Said ! Par Ahmed Baba Miské

17 September, 2015 - 09:27

La violence du choc fut rude…quelques jours après le départ de BAMBA (Ould Yezid) ! Quelques jours aussi après la visite que je lui rendis avant mon départ à l’étranger. J’ai bien remarqué qu’il manquait un peu d’entrain et qu’il ne faisait aucune « commande » de livres, mais il me rassura en précisant que ce sera fait par mail (comme ce fut souvent le cas). Le choc fut d’autant plus rude que, lorsque je reçus la terrible information, je m’apprêtais à lui téléphoner pour demander une précision concernant un témoignage précieux dont il m’avait fait part lors de cette dernière visite…

Evoquer Mohamed SaÏd Ould Hamody c’est, bien avant les responsabilités assumées, les charges et les honneurs, les devoirs remplis et les combats menés, c’est d’abord l’affectif qui déborde, c’est un torrent de souvenirs d’enfance et de jeunesse à Atar, de Garnl Gasbeh au Point rond dont Dahah (Hamody) avait fait son lieu privilégié de Jamaaa ; ce sont les deux maisons mitoyennes de Hamody et Bazaid, c’est la MADRASA et Kanawal (avant Saint-louis et Faidherbe). C’est donc le petit frère qui allait vite devenir grand, et pas seulement par la taille ! Déjà l’AJM (Association de la Jeunesse Mauritanienne) lui fournira l’occasion de donner une idée de ses potentialités en qualités exceptionnelles qui feront de lui le champion des droits de l’homme, le (ré)conciliateur tous azimuts. Aussi dévoué et déterminé que d’autres militants qui ont pris avec lui la relève de notre génération à la tête de l’Association, Saïd se distinguait par un genre de charisme très spécial… quelque chose de rassurant, d’apaisant, d’humain simplement ; l’exact opposé des fanfaronnades « héroïques » dont les mouvements révolutionnaires de l’époque étaient familiers. Avec Saïd, le qualificatif « apolitique » dont on avait doté l’AJM (surtout après que son avant-garde la plus offensive a fondé la Nahda), pouvait paraître quelque peu crédible. Et pourtant, l’AJM restait éminemment politique mais clairement non politicienne, loin de la « beletig » honnie par les jeunes, tout en continuant à dénoncer les injustices commises par les autorités coloniales au mépris des Droits de l’homme et même des lois françaises théoriquement en vigueur. AJM et Nahda continuaient à cheminer en totale connivence. Comment convaincre les autorités coloniales (et néocoloniales en devenir) que cette connivence tacite ne traduit pas une action commune effective et que Saïd ce n’est pas Haiba…  alors que le premier ne se démarque absolument pas du second et ne condamne aucunement ses actions et déclarations à lui et à ses camarades arrêtés, emprisonnés, bannis... pour activités « subversives » etc ? C’est là qu’opère la magie de ce charisme particulier dont on vient de parler.

Un homme-bibliothèque

 

On retrouvera plus tard cette marque particulière dans la conduite de Saïd à l’égard des partis politiques. Il s’est engagé résolument lorsque la Démocratie a semblé être un choix sérieux du Régime en place, en adhérant au premier parti fondé en 1991, par son ami Ahmed Ould Sidi Baba. Il y a milité convenablement et, à l’occasion, a contribué très activement à une tentative de réconciliation, sinon de reconstruction de la classe politique ou, peut-être même de la POLITIQUE tout court. Ces efforts n’ayant pu aboutir et aucune perspective crédible n’étant apparue à l’horizon, Saïd a sans doute tiré de cette expérience et … du reste, des conclusions qui ne l’ont en tout cas pas rapproché de la politique politicienne, à l’égard de laquelle il avait une pratique définie durant les années 1950 par son ami Mohamed Abdallahi Ould Lhacen (s’adressant à Ahmed Salem Ould Boubout)فالزرك ان ياحمد سالم        كارد هون اطريكامنادم

من حزبو يغير امسالم لليعرفواللى ما يعرف .

