Procès en appel de Biram, Brahim et Djiby Sow : Rideau sur une mascarade

27 August, 2015 - 01:49

La Cour d’Appel d’Aleg a confirmé, le jeudi 20 Août, les peines de deux ans de prison ferme et cent mille ouguiyas d'amende infligées, en première instance, par la Cour correctionnelle de Rosso, à chacun des trois accusés, Biram Dah Abeïd, Brahim Bilal Ramdane et Djiby Sow. Après avoir mis en délibéré, pour deux heures d’horloge, l’audience ouverte en l’absence des prévenus et du pool des avocats, s’est retranchée derrière un véritable cordon de policiers. D’un ton hésitant, le président de la Cour, Daouda Moussa Diallo, a suivi le réquisitoire du procureur de la République, Mohamed Lemine ould Teyib, qui avait demandé, d’un trait, lors de la lecture d'un réquisitoire griffonné et plein de ratures, interrompue par la sonnerie de son téléphone qui ne cessait de crépiter, la condamnation à deux ans des prévenus.

Biram et Brahim sont donc restés fermes sur leur position, en refusant de comparaître. Une absence constatée par le commissaire de police de Bababé, Soumbara ould Moud, chargé d’extraire les deux prévenus qui avaient décidé, avec leurs conseils, de boycotter ladite audience correctionnelle de la Cour d’appel, « point leur juge naturel, seul pouvant, au regard des conventions internationales et traités, connaître leur dossier et d’y dire le droit et la justice ». De l’avis du pool des avocats, « il n’y a plus aucun doute quant au caractère politique de ce procès, notamment depuis le bannissement extrajudiciaire des prévenus de maison d’arrêt de Rosso à la prison d’Aleg, ridiculisant la tentative visant à couvrir ce bannissement d’un semblant de légalité, après coup, par une décision de la Cour Suprême soustrayant le dossier des mains de la Cour d’appel vers celle d’Aleg, sans aucun moyen de droit ».

« Nous n’irons pas au procès, à moins qu’on nous amène de force au palais de Justice. Nous ne descendrons pas des voitures de nous-mêmes. Si l’on nous amène de force à la barre, nous ne répondrons pas aux questions du juge », avaient annoncé, la veille de l'ouverture du procès, Biram et Brahim, à la prison civile d’Aleg. Ils entendaient ainsi manifester leur « opposition, tant de fond que de forme, à un prétendu jugement à Aleg, loin des aspirations légales et légitimes de tous les points de vue […]Nos clients se disent convaincus que l’organisation, par le pouvoir, de ce procès, dans des circonstances de lieu et de temps particulièrement défavorables, vise, en fait, à empêcher l’opinion publique nationale et mondiale – qui est leur principal soutien – d’assister à cette audience », ont réaffirmé les avocats, dans un communiqué rendu public.

« Ce procès ne vise pas », a expliqué Biram, lors d’une rencontre avec des journalistes, dans le pavillon de son lieu de détention, « à trouver un règlement apaisant et apaisé à la très grande question nationale de l’esclavage et du racisme contre les Haratines. Une question dont dépend la réalisation de tous ce qui est souhaité et bénéfique pour la Mauritanie, c'est-à-dire la fin de l’impunité, de l’esclavage et du racisme ; la réalisation, enfin, de l’Etat de droit et de l’équité en Mauritanie, d’un vivre ensemble et d’une paix durable entre toutes les communautés. C’est cette noble aspiration qui interpelle tous les Mauritaniens, quelles que soient leur race, leur ethnie, leur tribu. C’est à cette aspiration que le pouvoir de Mohamed ould Abdel Aziz doit tendre et non à tenir un simulacre de procès », s’est exclamé le leader abolitionniste.

 

Procès politique

 

Loin d’être ébranlés par huit mois de détention et, tout au contraire, ragaillardis par les quelque trois cents visites hebdomadaires de proches et de militants, les deux leaders récusent le tribunal d’Aleg et le juge unique « à la solde du pouvoir. Ils ne sont pas aptes à recevoir, traiter et décider d’une question aussi importante dont dépendent la survie et le bien-être de tout un peuple. Cette question sacrée requiert une conférence nationale ou des Etats généraux nationaux où participeront tous les acteurs de la communauté nationale mauritanienne. Le régime cherche à se dédouaner à travers un procès politique mais nous ne lui offrirons aucune porte de sortie en ce sens », ont précisé les célèbres détenus d’Aleg. Et de révéler, à la presse, diverses tentatives menées, par certains éléments proches du pouvoir, visant à trouver une issue à cette affaire. « Mais la première de nos doléances n’est certes pas de nous libérer. Pour nous, il existe des dossiers d’importance majeure que le pouvoir devra résoudre en premier lieu : notamment l’esclavage, la question de l'impunité et celle de l’unité nationale… »

Aux personnes prétendument envoyées par les autorités pour négocier leur libération, Biram n’aura donc eu de cesse de rappeler que « là n’est pas la question, on refuse d’ailleurs d’en discuter. Peu importe, pour nous, de sortir maintenant ou dans deux ans ; ce qui nous intéresse, par contre, ce sont les questions nationales, la reconnaissance officielle de l’esclavage par les autorités qui multiplient les lois pour criminaliser un phénomène dont elles nient l’existence ; la reconnaissance de la nature raciste et discriminatoire de l’Etat, le partage des richesses et des privilèges, l’égalité et l’équité entre tous les citoyens, sans distinction ». Et de rappeler que les forces progressistes doivent s’entendre sur les revendications communes, portant sur la cohabitation et l’unité nationale, au lieu de disperser leurs efforts par des querelles personnelles.

Aux députés de la majorité qui reprochent, à Mohamed ould Abdel Aziz, de n’avoir pas liquidé l’IRA, Birame demande de quel genre de liquidation parlent-t-ils, « une liquidation physique de ses leaders, un massacre collectif des militants du mouvement, pour un INAL bis ? » Et d‘interroger ces mêmes députés qui dénoncent l’ingérence des pays et organisations internationales dans les affaires intérieures du pays : « souhaitez-vous donc le retrait de la Mauritanie de toutes les conventions sur les droits de l’homme qu’elle a ratifiées et qui donnent, à la Communauté internationale, un droit de regard sur ce que se passe sur notre sol ? »

A l'annonce du verdict, une colère sourde envahit la salle, avec des « A bas Ould Abdel Aziz ! », « Vive Biram ! », sans qu’aucun incident ne perturbe plus la journée. Avant l’ouverture de l’audience d’appel, quelques échauffourées avaient toutefois opposé les militants d’IRA aux forces de l’ordre venues en masse de Bababé, Kaédi et Nouakchott. L’imposant dispositif sécuritaire avait pris d’assaut tôt le matin le palais de Justice, bloquant la route de l’Espoir.

Thiam Mamadou

 

Boubacar ould Messaoud : « Injustice, encore et toujours… »

Réagissant au verdict de la Cour d’appel d’Aleg, le président de SOS Esclaves s’est dit « pas surpris par cette sentence. Mais je m’attendais à ce que la Cour tente, au moins, de prouver les faits reprochés à Biram et Brahim. Malheureusement, elle en a été incapable, se bornant à confirmer le verdict injuste de la Cour Correctionnelle de Rosso. Déni de justice et discrimination, donc, encore et toujours, depuis les arrestations de haratines, avec un négro-africain annoncé témoin à charge » et bientôt ficelé dans le même sac. « Il était nécessaire de les libérer tous, afin de décanter la situation… C’est bien dommage de ne pas l’avoir compris », déplore le président de SOS Esclaves.