De Walata, Inal, Jreïda à Guantanamo

14 May, 2015 - 01:50

Walata, Inal, Jreïda font partie de la carte de la géhenne mauritanienne tristement célèbre en raison de leurs catalogues d’atteintes graves aux droits humains. Guantanamo est connue pour être une incroyable base américaine en territoire cubain plus célèbre, malgré cela, pour sa musique, notamment ce très joli morceau de salsa, très souvent accompagné du grand flûtiste Johnny Pacheco que beaucoup croient cubain, alors qu’il est dominicain. Aucun mélomane ne peut s’abstenir d’esquisser quelques pas de danse en l’entendant. Mais pourquoi Guantanamo sur la carte de la géhenne mauritanienne ? Notre compatriote Mouhamedou ould Slahi, confrère pour certains, apporte la réponse à tous ceux qui se posent la question.

« Au mépris de toutes les garanties prévues par la loi, mon pays m’a livré aux Etats-Unis, comme si j’étais une sucrerie. Les Américains m’ont envoyé en Jordanie pour y être torturé puis à Bagram et, enfin, à Guantanamo. [ … ] Je vis hors du monde depuis quatre ans. Pourquoi ? Parce que les hommes ne servaient ni l’Etat, ni le régime, ni la Nation mais un système ». Cette citation est extraite de son best-seller « Les carnets de Guantanamo », publié, en France, le 21 Janvier 2015, aux éditions Michel Lafont. Une partie de la quintessence de l’historiographie des crimes en Mauritanie, arme redoutable contre les tortionnaires comme « L’enfer d’Inal » ou « J’étais à Walata », sans parler des articles de conscience et résistance.

 

« En gagnant mon pain »

Tel est le titre du livre où le russe Maxime Gorki racontait les souffrances vécues pour gagner sa vie. Chez nous, les hommes du système nous ont fait souffrir pour gagner la leur. Pour ceux qui avaient des doutes ou l’ignoraient, le colonel Ely ould Mohamed Vall, directeur général de la Sûreté nationale, sous le règne de Maawiya, puis président du CMJD, lors de la Transition 2005-2007, nous a apporté des éclaircissements sur cette question, dans sa déclaration, au palais présidentiel en Août 2005, devant des journalistes, des hommes politiques et des défenseurs des droits de l’homme.

« Je n’ai nulle honte de dire que j’ai appartenu au système et que je l’ai servi. Les dérives arrivent par fatalité, parfois par inversion, parfois par manque de vigilance. Malheureusement, nous sommes dans le Tiers-Monde, notre pain quotidien dépend de l’Etat, aucun parti ne peut le concurrencer ». Parmi les remarques, on constate que le colonel a manqué de qualifier le système. La gravité de ses propos se mesure par la fonction et le grade de cet officier supérieur. Heureusement que le mot « système » est une borne-frontière incontestable, pour éviter d’entrer dans la généralisation. Contrairement aux grotesques mensonges utilisés comme tactique de communication, il y a des citoyens, militaires et civils qui ne sont impliqués ni de près ni de loin dans cette compilation d’exactions. Cette implication ne concerne que les concepteurs et les exécutants et non la communauté dont ils sont issus. Dans ce cadre, il y a une précision de nécessité absolue. A savoir que ceux qui sont accusés le sont par leurs faits et non par la couleur de leur peau, même s’il faut laisser une marge d’erreur ; tout comme ceux qui accusent le font par ce qu’ils ont subi et non par la couleur de leur peau. L’histoire continue de donner raison à ceux qui pensent ainsi.

 

Système pervers

Les compatriotes qui ont protesté ont été marginalisés, diabolisés ou limogés, comme le colonel Sidina ould Sidiya, ministre de l’Intérieur de Février à Avril 1991, que son âme repose en paix comme celle de tous nos grands hommes ! Il est clair que nous étions tous exposés aux étiquettes (traîtres, terroristes, militants de conscience et de résistance, Flamistes, Baathistes, communistes, Nasséristes) selon les lubies du système. Il est facile d’être terroriste. Le président Mandela et ses compagnons de lutte de l’ANC, ministres ou élus, étaient encore classés comme terroristes, par les Américains, jusqu’à une date récente. Condoleezza Rice devait s’investir personnellement, on s’en souvient, pour leur obtenir un visa. Universellement, les services de renseignements et de sécurité sont un aiguilleur pour éviter, à l’Etat, de commettre des erreurs. Mais ils sont, également, symbole de puissance, instrument d’influence, de chantage, de désinformation, de manipulation et de menaces. En raison des dossiers sensibles à traiter, cible de toutes les accusations vraies ou fausses, l’occupant de cette haute fonction doit être un excellent berger de la prudence, de la modération, de la réconciliation et de l’unité nationale.

