Recommandations des Journées de concertations: Un goût d'inachevé

17 September, 2015 - 09:48

Comme celles de 2005/2006 et de 2011, les  journées de concertations, prélude à un dialogue politique national inclusif, ont vécu. Mais, contrairement aux précédentes, celles de 2015 n’auront quasiment rassemblé qu’un seul bord politique. Les principaux pôles de l’opposition que le pouvoir tente,  depuis 2011, d’embarquer dans « sa » démocratie, ont, une nouvelle fois, décliné l’offre, refusant de « cautionner une mascarade » de concertations, voire de dialogue. Poursuivant son agenda  unilatéral, le pouvoir a  donc réuni tous ceux qui lui sont variablement proches, tant en politique (majorité), qu’en société civile, ONG, syndicats et autres personnalités indépendantes.

Durant huit jours, ceux-ci ont palabré. Regroupés en deux différents ateliers – agenda du futur dialogue qui pourrait démarrer début-Octobre, et répertoire des  thèmes à débattre – les sujets plus divers ont été passés  en revue. Lors des plénières,  les participants n’ont rien laissé au hasard, critiquant notamment l’UPR, qualifié de « non-parti ». Ce n’est pas une première. En aparté, certains membres de partis de la majorité – y compris même de l’IPR ! – n’hésitent pas à vilipender le réputé principal parti de la majorité dont on ignore le nombre exact de militants. Divers membres d’ONG ont également rué dans les brancards.

 

Pas de sujet tabou

 

Même si les participants ont eu le courage de  mettre à nu les problèmes actuels que connaît le pays, on se croirait, à l’arrivée, toujours en 2011. Les recommandations des assises de 2015 ressemblent, en effet, à s’y méprendre  à celles de 2011 qui avaient  réuni, autour d’une même table, le  gouvernement, les partis de la majorité, ceux de la CAP… tandis que la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) la boudait, déjà. Les recommandations des participants furent souvent qualifiées de  pas « important » : l’unité nationale,  l’esclavage, la proportionnelle, la loi sur l’incompatibilité des charges, la bonne gouvernance, l’Etat de droit, la démocratie, etc., avaient  fait l’objet  d’accord, entre  le pouvoir et les partis dialoguistes.

En 2015, on reprend les mêmes thèmes et l’on recommence, partis dialoguistes en moins :  démocratie, encore et toujours, derrière laquelle nous trottinons, à distance, depuis l’injonction de la Baule ;  Etat de droit  qui peine, en conséquence, à prendre forme – des militants des droits de l’homme emprisonnés, des partis politiques refusés, la justice inféodée à l’exécutif… – unité nationale que la jeunesse mauritanienne n’a pas encore pu réaliser, comme le souhaitait Moctar Ould Daddah… Une unité nationale battue en brèche, depuis les années 86/91, qualifiées « de braise », par la communauté négro-africaine. Et singulièrement ébranlée, encore, depuis le dialogue de 2011. Avec la question, connexe, des langues nationales minoritaires : pulaar, soninké et wolof ; et celle du foncier agricole, on a assisté à l’éclosion d’organisations  qualifiées de  communautaristes,  fortes de revendications « légitimes ». Au lieu d’envisager de traiter le problème avec tact, le pouvoir a brandi menaces sur menaces et expédié plusieurs leaders en prison. C’est le cas de Biram Dah Abeïd et deux de ses codétenus.  La Mauritanie ressemble, aujourd’hui, à un pays à deux paliers. A ce point fracturé que presque tous les partis politiques du pays  en « parlent » mais pas assez probablement, à leurs yeux, pour s’en occuper sérieusement. Mais la fracture est bel et bien réelle, hélas, et diverses décisions du pouvoir s’emploient à accentuer les frustrations de certains membres de la communauté nationale.

On note également la recommandation d’un nouvel examen du passif humanitaire. Un épineux dossier que le gouvernement a décidé de clore, unilatéralement, bien que des réclamations continent à pleuvoir sur le ministère de la Défense. En cette affaire, si l’Etat a, tout de même, fourni un réel effort, l’opacité dans laquelle le dossier a été géré en a fortement limité la portée. Il s’agirait d’évacuer définitivement le problème. Un Etat de droit ne peut pas s‘accommoder avec  des morts qui hantent les esprits et l’impunité des criminels…

Les participants sont revenus également sur la récurrente question de l’esclavage. La lutte  contre cette forme d’exploitation  de l’homme par l’homme  s’est pourvue, en Mauritanie, d’un important arsenal juridique, mais les organisations  de défense des  droits de l’homme en déplorent l’absence d’application concrète sur le terrain.

Evoquée, l’alternance pacifique au pouvoir devrait constituer, à l’approche de 2019, une question particulièrement observée. En 2011, le  pouvoir avait consenti à « criminaliser » le coup d’Etat.  Sans effet rétroactif, cependant. A l’époque, beaucoup avaient pouffé de rire. Mohamed ould Abdel  Aziz n’avait-il pas renversé un président  démocratique élu, Sidi ould Cheikh Abdallahi, avant de se faire plébisciter, l’année suivante, au poste si convoité ? On se demande pourquoi, aujourd’hui, les participants  ont ressorti ce thème. Comme tout le monde le sait, les militaires ne demandent pas l’avis des civils, quand ils tournent leurs armes vers eux.

On avait  pensé, en 2011, qu’adopter des recommandations, dont certaines furent matérialisées par des textes de lois, règlerait tout mais les élections qui ont suivi, en 2013 et 2014, sont vite venues rappeler qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.  La transparence, très relative des consultations, l’utilisation de deniers publics, le trafic d’influence,  le recours aux hauts  fonctionnaires de l’Etat, pour influencer les électeurs, le vote militaire… tout cela a fortement affecté le  résultat des scrutins.  On est  encore loin des fondamentaux d’un véritable Etat de droit, de la démocratie tout court.

 

Et les amendements constitutionnels tant redoutés ?

Au terme des travaux, le pouvoir va compiler les recommandations et  les expédier au FNDU qui a déjà averti qu’il n’était en rien concerné par le show du Palais des congrès. Bon nombre de mauritaniens suspectaient le pouvoir de vouloir « susciter », lors des journées de concertations, la requête d’amendements  constitutionnels, afin de faire sauter la limitation du nombre de mandats (actuellement, deux) du président de la République, é à 2 (art 26) ou de modifier la nature même du régime, présumant, en cette dernière hypothèse, un plan  à la Poutine d’Ould Abdel Aziz.

Même si  quelques rares participants ont mis les pieds dans le plat, la majorité n’a pas abordé la question et  les amendements  constitutionnels  ne figurent  pas parmi les recommandations. Mais, pour certains observateurs,  leur examen serait potentiellement contenu dans les trois  thèmes que sont l’Etat de droit, la démocratie et la bonne gouvernance. C’est pourquoi faut-il rester prudent, recommandent-ils. Ce qui est sûr, c’est que le pouvoir n’a pas organisé des journées de concertations pour rien.  Ce qui est également sûr, c’est que  ces journées de concertations laissent comme  un goût  d’inachevé. Le pouvoir  n’a pas réussi à y emmener  son opposition, même la moins radicale,  ni même à la  diviser.

Dalay Lam