Situation politique bloquée, pauvreté galopante, fossé de plus en plus large entre riches et pauvres : Comme un malaise

18 June, 2015 - 02:00

La scène politique mauritanienne semble traversée par une espèce de malaise. Un malaise que viennent accentuer toutes sortes de rumeurs. Un site web s’est même risqué à évoquer des « rumeurs de coup d’Etat ». C’est dire combien le malaise enfle. Une chose est sûre aujourd’hui : il gagne les esprits. La politique est quasiment en panne et les marmites ne se portent pas bien. Pourtant, nous ne sommes pas dans une atmosphère de fin de règne ni dans un régime où la majorité des citoyens sont lassés de leur despote, comme au Cameroun, au Congo ou au Zimbabwé. Ici, le Président vient d’entamer son deuxième – et dernier ? – mandat à la tête du pays. Il clame, lui, avec son gouvernement, que le pays se porte à merveille, a connu des progrès importants : grosse  réserve de devises, croissance  de 6%, myriade de réalisations… En somme, nous sommes dans ‘’un pays où il fait bon et beau vivre’’, pour reprendre les termes de notre guide éclairé. Alors, de quoi se plaignent ces grognards de Mauritaniens ?

La réalité semble un tantinet différente. Où que nous allions, antichambres de nos ministres, bus, taxis et marchés, les citoyens, visiblement très affectés par la cherté de la vie, se demandent si cette situation d’incertitude et de pauvreté va s’arrêter, un jour. Partout, on clame que la vie devient de plus en plus difficile. Les pères de familles éprouvent d’énormes difficultés à joindre ou à rapprocher les deux bouts du mois. Et tous de chercher le diable, pour lui tirer la queue.

Dans nos commerces, nombre de boutiquiers et gérants laissent entendre qu’ils peuvent passer des jours entiers sans voir un seul client. Dernièrement,, le reporter du Calame a été frappé par le peu de fréquentation du marché 5ème (Sebkha). Alors que mauritaniens et autres clients venus des pays voisins se bousculaient, d’habitude, dans ce qui était un des plus populeux marchés de la capitale mauritanienne. Aujourd’hui, on s’y promène sans gêne. L’argent est parti se réfugier ailleurs.

Autre facette, les jeunes femmes de la vallée accourent, en masse, à Nouakchott, en quête de travail. Elles sont chassées de chez elles par la pauvreté, conséquence d’une sécheresse devenue endémique. Leur cheptel a disparu. Ceux qui empruntent les axes des PK, Sebkha et El Mina, carrefour de Nouadhibou et alentours de l’église peuvent constater, chaque jour que Dieu fait, l’allongement des files de ces femmes, bébés parfois au dos, en partance vers les quartiers huppés de Tevragh Zeïna. « L’autre monde », au regard de la banlieue. Allez voir : pendant que tant de Mauritaniens tirent le diable par la queue, se battent, non pas pour vivre, mais, très prosaïquement, juste survivre, d’autres bâtissent d’insolentes des villas, des châteaux qu’on ne trouve  qu’en certains pays du Golfe, se constituent troupeaux et ranchs. Circulez sur la route de Soukouk, à la sortie de E-nord. Vous serez édifiés.

 

Frustration et haine

D’où proviennent ces fortunes ? Du budget de l’Etat et des commissions occultes de gros marchés, comme ceux du nouvel aéroport  de Nouakchott et autres, diront certains. Des détournements de biens publics, prétendument difficiles, depuis un certains 8 Août 2008, ajouteront d’autres. De la drogue et autre trafics auxquels se livre une nouvelle caste, pour ne pas dire nouvelle classe, d’homme d’affaires, s’aventurent les plus téméraires. En tout cas, on pourrait suspecter que cet argent provient d’un « certain » blanchiment. Faire le mendiant dans les pays du Golfe, amasser des fonds pour construire des mosquées et écoles au profit des pauvres, détourner quelques millions d’ouguiyas, bénéficier de quelques commissions ne suffisent pas à justifier ces richesses qu’on ne se gêne pas  à exhiber dans une République islamique, dans un petit pays où tout se sait. Voilà, en tous cas, de quoi générer frustrations, haines voire révoltes.

Pourtant, on y avait cru. En s’emparant du pouvoir, en ce 8 Août 2008, en enfourchant, comme cheval, la lutte contre la gabegie et  la pauvreté, Ould Abdel Aziz a suscité un immense espoir, au sein de la Mauritanie d’en bas, parmi les mauritaniens laissés-pour-compte. On avait cru, peut-être naïvement, que quelque chose allait changer, que les inégalités auxquelles on nous avait habitués allaient tendre à leur disparition. Hélas ! Le chevalier blanc aurait-il pu faire mieux que brandir les symboles de la gabegie et de la pauvreté ? Aurait-il pu remuer davantage ce grand mammouth malade qu’est notre pays et le système qui le gouverne ? Va-t-il s’arrêter à la « dynamique qu’il a créée », comme le disait un de ses ministres, lors de sa visite à M’Bagne ?

Il est difficile de répondre par l’affirmative.  L’actuel président, quelles que soit les belles ou nobles intentions qu’il a pu nourrir pour le pays, est le fruit d’un système  à la « déconstruction » duquel il ne peut se risquer. Aurait-il pu essayer ?

Le système qui l’entoure ne lui facilite pas la tâche, à moins d’être un tracteur, comme aimait se nommer  un ancien wali de l’Assaba.  Certains, qui n’avaient pu se faire les poches sous Ould Taya, se sont tôt incrusté dans la nouvelle version du système, pour rattraper l’occasion perdue, d’autres ont pu se faire recycler, pour échapper à la lutte contre la gabegie. Une mare grouillante d’opportunistes. La Mauritanie n’en fait que pâtir. Les visites que le Président vient d’effectuer à l’intérieur du pays confortent ses adversaires : rien ne diffère du système Taya.

Comment, dans un pays dont le chef s’est proclamé « président des pauvres », le gouvernement ne diminue pas les prix du carburant, des produits de première nécessité, ne contrôle aucun prix ? On m’objectera, ici, les programmes Emel : ils s’essoufflent. Comment et pourquoi persiste, sur certains produits, le même monopole si vigoureusement dénoncé en 2008 ? Espérons que les tournées à l’intérieur du pays produiront un déclic, dans l’action présidentielle, susciteront une nouvelle gouvernance… Sinon, elles n’auront servi à rien. Quasiment à rien.

DL