Mohamed Jemil ould Mansour : ‘’Pour le dialogue, nous restons sur notre position : ouverts mais prudents, dialoguistes mais fermes’’

23 April, 2015 - 01:44

Le Calame : La grève des employés de la SNIM a connu son épilogue avec la signature d’un accord avec un émissaire du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

Mohamed Jemil ould Mansour : Merci beaucoup au Calame de m’offrir l’occasion de donner mon point de vue sur certaines questions d’actualité. Ce qui s’est passé, à la SNIM, est un bon exemple à suivre pour tous les travailleurs. Leurs camarades de la société minière et les représentations syndicales engagées dans ce combat ont donné une grande leçon de militantisme, de pacifisme et de responsabilité, dans leur manière de défendre leurs acquis.

Malheureusement, l’attitude du gouvernement et de la direction de la SNIM n’était pas à la hauteur des attentes. Après avoir conclu un accord, la direction de la SNIM n’avait pas respecté pas tous ses engagements auprès des travailleurs. Nous demandons à ce que les parties respectent ce qui a été accepté et signé, avec les représentants des travailleurs.

 

- Cet accord est intervenu au lendemain de la marche que le FNDU a organisée pour soutenir les grévistes et leur employeur, la SNIM…

- Pour nous, au FNDU, ce qui nous intéresse, c’est de prendre une bonne position pour soutenir, de notre mieux, les justes causes. Cette question était, dans notre marche, d’autant plus grande et importante que la SNIM est une société vitale pour la Mauritanie et son économie. D’ailleurs, c’est bien avant que nous en avions posé le problème, dans une conférence où nous dénoncions la mauvaise gestion et la gabegie au sein de cette société. Nous avons organisé cette marche pour soutenir la juste cause des travailleurs mauritaniens et, plus particulièrement, des grévistes de Nouadhibou et de Zouérate.

 

- Au cours de sa récente conférence de presse, le président de la République déclarait que la résolution de la grève devrait se négocier entre les grévistes et leurs employeurs, la SNIM. Alors pourquoi, à votre avis, le gouvernement – ou le Président – a-t-il fait appel au maire de Zouérate pour mener les négociations et non à l’ADG de l’entreprise ou au ministre de la tutelle ?

- Le Président s’est toujours comporté de cette façon dans ses conférences de presse. Mais la dernière a été mal appréciée par les grévistes et par tous les Mauritaniens. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour saluer les journalistes qui ont assisté à cette conférence, en particulier monsieur Ahmed Wadi’a qui a été à la hauteur de l’évènement.

Certes, on ne peut admettre qu’une autorité en dehors de la direction de la SNIM prenne des initiatives sur cette question. Mais ce qui nous importe, surtout, c’est que les travailleurs retrouvent leurs droits, après avoir exprimé leurs légitimes doléances et adopté une attitude responsable et démocratique, pour défendre leurs causes.

 

- Le FNDU semblait conditionner l’amorce du dialogue avec le pouvoir à la solution de la grève des ouvriers de la SNIM. Peut-on dire que désormais le boulevard est ouvert pour l’ouverture des préliminaires ?

- Pour le FNDU et bien que je n’en sois pas le porte-parole, il n’y a pas de conditions au dialogue, mais seulement des préalables. Le FNDU a exigé deux étapes. La première où l’on discute des préalables pour arriver à un accord-cadre. C’est très important, pour nous, compte-tenu de l’expérience que nous avons vécue avec le pouvoir en place : il nous faut des garanties sérieuses et un climat favorable à la réussite du dialogue. Parmi les préalables posés, il y la question de la SNIM. Nous souhaitons le succès de l’accord mais il semble qu’il y ait toujours des problèmes…

 

- A votre avis, pourquoi le pouvoir a-t-il demandé le report de cette première rencontre ? Attendait-il la signature de l’accord entre les grévistes et l’émissaire du président de la République ?

- Il faut poser la question au ministre concerné. Pour nous, c’est le pouvoir et la majorité qui assument toute la responsabilité dans cette affaire : ils étaient au courant, depuis un bout de temps, de cette rencontre préliminaire et de la composition des délégations. Ce n’est pas sérieux ni même acceptable. C’est à eux qu’il faut poser cette question. Nous, nous restons sur notre position : ouverts mais prudents, dialoguistes mais fermes.

 

- Vous avez suivi la conférence de presse du président de la République, le jeudi 26 Mars. Quels enseignements en avez-vous tirés ?

-Les enseignements retenus par tous les Mauritaniens, c’est que c’est un échec, tant au niveau politique que de celui de la communication. Elle a donné l’image d’un Président qui ne respecte pas ses interlocuteurs et qui étale, clairement, son excessive nervosité. Ses réponses, tant en forme qu’en fond, n’ont pas été à la hauteur. Le contenu politique et social de cette conférence de presse est trop négatif. Bref, un échec total, pour le pouvoir, et un succès pour les journalistes. Les commentaires des uns et des autres l’ont bien démontré.

 

- Le Président vient d’achever une tournée d’une dizaine de jours à l’intérieur du pays. Quelle est selon vous, la pertinence de ce déplacement ?

