M. Bâ Amadou Racine, ancien ministre, dans une interveiw exclusive : ‘’Le communautarisme et le discours identitaire sont devenus une réalité. C’est un véritable danger pour le pays’’

10 June, 2015 - 23:57

Le Calame : Le président de la République vient de boucler une tournée au Brakna, et à l’occasion, il a passé quelques heures, chez vous, à Bababé. Quelles étaient les attentes des populations de votre département ? Pensez-vous que des réponses promptes seront apportées par le gouvernement aux nombreuses doléances des populations ?

Bâ Amadou Racine : je vous remercie de cette occasion que vous m’offrez de commenter cette importante visite du président de la République au Brakna. J’en profite aussi pour féliciter votre médium, le Calame dont la ligne éditoriale est très correcte et très appréciée par tous les patriotes de ce pays.

Effectivement, le Brakna a eu l’honneur d’accueillir le président Mohamed Ould Abdel Aziz, entre le 28 mai et le 1er juin 2015 ; il a passé la journée du 31 mai dans le département de Bababé.

Les attentes étaient nombreuses et variées car ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit, chez soi, le président de la République. Les populations que nous avions sollicitées sont sorties en masse pour un accueil chaleureux malgré les conditions climatiques difficiles. Les problèmes existent et ils sont nombreux. Ils vont de la santé à l’éducation, de l’agriculture au problème d’enrôlement des citoyens. Vous savez qu’un nombre important de rapatriés se trouvent dans ce département de Bababé. Il y a de sérieux  problèmes d’insertion, de recensement, d’eau, d’écoles etc. Les infrastructures scolaires et sanitaires sont en général assez vétustes, n’ayant pas connu d’entretien depuis des lustres.

A Bababé, le président a visité l’hôpital  départemental et une école fondamentale construite en 1952 ; il a d’ailleurs promis de reconstruire cette école car les travaux de ravalement étaient mal faits.

Le temps n’a pas permis de visiter le lycée de Bababé créé en 1982 dont certaines salles de classe menacent de s’écrouler.

Le projet de développement agricole d’Aéré M’Bar a été visité. Dommage qu’un autre périmètre agricole de 150 Ha au sud de la ville de Bababé n’ait pu avoir cette chance. Les travaux de ce périmètre commencés en 2005 ne sont toujours pas achevés. Ces terres sont inutilisables pour les paysans à l’heure actuelle. Le manque à gagner est énorme pour ceux qui n’avaient comme ressources que ces lopins de terres du Walo. A l’occasion des crues du fleuve, des accidents mortels sont fréquents dans cette zone.

En marge de cette visite présidentielle, le ministre de l’intérieur et les responsables de l’état civil ont eu une séance de travail avec certains élus du département. J’espère que les pendules ont été remises à l’heure. Une commission d’ailleurs a été créée à l’issue de cette rencontre pour trouver des solutions aux problèmes posés.

Restons optimistes et vigilants pour que les problèmes soient résolus après le départ du président de la République.   

 

- Les visites présidentielles sont souvent mises à profit par les acteurs politiques locaux pour étaler leurs divergences. Bababé a-t-il échappé aux guerres des clans ?

- Les acteurs politiques se crêpent les chignons lors des visites présidentielles, cela n’est pas nouveau ; c’est une des marques de la vivacité de la démocratie et du dynamisme des partis politiques. L’essentiel est que cela ne tourne pas à la violence, à des animosités, à des haines tenaces et à des préjudices aux populations qui n’ont rien à gagner de ces rivalités et de ces querelles de clocher.

Ces antagonismes de circonstances, liées aux ambitions des uns et des autres  sont monnaie courante car la marge de promotion est très étroite.

A Bababé, les divergences n’ont pas été supérieures à la moyenne régionale ou nationale.

Il faut avouer que les autorités préfectorales n'ont ménagé aucun effort pour que l'accueil soit inclusif, discipliné et massif. Aucun détail ne fut épargné.

 

-A votre avis, pourquoi le président de  la République, réélu  pour un dernier mandat et disposant d’une «  majorité confortable » au Parlement  demande-t-il à dialoguer avec son opposition dite « radicale » ?

Et quel profit l’un et l'autre pourraient tirer de ce  dialogue ?

-je me suis moi-même posé cette question à plusieurs reprises. Mais, il faut aussi se dire qu’en sa qualité de chef de l’Etat, il est utile et nécessaire de bien connaître son pays, d’avoir le pouls de la population et de mieux cerner les préoccupations des citoyens. Donc, comme disent les anglais, Why not. Cela fait partie de ses prérogatives et de ses obligations.

Les profits à en tirer ? Il est vital que tout le monde veille à la stabilité, à l’unité et au développement économique et social du pays. Les menaces existent. Il suffit de regarder autour de nous. Il est très important de ne pas jouer avec le feu et aux apprentis sorciers car notre pays est très fragile et les dangers nous guettent de tous les côtés. Tout le monde doit en être conscient.

 

-Le président de la République que l’opposition suspecte de nourrir l’ambition d’obtenir un 3e mandat entreprend une série de tournées  à l’intérieur du pays. Que peuvent rapporter ces visites aux populations visitées si des sanctions ne sont pas prises à l’encontre des auteurs des manquements constatés par le président sur le terrain?

- La prochaine campagne électorale présidentielle est constitutionnellement prévue dans 4 ans. Pourquoi poser le problème dès maintenant ? N’avons-nous pas plus urgent à régler ?  Nous ne pouvons pas être en campagne électorale permanente. Un peu de patience, respectons notre constitution. Cessons ces politiques politiciennes pour nous concentrer sur l’essentiel : la lutte contre la pauvreté, l’ignorance et les maladies.

On ne doit pas être en permanence dans des batailles de positionnement et des guérillas politiques.

Notre développement économique et social doit être primordial car nous avons un pays sous –développé et sous équipé et nos populations souffrent. Il suffit de se rendre à l’intérieur du pays ou dans les périphéries de nos  grandes villes pour constater que les préoccupations sont différentes de celles des salons de Nouakchott.

Que le gouvernement gouverne, que l’opposition s’oppose dans la paix et les règles démocratiques.

En ce qui concerne les manquements  dont vous parlez, j’espère vivement qu’il y aura des sanctions pour l’exemple, s’il y a fautes. Tout responsable ou simple fonctionnaire doit être comptable de ses agissements ; il doit répondre de ses actes. Il y va de la crédibilité de l’Etat. 

 

-On assiste depuis quelques années  à la montée de discours  « identitaires ou/ communautaristes » que le pouvoir déclare vouloir combattre. Pourquoi  et comment, à votre avis, la Mauritanie en est arrivée là ?

-Le communautarisme et le discours identitaire dont vous parlez sont malheureusement une réalité de ces dernières années. C’est un véritable danger pour le pays. Le problème doit être pris au sérieux. Il faut que tous les citoyens se sentent chez eux en Mauritanie. Un Etat fort doit veiller à ce que le droit soit appliqué à tous, les devoirs suivront inéluctablement. Les injustices, les marginalisations sont des menaces très sérieuses dans tout pays, tout comme le sentiment de frustration.

Une attention particulière doit être accordée à cette question car il y va de la survie de la « nation mauritanienne »

Que Dieu protège la Mauritanie  et encore une fois merci pour cette opportunité. 

 

 

Propos recueillis par DL