Témoignage Nécrologique : Cheikh Dah nous quitte, conservons sa mémoire

24 August, 2015 - 02:21

Qui mieux que Cheikh Dah Ould Dahah, de son vrai nom Mohamed Said Hamody, peut présenter la famille éponyme au parcours exceptionnel, patriotique  et  atypique  que rien ne prédestinait à cultiver l’amitié avec la France : « Mon père, disait-il, encore vivant, vécut le traumatisme de la disparition de son demi frère tué par les français à la bataille de HOFRATT OUADANE en 1910. Mon frère, Mohamed El Haiba était un dirigent du parti nationaliste anticolonialiste AN-NAHDA  AL WATANIA AL MOURITANYA, ce qui lui valut un internement administratif à la veille de l’indépendance. Mohamed Saïd, adolescent, a mené sa guerre à la Don Quichotte contre la France durant l’agression tripartite de Suez et la guerre d’Algérie. » La famille d’Ehl Hamody , dixit Al Marhoum , avec sa verve et son humour légendaires,  « sans doute influencée par cet aphorisme du grand penseur Sun Tzu qui écrivait il y a 2500 ans que : « … jamais guerre prolongée ne profita à aucun pays », et remplaçant « pays » par « homme », a opté pour le statut de notables et pour la paix ; et votre grande nation, Monsieur l’ambassadeur, a échappé ainsi à un Poitiers à l’envers >> . Telles étaient les paroles du regretté  Mohamed Said,  à l’occasion de la remise de la médaille de chevalier de la légion d’honneur, le 9 décembre 2005, à l’ambassade de France. C’est la face cachée du militant précoce, en faveur des causes justes, du talentueux écrivain , auteur de la bibliographie générale de la Mauritanie et, des actes du 1er colloque international sur la patrimoine culturel mauritanien, tenu à Nouakchott les 29 , 30 novembre et 1er décembre 1999.

            J’ai encore souvenance alors que je faisais mes premiers pas à la découverte de ce monde artistique et culturel qui m’était peu familier, de la nouvelle répandue  à Atar de la représentation par mes ainés de la jeunesse de 68 , de deux pièces théâtrales, l’une relative à l’émir résistant Sid’Ahmed Ould Aida  et l’autre sur l’esclavage écrites toutes deux par  cet  « esprit libre », révolté mais pas révolutionnaire  qu’est Mohamed Said.  Autant, il pouvait être rebelle et provocateur, autant, il était  pacifique, médiateur et  conciliateur de bon aloi.

       Mon premier attachement à la lecture de sa production intellectuelle remonte à la fin des années 70 lorsqu’il prêta sa belle plume à El Malik Hamam pour transcrire fidèlement ses élucubrations.

      Plus tard, au milieu des années 90, alors que j’étais en poste à Paris, je me suis familiarisé avec mon ainé, père et frère Al Marhoum Mohamed Said à qui je suis déjà lié par des liens de voisinage, de sang et de lait. C’était à chaque fois une rencontre d’échanges instructifs et constructifs. A chacun de ses séjours, je l’accueillais, l’installais dans son hôtel et on se donnait rendez-vous pendant nos heures oisives pour des randonnées à la redécouverte de la ville lumière et de ses proches banlieues.

      Avide de culture, d’une curiosité inassouvie, grand aventurier, il ne cessait de me promener à la recherche d’un livre, d’une carte postale, d’un timbre, d’un poster sur la Mauritanie qu’il aimait sans limite. Nous parcourions Paris à travers ses arrondissements et ses monuments avec un attrait particulier pour ceux riches en histoire et en culture tel que le Quartier Latin, Montmartre ou encore les Invalides. Il était également fasciné par la maison-musée d’Emile Zola à Medan.

C’est d’ailleurs lors de notre visite de l’esplanade du musée de l’art moderne situé à quelques pas du métro d’Iéna qu’il publia son récit sur la statue de la mauresque dans le journal La Tribune.

Depuis ces rencontres parisiennes, je ne me suis jamais séparé de ce mentor aux qualités humaines extraordinaires : humble, généreux, austère, affable et toujours proche du faible.

        Parmi les traces indélébiles de notre amitié, je conserverai fièrement son message dans le livre d’or des visiteurs de ma modeste bibliothèque.  Il était le premier à me laisser le témoignage suivant : « Quel plaisir de trouver au 1er arrondissement ce coin de lecture exquis. Mais connaissant mon jeune frère Jemal, sans parler de la passion de sa famille pour l’écrit et les idées, je ne suis pas étonné. Mais je suis quand même heureux et fier du résultat », Nouakchott le 20 juin 2002 et le 10 Rabi Ethani 1423. MSH.

                Que dire ?  Il n’est pas aisé de retracer en une ou deux pages le parcours immensément riche de cet écrivain diplomate,mltidimensionnel qui a rendu tant de services à la patrie.

               Ma dernière rencontre avec Al Marhoum Mohamed Said était à la veille de son départ au Maroc pour une consultation médicale. Je l’ai trouvé affaibli. Mais il était d’une sérénité et d’un courage qui n’ont d’égaux que sa profonde conviction au Créateur. Je me suis rappelé qu’il  me disait, au cours de discussions à bâtons rompus, qu’il ne craint pas le rendez vous avec la mort, cette sentence inévitable, «  Ou que vous soyez, la mort saura vous atteindre, même si vous êtes dans des citadelles fortifiées », Coran, IV- 78 Les Femmes.

              Cheikh Dah s’en est allé, ce jeudi 20 aout 2015, dans un hôpital de Casablanca. Une nouvelle qui a consterné le monde de la culture et de la Diplomatie. C’est la Mauritanie dans toutes ses facettes qui est endeuillée.

             A l’occasion de ce douloureux événement, je transmets mes condoléances les plus attristés à toute la Mauritanie et particulièrement aux chercheurs de tous horizons, ainsi qu’à sa petite famille qu’il chérissait : Mariem dite Sweidah, l’ascète Mohamed Brahim, à Sweivie et à Salka.

            De grâce,  continuons à préserver la mémoire vivante du père du patrimoine culturel national. Une Fondation Mohamed Said Ould Hamody pour la conservation du patrimoine et la diversité culturelle s’impose plus que jamais. Elle est d’autant plus nécessaire qu’elle trouve sa justification dans notre foi religieuse : << ….. Les écumes se perdent en déchets alors que ce qui est utile aux hommes demeure. Telles sont les paraboles qu’ALLAH propose aux hommes. >> Coran, XIII-le Tonnerre.

          Qu’il repose en paix au cimetière des Awlad Meije aux côtés de personnages mythiques qui lui sont si chères. Et que la terre lui soit légère. Amin.

 

                                                      Ahmed Mahmoud Ould Mohamed Ould Ahmedou dit Jemal

                                                                            Abuhamdi2@hotmail.com