L’épouse du chef de l’Etat mauritanien victime d’un ragot/Par Souleiman Ould Sidi Aly

2 April, 2015 - 02:48

Un article diffamatoire et des conciliabules de salon sur une prétendue déconvenue de l’épouse du chef de l’Etat mauritanien font en ce moment le « buzz » en Mauritanie. L’article, paru sur le site de Taqadoumy, ragote sur une transaction immobilière avortée à Paris, pour la somme de 2, 5 millions d’euros en espèces. Cette affabulation, pour être ubuesque, n’en semble pas moins crue. Car ce genre de rumeur n’est généralement soumis qu’à peu d’examen critique de la part de nombreux lecteurs, qu’ils soient  africains ou européens. Pour les uns, la corruption, dont ils sont à la fois acteurs et victimes dans la vie quotidienne, fait que tout leur semble possible. Pour les autres, l’image dégradée et peu respectueuse qu’ils ont de l’Afrique rend plausible les histoires les plus abracadabrantes.

Jouissant de la liberté de blâmer en opinion et en usant selon mon libre arbitre, je ne peux rester silencieux devant ce genre d’affabulations qui banalisent le sentiment que toutes les malversations sont loisibles ; entretient la bonne conscience des corrompus de « petit calibre » ; décourage les efforts individuels pour résister à une corruption structurelle, sans pour autant contribuer d’une once, à une amélioration des gouvernances au Nord comme au Sud de la planète.

Une police de la morale très douteuse

Le principe de toute manipulation mentale est de s’appuyer sur des éléments familiers à son public cible. Elle recherche aussi à toucher l’émotion pour anesthésier la raison. Ici, le ragot s’appuie sur une « expérience d’aéroport » connue par de nombreux  africains. Le port d’espèces supérieures à une valeur de 10 k€, doit être déclaré. La police de l’air et des frontières (PAF) opère de concert avec la douane aux points d’entrée du pays. L’argent fait alors l’objet d’une saisie aux frontières, suivie d’enquête, puis restitution éventuelle, après soustraction de l’amende due. Car il s’agit d’un délit par lui-même. Sauf que l’intervention évoquée par Taqadoumy, ne peut être celle de la douane ou de  la PAF.

 Mais il est attendu du lecteur une association d’idées, qui lui fasse admettre l’intervention « d’une police » sans se poser la question de savoir laquelle. D’autant que l’idée morale « de bien mal acquis » est implicite et occupe son esprit. Mais au risque de décevoir le lecteur mauritanien, la PAF n’a pas d’attribution de «police moralisatrice». Et la «police de la morale aux aguets permanents » est souvent une réalité de pays où la morale s’invoque pour tous sujets, mais laisse courir tous les objets illicites. Par exemple la diffamation !

De quelle police fantasmée aurait-il pu s’agir ?

Les notaires constituent une profession libérale tenue au secret professionnel et non des auxiliaires de police : un notaire n’informe pas « LA » police des transactions immobilières en France. La législation impose néanmoins -tant aux notaires qu’aux banques- de signaler à Tracfin (1) des sommes en espèces anormalement élevées. Ceci est connu des agents immobiliers, des marchands de biens, des propriétaires immobiliers ; comme du crime organisé. Cependant, Tracfin n’est pas une police de proximité. Il s’agit d’un service de renseignement du ministère des finances, spécialisé dans le crime organisé. La nature de son travail impose des méthodes le plus souvent incompatibles avec l’intervention immédiate. Le primo-signalement d’une somme de  2,5 M€ l’inciterait plutôt à ne pas agir dans l’urgence, au risque de compromettre les chances de démanteler un réseau. Intervenir en flagrance serait donc une atypie de méthode. C’est la première raison pour laquelle le ragot écrit au sujet de l’épouse du chef de l’Etat mauritanien est peu plausible.

La seconde raison est qu’un notaire signale l’incident et identifie l’acheteur et le vendeur à Tracfin. S’agissant de l’entourage d’un chef d’Etat, les services publics de souveraineté sont également mis au parfum. Là aussi, la rumeur compte sur ce que croit savoir le grand public. Celui-ci sait qu’il existe une préoccupation de sauvegarde des bonnes relations diplomatiques. Cela est corroboré dans l’esprit des mauritaniens par l’expérience concrète d’un « blocage » administratif levé par « le coup de fil  d’un parent ». Sauf que dans une expérience occidentale, on sait aussi que les pouvoirs se contrebalancent et négocient entre eux dans un  Etat de droit ! Que la résolution d’un incident de cette nature résulte souvent d’un compromis qui laisse une trace. A cela, il n'y aucune  référence dans l’article diffamatoire et aucune allusion dans la presse française. Même si tout arrive ; il y a une différence entre « tout peut arriver » et « cela est arrivé ». Mais il est vrai que le journalise de Taqadoumy semble un « Taakhoury » de la rigueur du traitement de l’information. (2)

Une transaction invraisemblable

Le troisième argument d’invraisemblance du ragot, vient de ce que la France n’est pas idéale pour la forme supputée de la transaction. De façon ordinaire, les transactions immobilières sont confidentielles mais non secrètes : les frais de mutation sont perçus par le notaire et en majeure partie reversés par lui à l’Etat et aux collectivités territoriales ; ces frais de mutation représentent entre 7 et 8% de la valeur du bien. La valeur d’un bien immobilier est aisément estimée et estimable par l’administration fiscale. Le vendeur doit déclarer de son côté la vente, car elle est imposable en cas de plus value. L’administration est de toute façon informée par l’acte notarié.