Le prix payé, par les citoyens, afin que les hommes du système gagnent leur pain, est très élevé en vies humaines, douleurs, chagrins, lévirat et larmes. Le pays est passé du Tiers au Quart-Monde, avec la démission de l’Etat dans tous les secteurs – en particulier, l’éducation, la santé et la justice – et la disparition des sociétés d’Etat visant à améliorer les conditions de vie des citoyens (SONIMEX, PHARMARIM, SMCP, etc) ou l’Orchestre national, symbole de notre diversité culturelle, l’Institut des langues nationales, véritable pont, cité comme référence pour la promotion des langues nationales en Afrique.

Autres caractéristiques du système : tendre les relations avec tous les pays voisins, monter les communautés nationales les unes contre les autres, transformer le pays en poubelle nucléaire… A ce dernier égard, l’interview donné au journal « Le Temps », par le ministre chargé du dossier, à l’époque, ne convainquit personne par ses démentis. La paupérisation exponentielle a enfanté une rupture avec notre très bonne éducation d’antan. Les vols, viols, agressions font les choux gras de la presse.

 

Pluie d’injustices et d’impunités sur le pays

La mise en chantier d’une Mauritanie des uns sans les autres passait par le déréglage de l’éthique, de l’ordre et de la discipline, dns un torrent de magouilles et de combines. Des chalutiers étrangers qui éperonnent des pirogues de paisibles pécheurs artisanaux, avec mort d’hommes, en toute impunité. N’a-t-on pas vu, à Nouakchott, des essenceries et des boulangeries dans une même cellule ? A propos de l’éthique, hommage particulier, cependant, à Ghassem Bellali, ancien maire de Nouadhibou, au Docteur Bah Moctar, ancien DG du CNROP, et à Limame Cherif, consultant.

Le pays est passé de la diplomatie rayonnante à l’aplatissement, du non-alignement à l’arrimage et d’une monnaie nationale forte au fifrelin. Pour compléter ce dossier, lire « Ceux qui ne veulent pas passer la main », de Brahim Bouleïba, dans CRIDEM du 8 Avril 2015.

Mais c’est en consultant le répertoire de nos 28 Novembre nationaux qu’on mesurera l’étendue du désastre. Trois ont profondément marqué le pays. Le 28 Novembre 1960, c’était l’indépendance, mâtinée mais balayée par la révision des accords de défense, de commerce et des finances avec la France. La naissance, en 1973, de l’Ouguiya, notre monnaie nationale, annonçait-elle la prise en mains de notre destin ? Mais, « dans une main, ou il y a un ciseau pour déchirer, ou une aiguille pour coudre » (proverbe peulh). Et, certes, c’était bien la Mauritanie de l’aiguille, le 28 Novembre 1974, avec la nationalisation de la MIFERMA, cette société française qui exploitait le minerai de fer de Zouérate. Une décision qui mobilisa le peuple en un seul, pour manifester son ras-le-bol de l’exploitation capitaliste. Elle confirmait l’attachement de la Mauritanie au mouvement des non-alignés, né du sommet de Bandung (Indonésie) en 1954 et, mieux, l’exécution des résolutions du sommet d’Alger de 1973 pour un nouvel ordre économique international. Madagascar nationalisera, à son tour, Diego Suarez, la plus grande base navale française de l’Océan indien. Sans parler de l’Algérie, pour le pétrole et le gaz ; ou du Chili, pour le cuivre.

Mais, seize années plus tard, 28 Novembre 1990, voici que se manifestait la Mauritanie du ciseau : arrestations massives et arbitraires, tortures, pendaisons, fosses communes, extorsion d’aveux, pour un complot chimérique… Isolé sur le plan international, le système annonçait la découverte d’un complot ethnique. Pour sortir de cet isolement et bénéficier de l’altruisme du monde arabe, bien sûr avec la plasticité de certains citoyens, la connivence avec Israel fut brandie. Ce n’était donc pas la main de la Mauritanie mais celle de l’étranger qui tenait le ciseau… Des années plus tard, le mensonge ayant atteint ses limites dans le monde arabe, le système établira des relations diplomatiques avec l’entité sioniste dont il sera le meilleur allié (dans le monde arabe) La traque d’innocents qualifies d’islamistes prit alors la relève, afin de déverrouiller le portefeuille américain très resserré par la facture de notre soutien à Saddam… (A suivre)

 

Wane Abdoulaye Néto

Colonel des douanes à la retraite