Dialogue politique : Petite lueur

23 April, 2015 - 01:49

Les moult préparatifs, pour seulement l’amorce d’une discussion, ont conduit, enfin, le pouvoir et le FNDU à s’asseoir, samedi, à proximité l’un de l’autre. Sans déclencher les youyous : même les plus acharnés à compter sur ce dialogue, pour solder la tension politique née de l’arrivée au pouvoir, par la force, du général Mohamed ould Abdel Aziz, le 8 août 2008, n’osent parler que d’une « petite lueur d’espoir ». La plate-forme du FNDU comporte deux parties : en un, les engagements ou, disons-le, « préalables » au débat ; en deux, les points à débattre, pour aboutir à un accord cadre. L’ensemble constituant une phase préparatoire visant, selon le FNDU, à jauger de la confiance à accorder au pouvoir.

Mais le pouvoir va-t-il seulement accepter d’examiner les points inscrits dans la plate-forme ? C’est la question brûlante du jour. Le FNDU n’a pas fait dans la dentelle, c’est le moins qu’on puisse dire : il a placé haut la barre, en inscrivant, dans sa réponse, des questions que le président de la République a toujours refusé, jusqu’ici, de débattre. Des lignes rouges, en somme : la situation du bataillon présidentiel, la neutralité de l’administration et de l’armée, surtout pendant les compétitions électorales, l’indépendance de la justice, l’accès des media publics à l’opposition, l’éradication de l’esclavage, le problème de la cohabitation (passif humanitaire), la déclaration de patrimoine du Président et des membres de son gouvernement, l’audit de certaines institutions…

Peu de convergences, on le voit, avec les thèmes de discussion proposés par le gouvernement. Pour enfoncer le clou, le FNDU pose une grosse barrière dans le jardin du pouvoir : aucune modification de la Constitution, notamment en son article 26 qui limite à deux le nombre successifs de mandats présidentiels. L’actuel Président court à la fin de son second, ce qui le met hors course pour 2019. Le refus de l’opposition à toute modification de la Constitution et son exigence de voir normalisée la situation de la garde prétorienne du Président pourraient bien constituer une pierre d’achoppement entre les deux parties. Que tirerait le président de la République du dialogue, en acceptant de telles limites ? Les observateurs s’interrogent. Le Raïs avait d’ailleurs, lors de sa dernière conférence de presse, exclu tout préalable, ce qui avait poussé le président du pôle politique du FNDU à  déclarer que le chef de l’Etat avait enterré le dialogue avant même de l’ouvrir.

Deux agendas différents, voire diamétralement opposés. D’une part, un gouvernement cherchant, très probablement, à insinuer la candidature de son mentor en 2019, sinon à assurer, façon Poutine, son maintien au pouvoir, et, d’autre part, une opposition fermement centrée sur la préparation de l’alternance pacifique. Tout semble donc augurer que le dialogue n’ira pas loin. Le pouvoir n’est pas disposé à tout céder pour ne rien obtenir en retour. Pourtant, Ould Abdel Aziz a beaucoup à gagner au succès de l’entreprise. En telle hypothèse, il aurait pacifié l’arène politique pour le reste de son mandat, permis l’organisation d’élections libres et transparentes et mis sur les rails une justice indépendante, garante d’une réelle démocratie… De quoi sortir la tête haute, en 2019, avec  tous les honneurs : ce n’est pas rien.

Comme le dit Ould Bettah, la balle est, aujourd’hui, dans le camp du pouvoir qui a promis d’étudier, « avec intérêt », la réponse du FNDU. De la sienne dépend, désormais, l’amorce d’un véritable dialogue politique. D’ici là, Mohamed Ould Abdel Aziz poursuivra ses tournées à l’intérieur du pays. Des « visitations » dont l’objectif inavoué serait-il de préparer un référendum, après l’échec probable des discussions avec le FNDU ? En accusant celui-ci de les avoir sabotées, avec ses « préalables », Il pourrait ainsi lui couper l’herbe sous le pied… mais creuser quel sombre avenir au pays ?

DL

 

Encadré

Plateforme du FNDU

Le Forum National pour la Démocratie et l’Unité a adopté, lors de ses premières assises de Mars 2014, une vision stratégique situant le dialogue politique en seule voie possible pour le règlement de la crise politique que vit notre pays. Ce dialogue doit avoir, pour objectif, de définir, de manière consensuelle et dans le cadre d’un compromis national, les éléments de base pour la mise en place d’un véritable Etat de droit, garantissant la justice, la liberté et la démocratie, avec un schéma de mise en œuvre et un calendrier réalistes, devant conduire à une alternance pacifique au pouvoir, à l’élimination et la réparation des injustices dont certains segments de nos populations ont longtemps souffert.

Les expériences précédentes ont montré la nécessité d’une préparation minutieuse de ces discussions, en vue de s’assurer de la bonne volonté des différents acteurs et de lui garantir le maximum de succès. Pour cela, le FNDU envisage ce dialogue en deux phases, dont la deuxième est conditionnée par le succès de la première. Dans la première phase, le FNDU soumet, aux représentants du pouvoir, une proposition comportant des mesures que le gouvernement doit entreprendre, avant le dialogue national, en vue de rétablir la confiance entre les partenaires et d’apaiser la situation politique et sociale du pays, ainsi que des engagements qui feront l’objet d’un accord-cadre entre les deux parties.

