Nouvelles d’ailleurs : Crise de nerfs ou comment planter une conférence de presse...

9 April, 2015 - 01:23

Il m'aura fallu quasiment dix jours pour me remettre de la conférence de presse de notre Président. Oui, dix jours. C'est le minimum syndical en arrêt-maladie es-conférence de presse sultanesque. Faut dire que j'étais encore dans la bonne vieille Mauritanie des profondeurs, celle qui a sauté, celle qui n'a pas sauté, celle qui sautera un jour ou l'autre. J'étais encore dans les Hodhs, à me promener au milieu des niébés sauteurs et à admirer la force de notre Raïs qui, pendant dix jours, a arpenté, en long et en large, notre Hodh international. Une vraie force de la Nature que cet homme-là... J'admire... Oui, oui...

Comme tout un chacun, le soir de la conférence de presse en question, j'ai fait comme tout le monde : j'ai ouvert ma télé... Bon, mon doigt a eu un peu de mal à appuyer sur la touche TVM mais un doigt hésite devant d'obéir à sa propriétaire, il a fini par obtempérer, après moult tractations et chantages affectifs. Je fus inflexible : ce soir-là, c'était TVM ou rien. Mais qu'allait faire notre Sultan dans cette galère ???? Depuis quand, aussitôt rentré des Jeux Olympiques de sautages du Hodh, fatigué, épuisé, vidé, un homme, tout aussi costaud qu'il soit, choisit-il de répondre à des journalistes dans une grand-messe pas très bien préparée et rude pour les nerfs ? Hou la : ça fleurait bon la crise de nerfs...

Au début, je n'écoutais que d'un cheveu, occupée que j'étais à me mettre du vernis sur les orteils : un œil sur la télé, un œil sur le pinceau, un œil (oui, dans ces cas-là, comme toute femme qui se respecte, j'ai plusieurs yeux !) sur la cuisine, un œil sur le téléphone, un œil sur FB... J'entendais une litanie de chiffres, certains un peu fantaisistes, d'autres très sérieux. Je me disais qu'après le show de Néma et la grande lecture des diagrammes sur ordinateur, on ne pouvait pas demander plus à notre sultan, à savoir se souvenir des chiffres...

J'étais, donc, fort concentrée, en train d'attaquer l'ongle de mon petit orteil, appliquée à ne pas faire déborder le vernis, quand j'ai entendu un « skout foymak ! »... De surprise, j'ai largement peinturluré mon pied, j'ai levé les yeux et, là, j'ai assisté à la chose la plus étrange au monde : un Président en pétage de plombs. Un vrai, un grand, un beau pétage de plombs, dans toute sa splendeur de pétage de plombs. Colère royale, voix énervée qui demande, à la TVM, de couper l'antenne, un joli « tais ta bouche » (traduction aussi littérale que polie, pour les quelques étrangers qui nous lisent), des gesticulations, des journalistes abasourdis... Remue-ménage à tous les étages !

« Coupe, coupe ! ». Couper quoi, notre Son Excellence, me demandais-je tout bas ? Couper la tête ? Couper la moustache ? Coupe, coupe ! « On » a coupé.  « On » a attendu quelques minutes... « On » a repris l'émission. Ces quelques minutes resteront comme un des grands mystères de notre république : que s'est-il donc passé, pendant cette séance de « coupage » intempestif ? Kham... Je n'y étais pas: Le Calame n'est jamais invité.

Tout ce que je sais, c'est que je me demande à quoi sert tout le staff de la com de notre Raïs. Qui a eu l'idée saugrenue d'imposer, à un président fatigué, ordinairement peu à l'aise en conférence de presse, une séance de questions face à des journalistes qui ont tenu bon, à l'image de notre confrère d'Essirage ?

La com, ça s'apprend. Surtout la com d'un Président. Dans les pays dits développés, un Président prépare sa conférence de presse, il s'enferme, vingt-quatre heures d’affilée, avec ses conseillers, il se fait bombarder de questions, même celles qui fâchent. Il potasse ses dossiers. Il va chercher le détail qui fera la différence. Son staff travaille avec les journalistes choisis. Il connaît le CV et le background de chacun de ceux qui lui poseront des questions, leur couleur politique... Il prépare son argumentaire, sa démonstration. Il apprend à ne pas se laisser piéger. Il apprend à maîtriser ses nerfs, à faire bonne figure.

Et, surtout, jamais, au grand jamais, à ne jamais interrompre le show pour exiger qu'on coupe l'antenne. Perdre ses nerfs, en direct et en public, pour un Président, c'est la faiblesse ultime, le ratage, l'Echec majuscule. La preuve : plus personne ne se souviendra du fond mais se rappellera de cet incident tragico-comique. C'est cela qui restera dans les mémoires. Contre-productif à souhait.

Un Président n'est pas un homme comme les autres. Il a choisi le jeu, difficile, de la politique. Il a choisi le jeu, encore plus difficile, de l'exercice démocratique. Une conférence de presse, ce n'est pas une bagarre entre deux marchands ambulants au Marché Capitale.... un « Skout foymak ! » en direct va mal avec la fonction.... Mais ça se passe comme ça chez les Nous Z'Autres... parfois.

A la décharge de nos communicants et de notre Sultan, je me dis que beaucoup de Nous Z'Autres n'ont pas bien compris ce qui se passait, vu que toute la conférence de presse était en arabe et que, CQFD, nonobstant les chantres de l'arabité à tout crin, une partie de nos concitoyens ne parle pas arabe. Je ne parle pas que des négro-mauritaniens, mais aussi, par exemple, des haratines... Venez me dire qu'une famille de haratines qui habite ce que j'appelle les « ghettos à haratines », dans les adwabas ou à Dar Naïm, comprend l'arabe littéraire... et je vous traiterai de menteur.

Donc, pour résumer, une conférence de presse en une seule langue, un Président énervé, un clash avec un journaliste, une coupure d'antenne... ça fait un peu beaucoup pour une seule soirée... J'en ai été toute émue et il m'a fallu refaire tout mon vernis. Pensez donc... Salut !

 

Mariem mint Derwich