Les dessous de tables entre acheteur et vendeur ne sont pas exceptionnels dans l’immobilier. Ils  se font en espèces et ont pour objet de minorer la plus value du vendeur qui en retour fait un petit effort envers l’acheteur. Le dessous de table ne peut excéder quelques milliers d’euros et la minoration du prix de vente ne peut aller au delà de 5 à 10%. Elle se conclut par entente préalable à la signature définitive chez le notaire. Néanmoins, aucun vendeur ne prendra le risque d’un prix de vente invraisemblable au moment d’envoyer le compromis de vente à un notaire, le plus souvent par l’intermédiaire d’un agent immobilier. A titre d’exemple : un bien estimé à 500 K€ ne peut être enregistré pour 400 K€.  Aucun notaire n’accepterait de risquer sa charge et sa réputation dans ce cas (3).

Aucun vendeur ne s’exposerait au redressement fiscal qui s’en suivrait. De là vient qu’un achat à forte contribution en espèces ne présente que des inconvénients pour tout le monde. Même si en principe il est légal, dès lors qu’il est transparent. Pour le vendeur, accepter 2,5 M€ en liquide ne sert à rien fiscalement, mais lui attire à la fois une vigilance de Tracfin et l’épluchage de ses déclarations fiscales sur les 3 dernières années. L’agent immobilier est rémunéré au pourcentage et a intérêt à ce que la vente se fasse. A ce titre, il sert aussi de conseil pour l’acheteur. A supposer que ce dernier n’y connaisse rien, l’agent sait qu’un règlement en espèces risque de compromettre la transaction. En admettant que c’est à la dernière minute que l’agent découvre que le client porte une valise de billets de banque ; son intérêt est de lui faire rebrousser chemin, en attendant de trouver une solution de paiement viable.

Mais le journaliste de Taqadoumy, qui n’a probablement jamais payé d’impôts, se moque des réalités fiscales et ne craint pas d’être démenti par son public. Lequel confond couramment les cotisations salariales avec l’impôt sur le revenu, qui reste inexistant dans le pays. Comment dans ces conditions, ne pas comprendre que le lecteur de bonne foi puisse croire qu’un vendeur accepte de se faire payer 2,5 M€ euros en liquide ? C’est  aussi sur cette faille de compréhension, que jouent les manipulateurs de la rumeur.

Un ragot absurde

Pour pousser la rumeur à l’extrémité de son incohérence, il faut encore accompagner le ragot jusqu’à  son absurdité.

Admettons, que le vendeur soit un mafieux de la Camorra, non bancarisé et pressé de vendre. Dans ce cas il fait une vente sous seing privé -et non devant notaire- en attendant que ses conseils fiscaux et juridiques lui fassent le montage indispensable pour blanchir sa vente. Mais il faut croire que les petites frappes mauritaniennes de la contrebande en ragots, sont habiles à dénoncer« le crime économique » des puissants, pour mieux couvrir leurs petits commerces ; ils n’imaginent pas un instant qu’il faille aussi être sérieux pour réussir sa vie…Y compris dans la Mafia.

Il ne reste à la fin qu’à admettre la jonction entre un vendeur disposé au délit fiscal, un notaire  véreux,  un acheteur naïf et un agent immobilier incompétent. Si le notaire est véreux, il n’a pas pu alerter Tracfin. Si le vendeur est délictueux, il lui faut une ou plusieurs sociétés écrans et il ne choisira pas la France pour sceller une vente payée en liquide. Si l’acheteur est naïf, il lui faut beaucoup de malchance ou de préméditation malveillante, pour qu’il arrive entre les mains des trois premiers acteurs.

Au demeurant, on ne nous dit pas ce qu’il est advenu du vendeur mafieux, du notaire véreux ou de l’agent immobilier incompétent. Alors moi, j’ai une rumeur  pour vous : ils étaient tous des agents du Mossad !! C’est « un scoop » qui vaut bien le ragot de Taqadoumy;  il ne vous reste plus qu’à faire le buzz par vous-même.

 (1) http://www.economie.gouv.fr/tracfin/accueil-tracfin

(2) « Taqadoumy » ou « modernité » est une prétention que c’est auto-attribué  le site électronique ; « Taakhoury » est le constat «d’archaïsmes » qu’indique son article.

(3) Il ne s’agit pas ici des actes notariés dont les mauritaniens ont un usage courant. Lesquels divisent ou multiplient la valeur des biens par un facteur 3 ou 4, selon le besoin. Cette affirmation est bien entendu diffamatoire envers les notaires si je n’en détiens pas la preuve. Je me tiens donc à la disposition de tout syndicat de notaire Mauritanien - qui simulerait la vierge effarouchée-  pour un procès en correctionnelle, où je serais assujetti d’évidence, à la charge de la preuve.