Phase 1 : Les mesures de rétablissement de la confiance

Libération de tous les détenus politiques et de droit de l’homme (IRA, Kawtel, Oulad Leblad) et abstention de réprimer les manifestations pacifiques ; engagement du chef de l’Etat à respecter la Constitution, notamment dans ses clauses relatives aux mandats du président de la République, et à la faire respecter par tous les démembrements de l’Etat ; normalisation de la situation du BASEP, en intégrant tous ses éléments dans l’armée nationale ; ouverture des media publics de façon permanente et juste ; règlement des problèmes liés à l’état-civil de tous nos compatriotes, particulièrement ceux de la Vallée, ceux anciennement réfugiés au Sénégal et ceux vivant à l’étranger ; allègement des conditions de vie des populations par la réduction des prix des hydrocarbures dont l’impact sur les autres prix est considérable ; application de la loi n° 2007/054 à travers la déclaration et la publication de la situation patrimoniale du président de la République, du Premier ministre, des membres de gouvernement et des autres responsables concernés par la loi ; ouverture d’un dialogue entre le syndicat et la SNIM, entre la Faculté de médecine et les étudiants pour un règlement de la crise ; faire respecter les lois reconnaissant et incriminant l’esclavage dans notre pays ; annulation des mesures arbitraires à l’encontre de certains citoyens mauritaniens (licenciement de syndicalistes, exclusion d’étudiants, mesures disciplinaires, administratives ou judiciaires arbitraires).

 

 

Encadré 2

L’accord-cadre

En plus des mesures précédentes, conformément à la plateforme du FNDU et à la lettre la transmettant au pouvoir, le dialogue doit nécessairement être précédé par la signature d’un accord-cadre avec le gouvernement.

Cet accord-cadre engagera le chef de l’Etat à : se positionner à équidistance de tous les acteurs politiques, assurer la neutralité des services publics dans le jeu politique ; garantir, à tous les citoyens, un traitement égalitaire, notamment en matière d’emploi ; faire respecter, par toutes les autorités, leur obligation de réserve en toute compétition politique et rompre, de façon définitive, tout lien organique entre l’administration et tout parti politique ; œuvrer à l’édification d’un système judiciaire juste, crédible et efficace et faire cesser toute intervention du politique et de l’administration dans le fonctionnement normal de la justice ; maintenir nos forces armées et nos forces de sécurité à l’écart du jeu politique ; organiser des élections anticipées consensuelles ; appliquer les réformes électorales nécessaires avant toute élection anticipée ; choisir un gouvernement consensuel (pouvant inspirer confiance aux différents acteurs) et lui déléguer les compétences nécessaires pour mettre en œuvre les accords issus du dialogue politique, notamment la supervision d’élections consensuelles ; choisir des responsables consensuels pour les médias publics.

Le FNDU s’engagera à apporter son appui à ce gouvernement consensuel pour la mise en œuvre des accords du dialogue et pour son programme économique et social. Les parties signataires de cet accord-cadre s’engageront à traduire les présentes clauses dans l’accord issu du dialogue et à convenir, avec les autres parties prenantes au dialogue national, un calendrier raisonnable pour le déroulement de celui-ci. Tout manquement, par l’une des deux parties, aux présents engagements donnera, à l’autre partie, le droit de reconsidérer sa position par rapport au dialogue. Dans le cas où le FNDU considère que la réponse du pouvoir est positive, l’accord-cadre devra être paraphé par les négociateurs des deux parties et signé par le président du FNDU et le chef de l’Etat. Il ouvre la voie à un dialogue national dont le programme et les participants seront convenus en commun accord entre le FNDU, le pouvoir, sa majorité et les autres partenaires nationaux, en particulier la CAP.

 

Deuxième phase

La deuxième phase de ce dialogue constitue le véritable dialogue national auquel participent tous les acteurs concernés et qui portera sur tous les problèmes nationaux. Le FNDU ne pourra, à lui seul, fixer l’ordre du jour de ce dialogue. Il considère, cependant, que les points suivants doivent y être nécessairement inscrits et que les mesures appropriées pour la mise en œuvre de l’accord-cadre en ressortiront.

L’unité nationale dans toutes ses dimensions : l’esclavage et ses séquelles (politiques de discrimination positive), question du vivre ensemble, question culturelle, passif humanitaire, insertion des réfugiés et leur rétablissement dans leurs droits, question foncière, décentralisation, développement régional équilibré. L’Etat de droit : respect et stricte application de la Constitution et des lois et règlements de la République, armée républicaine (apolitique, neutre, structuré et reflétant la diversité du pays), justice indépendante, pouvoir législatif autonome, question du genre, rôle de la société civile, administration au service du citoyen et neutre dans le jeu politique (accès aux emplois et aux marchés selon les lois et règlements, administration du développement). Elections consensuelles, avec supervision technique et politique également consensuelle : gouvernement consensuel disposant de larges compétences pour la supervision des élections, système et institutions électoraux consensuels (lois, règlements, institutions : CENI, Conseil Constitutionnel, Agence d’état civil, Cour Suprême). Gestion transparente des deniers publics : éclairages sur certains dossiers obscurs (aéroport de Nouakchott, montage des avions à Nouakchott, attribution du domaine public de l’Etat (stade olympique, école de police), le sort des 50 millions de dollars octroyés par l’Arabie saoudite, les détournements, au Trésor public, les 200 millions de dollars de Senoussi, etc., audit de certaines institutions économiques et financières (Délégation Maritime, SNIM, la BCM, SPEG) ; instauration d’une bonne gouvernance économique et financière ; service public de communication autonome, efficace et impartial ; question de la sécurité publique ; institutionnalisation du dialogue ; examen de la situation économique et sociale des populations (prix, sécheresse, chômage, accès aux services de base, justice sociale).