Dialogue pouvoir-opposition : Un grand pas en avant

5 March, 2015 - 01:04

Le Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU) vient de franchir un grand pas vers le dialogue avec le pouvoir. En effet, le comité technique mis en place à  cet effet a rendu sa copie, au terme de presque deux semaines de travail. Il avait pour mandat d’étudier l’offre de dialogue mise sur la table par le pouvoir et réactualiser la plate-forme de l’opposition conçue en 2011. Le comité, présidé par l’ex-Premier ministre Yahya ould Ahmed El Waghf a réussi à harmoniser les positions des partis politiques  du forum.  Pourtant, différentes informations, distillées par la presse, laissaient croire, il y a encore quelques jours, que le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), un important parti d’opposition présidé par Ahmed ould Daddah, allait boycotter le dialogue en vue. Les « préalables » qu’il venait de faire connaître, au terme de la réunion de son bureau exécutif, pour participer au dialogue paraissaient, pour certains du sein même du forum, « irréalistes ».  Néanmoins, Comment le comité a-t-il réussi à harmoniser les points de vue ? Grâce à des compromis, répond Ould El Waghf, parce que, dans un dialogue, chacun sait qu’il doit faire des concessions. « Le pôle politique du forum a remporté un important challenge : maintenir sa cohésion », se félicite maître Mahfoudh ould Bettah, président de ce pôle. Mais l’accouchement n’aura pas été facile, pour concevoir un document prenant en compte l’essentiel des points de vue de chacun. Le texte confectionné par le comité technique est issu d’une réunion tenue le samedi soir. S’y retrouvaient l’actuel président du FNDU, Ahmed ould Daddah ; ses vice-présidents : Sarr Mamadou, du pôle « société civile » ; Samory ould Bèye, pour les syndicats ; Ely ould Allaf, pour les personnalités indépendantes ; maître Bettah, pour le pôle politique ; le secrétaire exécutif du forum, Mohamed Vall ould Bellal, et le président du comité technique, Yahya ould Ahmed El Waghf. Cette réunion a permis aux participants de débattre du contenu du document remis par le pôle politique qui sera remis, selon une source du forum, à ses homologues pour discussion interne. Les syndicats, les personnalités indépendantes et la société civile auront ainsi trois à quatre jours pour en décortiquer le contenu et y apporter des amendements, si nécessaire. Et c’est au terme de ce tour de table que le forum se réunira pour arrêter, définitivement, sa réponse au pouvoir. « C’est presque déjà dire que le FNDU se  prépare pour le dialogue », a indiqué le docteur Kane Hamidou Baba, responsable du suivi de l’action gouvernementale au FNDU.

Un premier pas vers le dialogue a donc été franchi ou, disons, vers la préparation du dialogue. Ce qui signifierait que le dialogue n’est pas prêt de démarrer : comme on le sait, le pouvoir prendra, lui aussi, le temps d’étudier la réponse du FNDU, avant de faire connaître sa position. Et une question demeure : Va-t-on harmoniser les positions, plateformes ou feuilles de route du FNDU et du président du Conseil économique et social, Messaoud ould Boulkheïr ?

 

Enjeux

C’est une question cruciale, pour les Mauritaniens. Jusque-là, la diversité des réponses apportées par ces différentes plateformes ne constitue pas un tout bien clair, dans l’esprit  de nos compatriotes. Si tous les pôles politiques sont d’accord sur le principe, leurs agendas divergent. Le pouvoir en place, qui a remis au goût du jour le dialogue « inclusif », n’y ira pas pour la beauté des yeux du FNDU mais bel et bien dans son propre intérêt. Il est suspecté de vouloir « contourner », via consensus de l’ensemble des acteurs politiques, la Constitution qui interdit, à l’actuel occupant du Palais gris, un troisième mandat. Craignant de proposer un referendum sur la modification de la Constitution – les conséquences pourraient être, en effet, fort fâcheuses – Ie président actuel userait du dialogue pour pouvoir se présenter, grâce à une présidentielle anticipée, précédée d’une dissolution du Parlement et des municipalités. L’opposition pourrait-elle offrir cette opportunité à Mohamed ould Abdel Aziz dont elle doute de la sincérité à respecter ses engagements ? Revenir dans le jeu démocratique est évidemment alléchant, pour des partis politiques qui ne survivent qu’entre subventions de l’Etat et maigres cotisations de leurs membres. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? C’est un des enjeux du dialogue. Les responsables politiques du forum dont certains regrettent d’avoir soutenu le putsch d’Ould Abdel Aziz, sinon signé les accords de Dakar, sauront-ils éviter de succomber à la tentation ?

Au demeurant, les protagonistes ne semblent pas pressés. A cet égard, il faut saluer l’audace de certaines propositions du RFD, comme la dissolution du BASEP, la déclaration de patrimoine du chef de l’Etat et de certains de ses proches, la baisse des prix du gasoil et des produits vitaux, la libération des détenus d’opinion, l’ouverture des media publics à l’opposition ou l’égalité des chances. Elles rappellent bien qu’en effet, la dégradation du front social est source de tous les dangers. Le pouvoir de Blaise Compaoré l’a appris à ses dépens.

Il est à noter, tout de même, que l’unité nationale, avec ses démangeaisons communautaristes actuelles, fruits d’injustices répétées, semble peu intéresser nos acteurs politiques. Un reproche que leur adressent le président du FPC, Samba Thiam, et ceux de l’AJD/MR, Ibrahima Moctar Sarr ; d’IRA-Mauritanie, Biram Dah ould Abeïd ; d’El Hor, Samory ould Bèye, ou de SOS racisme, de Boubacar ould Messaoud… Pour ces acteurs politiques et autres patriotes soucieux de l’avenir du pays, le dialogue politique ne doit pas porter que sur les élections ou sur comment déboulonner l’adversaire pour le remplacer. Il faut plutôt « déconstruire un système injuste » qui gouverne le pays depuis son indépendance, bâtir une Mauritanie juste, égalitaire et démocratique.

Le pouvoir semblait s’intéresser beaucoup à l’unité nationale, depuis l’émergence d’IRA et de TPNM, le retour des ex-FLAM (FPC) et d’El Hor. Mais il ne fait pas grand-chose pour bâtir une véritable « cohésion sociale », éradiquer l’injustice, gommer l’esclavage et ses séquelles, résoudre le passif humanitaire consécutif aux évènements des années 1986-1991… La seule question qui semble vraiment l’intéresser, aujourd’hui, c’est comment perdurer au pouvoir. S’il en était autrement, on serait en droit de se demander si les acteurs qualifiés d’« extrémistes » ou de « communautaristes » seront associés au dialogue en préparation. Car, sans eux, celui-ci aura, manifestement – c’est-à-dire, pour nombre de Mauritaniens, beaucoup de petits nuages accumulés formant, en définitive, une masse monumentale – un goût d’inachevé...

Dalay Lam