- Guère compréhensible, en tout cas au seul vu du niveau des activités économiques du Président. C’est pourquoi beaucoup se posent des questions sur l’objectif politique réel de ces visites à l’intérieur du pays. Pour nous c’est un pas en arrière à relents de carnaval populiste et contenu politique très maigre sans causes ni objectifs clairs.

 

- Le Président, à qui d’aucuns prêtent l’intention de modifier la Constitution et le régime, a accusé votre parti d’en avoir exprimé la demande. Qu’en est-il ?

- En réalité, notre parti a rédigé un document, en Mars 2011, intitulé « La réforme, avant qu’il ne soit tard ». Nous y précisions, en effet, que nous préférons le système parlementaire au système présidentiel. Notre position est très claire mais ce n’est pas le moment idéal pour modifier la Constitution ou discuter le choix du système politique. Nous sommes contre toute forme de modification, pour le moment, car nous ne voulons pas de modification sur mesure. Après l’alternance exigée par la Constitution actuelle, nous en discuterons.

 

- Le Président a également affirmé qu’il n’en avait nullement l’intention mais que les gens sont libres d’en parler. Êtes-vous rassurés par cet argument ?

- La réponse est non, tout simplement. Pour être plus clair, il faut dire qu’on ne peut pas modifier la Constitution, surtout en ce concerne les mandats. Ce sont des articles à caractère constitutionnel ferme non modifiable. Nous sommes contre toute modification de la Constitution, en particulier sur la question des mandats, d’une façon directe ou indirecte – modification du système – et il n’est pas dans l’ordre du jour d’en parler.

 

- Le Président trouve inadmissible de poser des « préalables » avant d’aller au dialogue. Que lui répondez-vous ?

-Nous ne posons pas de conditions. Pour qu’il ait un dialogue sérieux, il faut passer par deux étapes. La première consiste à discuter avec le pouvoir sur les préalables et l’accord-cadre. Si cette première phase apporte des résultats rassurants, nous irons à la seconde, qui est la phase officielle du dialogue. Sinon, nous n’y irons pas. Nous voulons un dialogue sérieux, utile à la démocratie dans notre pays.

 

Que répondez-vous au pouvoir qui déplore le niveau de représentativité de la délégation du FNDU ?

 C’est à chaque partie de choisir ces représentants. Nous au sein du FNDU on a choisi une délégation responsable de haut niveau  les différents pôles du FNDU, les partis, les syndicats, les organisations, les personnalités, sont derrière cette délégation. Donc elle a toute les compétences requises pour faire face à sa mission. Il n’est pas du rôle du pouvoir de donner des jugements sur la délégation. Cela relève de notre domaine et je pense que le pouvoir n’est pas même moralement ni politiquement placé pour émettre des appréciations sur notre délégation.

 

Certains accusent les islamistes de Tawassoul d’être derrière le limogeage d’Ould Wadi’a, jusqu’ici directeur d’Essiraje et de la télévision El Mourabitoune. Qu’en est-il ?

- Tawassoul est loin de tout cela. Le parti, en aucune ses instances, n’a jamais discuté de cette affaire. Il n’est pas de notre ressort de parler d’autres institutions, Nous éprouvons respect et grande considération envers monsieur Wadi’a. C’est un journaliste très compètent, une personnalité politique très importante, très influente et… membre du bureau politique de notre parti. Je vous le demande : comment pourrions-nous être contre un des nôtres, jusqu’à fomenter son limogeage, et en quoi cela pourrait-il nous être utile ?

 

- Peut-on dire, après la rencontre de samedi entre la délégation du pouvoir et celle du FNDU, que le dialogue a commencé ? Pourquoi le CUNAD (CAP) en est absente ?

Non, ce qui s’est passé, samedi, c’est une rencontre préliminaire entre le FNDU et le pouvoir, dans le cadre de la première phase où l’on discute les préalables et l’accord-cadre. Si l’évaluation de cette étape se révèle positive, nous rentrerons dans le dialogue où tous les acteurs concernés participeront. Je précise, ici, que nous n’avons aucun problème de confiance avec nos amis de la CUNAD (CAP). L’actuelle phase n’a d’autre objet que régler la question de confiance avec le pouvoir.

 

- Quelle est la position du FNDU par apport à la modification de l’article 26 de la Constitution qui limite le mandat présidentiel ?

- La position du FNDU est très claire : il refuse, unanimement, la modification de cet article, directement ou indirectement (par changement du système politique). Cet article est un grand acquis pour l’alternance et la Constitution ne donne pas la possibilité de le changer.

 

- Que pensez-vous de la fatwa des oulémas mauritaniens sur la question de l’esclavage ?

- Elle est tardive et loin d’être à la hauteur. Proclamer une fatwa, aujourd’hui, sur cette question, c’est avoir le courage de dire que l’islam n’est pas esclavagiste, que l’esclavage en Mauritanie n’était pas légitime, demeure illégitime et qu’il faut mener une lutte, continue, contre ce phénomène qui existe toujours, en tant que pratique et en tant que séquelles. Et je salue, ici, la courageuse fatwa de Cheikh Ahmed Jiddou ould Ahmed Bahi.

 

 

Propos recueillis par Dalay Lam