants d’IRA ont baptisé « l’arbre de Birame » dont le nom est écrit au moins cinq fois sur le tronc. Parmi les visiteurs, une femme et un homme viennent de Teichtayatt, des environs de R’kiz, au Trarza. Une plus jeune femme, à peine trente ans, vient directement de Nouakchott. C’est une militante endurcie qui a marché, en 2013, de Boutilimit à Nouakchott, pour protester contre un cas d’esclavage. Le coordinateur régional d’IRA et les autres viennent du Brakna. De loin, les gardes régentent les choses, en faisant signe, de temps en temps, à un groupe de personnes de s’avancer, pour le soumettre aux formalités d’usage (vérification de la carte nationale d’identité, saisie des téléphones et autres objets puis test de sécurité). L’attente est longue. Alors que je m’apprête au découragement, un garde vient me chercher, pour enfin m’introduire, pour la troisième fois, dans une des plus grandes prisons de la Mauritanie.

 

Bon moral

Birame et Brahim ne sont plus à la même place. Selon le garde qui me conduit, de nouvelles instructions du ministère de la Justice ont permis de séparer les détenus suivant les peines et les délits. Les deux hommes m’accueillent à la porte, ils sont visiblement en bonne forme. Birame en grande culotte et tee-shirt ; Brahim dans un ample boubou qui ne devrait pas être un choix vestimentaire délibéré mais un impératif qu’impose la canicule qui sévit depuis quelques jours à Aleg. L’espace est agréablement meublé de quatre matelas et coussins, impeccablement rangés sur un tapis. Un homme, un autre détenu, semble-t-il, fait le thé. Nous formons, nous visiteurs, un bon groupe dont quatre femmes. Au coin de la salle, trois gardes suivent nos moindres mouvements. Toujours bien entiers dans leur présence, Birame et Brahim discourent sur le pouvoir et toutes les questions nationales. La présence des gardes ne semble pas les gêner. Ils parlent de tout, en toute liberté. L’épaule droite de Birame est couverte d’une impressionnante plaie, fruit, explique-t-il, de la piqûre d’un coléoptère. Les deux détenus sont au courant de tout. Birame rit, sous cape, des dernières concertations nationales, non sans admirer la position de la CUPAD. Entre deux verres de thé particulièrement bien dosés et un bon zrig de lait de vache, les discussions vont bon train. Sans réserves. De temps à autre, Brahim, un peu occupé par la visite de son fils ainé et d’un proche parent de Boutilimit, intervient. Les chargés de mission de France, d’Espagne, du Canada, des Etats-Unis, d’Allemagne et autres diplomates de l’Union Européenne sont venus exprimer leur soutien aux détenus. Des personnalités nationales politiques, indépendantes, syndicalistes et des droits de l’homme leur ont aussi rendu visite. « Nous sommes là depuis dix mois et dix-sept jours », déclare Birame en souriant, « et nous sommes prêts à rester jusqu’à la fin de notre peine. Les messagers d’Aziz continuent à venir. Avec eux, nous n’avons jamais accepté de discuter de notre libération. Nous demandons quatre choses au pouvoir : ne pas persévérer dans le déni de l’esclavage. Appliquer les lois contre les esclavagistes. Reconnaître notre organisation IRA et notre parti, le RAG ».

 

Une justice aux pas

En bon juriste, Birame nous explique les erreurs qui ont émaillé la procédure, de Rosso au jugement en appel d’Aleg. Selon lui, si les juges qui avaient en main le dossier avaient été officiellement dessaisis, tout ce qui pouvait se faire après, comme leur transfert à Aleg pouvait se comprendre. « Ensuite », s’étonne Birame, « comment peut-on juger quelqu’un, sans sa présence, alors qu’il est là, en prison ? C’est quelle justice, ça, ce sont quels juges ? » Il poursuit : « L’ultime recours maintenant, c’est la Cour suprême. Elle est obligée de prononcer, au bout d’un certain délai, une décision. Ce verdict-là rendra notre dossier recevable devant les juridictions internationales. D’ailleurs, un noyau d’avocats renommés de France, des Etats-Unis et du Canada a commencé à se constituer dans cette perspective. Les Nations Unies ont formé un groupe de travail sur le dossier des détenus d’IRA. Le président Maouiya ould Sid’Ahmed Taya, qui était entouré de très bons juristes, n’avait jamais accepté qu’une affaire de droits de l’homme atteigne le recours ultime, c'est-à-dire la Cour suprême, pour justement ne pas ouvrir la voie à la saisine des instances internationales ». Ancien greffier en chef, Birame connaît très bien les rouages de la justice  Il sait pertinemment qu’en Mauritanie, les juges n’ont pas la prérogative de dire le droit en leur âme et conscience. « La preuve », narre le président d’IRA, « au cours de notre procès en appel, un important homme d’affaires aurait pris la peine de voir le Président, pour tenter de le convaincre de mettre fin à cette histoire, dans l’intérêt du pays. Lorsque l’homme d’affaires entre dans le bureau du Président, il le trouve en conversation téléphonique avec un responsable d’Aleg à qui il demande de confirmer notre peine, estimant notre refus de nous présenter à l’audience comme une provocation. Du coup, l’homme d’affaires s’est senti obligé de changer le sujet de sa visite et de discuter d’autre chose ». Dans le couloir où nous nous tenons assis passe un agréable courant d’air. Par deux fois, un jeune lieutenant se montre, à l’autre bout. Les deux détenus semblent entretenir d’excellents rapports avec tout le monde : responsables sécuritaires, prisonniers et personnel. Les sourires qu’ils échangent avec certains, les petites tapes sur les épaules des gardes et la bonne humeur générale en attestent. Au bout de deux heures, « je demandé la route » comme disent les parents Halpulaar. Très gentiment, Brahim me salue et Birame me raccompagne jusqu’à la porte, non sans me charger de transmettre ses amicales salutations à toute l’équipe du Calame.

Sneïba El Kory, depuis la prison d’Aleg