Au-delà de ces joutes politico-poétiques qu’il savait apprécier en « veta » s’étant abreuvé au délicieux nectar d’Iguidi, Saïd avait compris très tôt que la Démocratie allait mettre bien longtemps à se relever des mauvais départs des années 1990 et qu’en tout état de cause la politique n’y suffirait sans doute pas. D’où l’intérêt particulier pour la société civile et les droits de l’homme. Tout en étant parfaitement à l’aise dans la société mauritanienne (et pas seulement Maure) telle qu’elle était, il n’en mesurait pas moins l’énormité des efforts à accomplir pour faire aboutir les innombrables transitions déjà entreprises (ou non) pour que la Société profite des bienfaits de la modernité inévitable, incontournable (et éviter le plus possibles de ses méfaits). D’où parfois une conduite qui étonne, une nonchalance un peu Oulad Deymane qui peut irriter les militants (ou affairistes), pressés mais ne signifie en fait ni renoncement ni goût du « farniente » érigé en philosophie.

Le vingtième siècle a permis à Saïd de servir magnifiquement son pays et d’accumuler un savoir et un savoir-faire étonnamment divers et varié.

Le 21ème voit donc apparaître un autre SaÏd : un homme-bibliothèque, au savoir encyclopédique pour autant que le sujet concerne de près ou de loin la Mauritanie. Très informé aussi sur le reste des connaissances disponibles dans le monde d’aujourd’hui, en particulier dans ses domaines de compétence professionnelle (relations internationales, droits de l’homme…). Mais c’est seulement sur la Mauritanie qu’on le sent presqu’à l’aise en se dispensant de sa modestie naturelle : c’est quasiment lui faire injure que de supposer qu’il ne soit pas au courant de l’existence de tel livre ou document écrit sur la Mauritanie, depuis l’origine des temps jusqu’à ce jour, iconographie comprise. Et cela fait plus d’un demi-siècle qu’il s’est mis en devoir de rassembler cet immense savoir et qu’il y a réussi mieux sans doute que personne.

Saïd a donc fait de sa bibliothèque personnelle un havre particulièrement accueillant, un vrai paradis pour les chercheurs, étudiants, enseignants ou même simples curieux intéressés par l’histoire ou la culture de leur pays. L’accueil est vraiment quelque chose d’étonnant, d’unique : sans parler du visiteur connu, ami ou non qui est traité avec la familiarité si simple et si « aisante », inimitable, qui lui est propre, l’inconnu est tout de suite subjugué : il lui suffit de dire qu’il est « vlân ould vlân » pour entendre parler des siens comme si son hôte était un vieil ami de la famille ! Que celle-ci soit du Charg ou du Sahel, du Guidimakha ou du Trarza. Un paradis pour les chercheurs ? Dans quelle bibliothèque ceux-ci peuvent-ils trouver un guide qui est en même temps un érudit polyglotte, un hôte généreux, un interlocuteur d’une politesse exquise et d’une disponibilité sans limites ? Ce qui va manquer à beaucoup d’entre nous, c’est cette « banque de données » vivante, extraordinaire à laquelle il suffisait de donner les caractéristiques d’un membre de la société civile ou d’un militant ou intellectuel de telle région ou de telle « chariha », pour avoir la réponse adéquate (y compris les coordonnées des intéressés et, éventuellement, une introduction personnelle de sa part !).

Le problème avec la mort, c’est que, tout bêtement, il n’y a rien à faire. Alors, simplement, inna lillahi wa inna ileihi rajioun. Heureusement qu’il y a cette recommandation prophétique :

اذكروا محاسن موتاكم

Avec al Marhoum, on n’a pas à se forcer pour respecter ce hadith, mais au contraire, pour ne pas abuser de la patience du lecteur.

Rahimallahou Mohamed Saïd Ould Hammaddi Rahmatan wassiatan.